Monsieur d'