Mon soleil est noir
eymeric
Je navigue sur mon bateau noir avec mes voiles noires, sous mon soleil noir, je m'y suis endormi alors que je traversais la Syrie, là où les sirènes ne sont plus si reines que ça mais où la furie oui. C'est alors que j'ai fait un rêve : je rêvais. Mais ce fut court, ce qu'il faut savoir c'est que je suis un évadé du malheur donc forcément j'y retournerai. Et là, c'était le temps que j'y retourne, le temps que je reprenne mon mât noir, sous mon soleil noir, afin de dériver plus que de naviguer. Parce qu'à vrai dire, je ne sais plus si c'est la vie qui n'avait plus d'emploi pour moi ; ou moi qui n'avais plus d'emploi pour la vie, qui ne savais plus comment employer mon temps. Mais en même temps, il faut me comprendre, si ce n'est pas le cas je vais vous expliquer :
Ce n'est pas que nous ne sommes pas nés sous la même étoile. C'est que nous ne sommes pas nés dans la même galaxie. Ce n'est pas tant que vous n'évoluez pas dans les mêmes sphères, c'est que vos sphères Saturne pas rond. Ce n'est pas tant que lorsqu'il fait beau chez vous, il pleut chez les autres. C'est que lorsque vous vous baignez il y a inondation chez les autres. Lorsque pour vos soirées vous décrochez la lune, les autres se tuent à la biture sous la lumière de celle-ci. D'après vous c'est une question d'alignement de planète, d'astrologie... Alors où est passée ma vie au milieu de tout ça ? J'ai l'impression qu'elle s'est volatilisée dans un trou noir. Être nostalgique ? Impossible, personne n'est nostalgique de l'imparfait et pour qu'il y ai disparition il faudrait qu'il y ait eu présence à un moment donné et je doute qu'un quelconque faisceau lumineux ait transpercé mon épais ciel noir un jour. J'ai l'impression d'être né sur ce bateau, j'ai beau savoir que je l'ai pris pour quitter un enfer, j'ai tout de même l'impression que partout ailleurs tout est noir, que plus j'avance plus j'assombris le monde à la manière d'un grand rideau que je tirerais avec moi. Pourtant, tout cela n'a rien de théâtral, ici beaucoup ont tiré leurs révérences préférant sauter par-dessus bord. Normalement, s'il y a tant de couleurs dans le ciel c'est pour en mettre dans nos vies. Donc expliquez-nous ce que nous devons mettre dans nos vies nous ?
Toute manière, j'observe l'autre rive et je ne pense pas que nous soyons pareils. Sans dire que nous sommes rivaux, ça VOUS l'avez décidé, mais nous sommes différents. Par exemple, vous auriez repris Jésus sur la croix lui disant que le rouge ne se marie pas avec le blanc dans les Apôtres du shopping. Mais bon, j'ai fait l'effort et même si personne n'est venu m'accoster amicalement je suis venu chez vous accoster délicatement. Je vois bien que ça en gêne certains, mais je vous le dis : chez moi c'était l'enfer, et vis à vis de ça je voyais votre chez vous comme un eldorado. Mais dès que j'ai posé le pied à terre j'ai vu que vous me voyiez comme quelqu'un sur un radeau avant de me voir comme un humain. Rien de bien surprenant de la part de l'être une main.
Mais passons, je me suis tout de même engouffré dans votre jungle de vie, le rideau ne m'avait pas quitté d'une semelle. Je n'ai eu besoin que d'une semaine pour voir des choses qui me rappelaient ma noirceur habituelle. Plus besoin de lever la tête au ciel, tout se trouvait devant moi.
Laissez-moi vous rat-conter cette existence digne des bas-fonds :
J'ai vu Morphée se dépuceler les narines et coucher toute la nuit avec des mecs qui avaient des discours à tenir debout. J'ai vu les obsèques des gens obséquieux, j'ai vu la naissance du dictat du « politiquement correct » et j'ai vu des politiques adopter correctement des dictatures. Toute manière les « démagocratie » d'aujourd'hui ne valent pas beaucoup plus, c'est la démocratie l'opium du peuple. Toute manière comme dit la maxime « être libre c'est choisir soi-même ses chaînes » non ?
Mais j'ai vu pire, j'ai vu bien pire, j'ai vu un vieux prendre un truc qui traînait par terre et le fumer. Je crois que quand tu ne sais plus ce qui rentre dans ton corps et que tu t'en contre fiche, c'est que tu n'es plus sûr de ce qui en sort, de ce qui émane de ton âme. Puis, un autre jour j'ai vu un homme qui n'avait même pas l'air désabusé se pisser dessus sans moufter en public. Il avait limite l'air paisible, ou ébahi, il avait la tête de Bukowski et il fumait une clope. J'ai eu du mal à savoir si je trouvais ça d'une insolence telle que c'était presque bandant voir jouissif et à applaudir. Ou si je trouvais ça juste dégueulasse et triste, triste parce que l'air ébahit était tout simplement dû au fait qu'il était ailleurs à cause de l'usage de psychotrope, triste car il se laissait aller sans trop s'en rendre compte tout en pensant que son long fleuve tranquille que devait être sa vie n'avait pas suivi son cours.
Et le mien de fleuve noir, il prenait source où ? Dans le Nebraska j'étais né. "Brah" ce cas est tout aussi violent que ce bruit, ce cas où l'emploi du Glock est trop fréquent, c'est glauque. Résultat les gosses sont froids et gênants comme la Russie, leur cœur réduit en miette comme la Syrie. La seule femme qui leur propose de l'aide ? C'est Siri. Et ils la rejettent. Rien à foutre des progrès de la Silicon Valley ils cherchent juste les fessiers et les poitrines en silicone. Ouais ces « barbares » comme vous aimez les appeler ne rêvent que de la Barbade et ça à tout prix. C'est barbant d'avoir pour seule lumière le réverbère, alors parfois ils mettent le feu oui. Parce que si tu mélanges de l'ennui, de l'aigreur, de la rancœur et de l'ignorance forcément si tu mélanges fort tu obtiens quelque chose un jour. Et quand ce jour arrive : paf ça fait des chauds qui piquent. Du moins des hommes qui se croient chaud. Or ils sont froids, tellement froid, ayant perdu foi en l'amour et au partage, à la connaissance et la bonté. Ils sont froids, froids comme l'Antarctique aux premiers abords et ils sont prêts à être tout sauf pacifiques à l'inverse des Indiens afin d'avoir une île dans l'Océan Atlantique. Ils veulent le pécule, les culs, la paix vient après. Ils sont nerveux comme le système. Moi au milieu de tout ça j'essaye de prendre soin de mon compte, mon corps, mon cœur. Et ceci dans l'ordre inverse.
Mais le terme « survie » signifie donc bel et bien de s'asseoir sur sa vie et sur ce qu'on aime voir ceux qu'on aime. D'un côté, je ne comprends pas je suis amer pourtant j'ai toujours vécu près de l'océan. Mais je vous l'ai dit avant : tout est noir ici, et pas que pour moi. A croire que la réussite avait mis mon nom sur un post-it et avait ensuite oublié de traiter mon dossier. Puis je me suis aperçu plus tard qu'il n'y avait ni dossier, ni post-it, ni gueule de l'emploi. Il y avait juste eux et nous, et nous n'y avions pas droit. On a juste une carte blanche quand il s'agit de voir les choses en noir. Et c'est dingue la vitesse à laquelle notre vision des choses a évolué, c'est dingue de voir que les choses changent si vite : quand on était petits on jouait et on faisait courir les voitures de police, 10 ans plus tard ils nous ont en joue et elles nous font courir. Celles pour qui on devrait vraiment courir, suer, on est plus proches de les huer qu'autre chose. Parce que ça fait bien longtemps qu'ici celles que beaucoup de misogynes appellent Pussy font preuve de pusillanimité ! A nos yeux, les dernières qui ont du courage sont nos mères. Ca s'explique, car parfois quand les papas partent les mamans deviennent des repères. Et on en a plus que besoin car toutes les boussoles ont l'air cassées, on fonce droit dans le mur à chaque fois. Donc on est vigilants, aux aguets, logique tu vas me dire : nous ne sommes entourés que de béton, comment veux–tu qu'on s'endorme sur nos lauriers ? Ici il y a toujours un peu plus de haine que la veille et un peu moins que demain. Il y en a qui passent leurs journées à rester dehors, mais à force être sur l'asphalte c'est asphyxiant. Pourtant il y en a bien qui aspire à être des mecs bien… Mais à croire que pour le moment ils sont tous asthmatiques. Mais au fond, si leur train de vie déraille, c'est car ils est mal aiguillé au départ. Gare à eux, gare à ceux délaissés sur le quai, gare à ceux à qui on dit « tu n'es pas un Terrien, t'es rien »… Parce que parfois ils reposent depuis plus de 10 ans dans des caves mais n'ont pris aucune valeur. Les seules initiales qu'ils connaissent sont B B mais on parle de la bibine, celle qui nous pousse à tromper nos copines et des bars à en faire la tournée afin d'y brûler nos billets comme Gainsbarre. Car à force à force de caresser un peu trop les carrés VIP ils ont fini par égratigner leur cercle de confiance et il est devenu vicieux. Et depuis ils tournent seuls en rond avant qu'il ne redevienne vertueux.
Alors tu m'étonnes, tu m'étonnes que le bateau soit noir, les voiles noires, la mer noire et le soleil noir. Moi je suis vert quand je vois ce monde. Des femmes ont des bleus et se font violer, les prisons sont noires de monde, le ciel est gris en août, bleu en décembre, beaucoup ont du mal à trouver des marrons et les plus riches assistent à ça sans rire jaune. De ce fait je ne peux que garder mon drapeau blanc rangé. En plus, je sais d'où je viens, je n'oublie pas et je ne veux pas y retourner.
Mais j'ai l'impression d'être coincé, l'impression d'être surle toit de la vie donc si je me jette je retrouve la réalité. Or moi, j'ai fait un rêve : j'étais heureux, j'assistais à une éclaircie. En soit ce serait légitime, parce qu'au milieu de tout ce noir, j'ai toujours fais le choix d'être droit et ça peu importe l'angle de vue. Mais j'ai l'impression que mon avenir a été tracé par une équerre : j'ai beau être droit, au bout une falaise m'attend. Du coup, les rares fois où ça brille ici, on est plus proche du rayon de lune que du rayon de soleil. Donc je suis comme celui qui marche vers la maison d'arrêt et des bruits courent comme quoi je ramperais sous l'horizon dans l'espoir de mieux avancer vers le futur. Sauf que j'ai l'impression qu'il s'agit d'un fuitur tant il m'échappe.
Alors je navigue sur mon bateau noir avec mes voiles noires, sous mon soleil noir, mais sans esclave contrairement aux bateaux français de l'époque. Je ne suis esclave que de la pénombre, de la paix qui manque en nombre et du nombre de penny que j'ai dans ma gibecière. Je ne suis qu'un gibier agonisant sur la civière qui a vu les bâtiments de son environnement en feu, les siens se noyer dans les larmes, quelques malheureux prendre les armes. Donc j'ai rampé en suivant l'horizon et je suis arrivé sur ce bateau. Désormais, je dérive en espérant ne pas échouer, ne pas m'échouer. « Mais chéri, ton soleil est noir et personne ne va te le colorer donc n'espère pas trop » m'a répondu la Vie. Puis j'ai cru la faire taire un moment, j'ai aperçu une lueur, le ciel s'est embrasé, j'ai cru enfin pouvoir embrasser autre chose… Mais en fait non, c'était un feu d'artilleries, un de plus, boum mon ciel s'assombrit à nouveau, mon monde est coupé en deux, le souffle coupé : mon monde est en deuil. Voilà alors que tout s'explique, que tout s'éclaire pour moi alors que j'observe tout ceci depuis mon bateau noir : cette vie n'est qu'un long deuil tranquille …
J'ai suivi Juliette et j'ai lu votre texte il y a quelques jours, et ce soir c'est Fiona qui a remis la lumière sur votre extrait de nouvelle... c'est captivant, c'est sombre comme la vie l'est parfois...
· Il y a presque 9 ans ·julia-rolin
Je vous remercie pour la lecture
· Il y a plus de 8 ans ·eymeric
Fiona a partagé, je suis venue voir. Un coup de coeur, pour l'écriture, le rythme au souffle profond, les idées. Alors cdc, merci à vous et merci à Fiona
· Il y a presque 9 ans ·carouille
Merci beaucoup pour le coup de coeur !
· Il y a plus de 8 ans ·eymeric
Très beau texte, plein d'humanité, les vérités dérangent tellement ...
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
Hélas oui ... Merci beaucoup pour le compliment !
· Il y a plus de 8 ans ·eymeric
J'aime, je partage ; le noir est l'absence de couleurs mais souligne de toute sa profondeur les contours de ce qu'il "éclaire"
· Il y a presque 9 ans ·fionavanessa
Merci beaucoup !
· Il y a plus de 8 ans ·eymeric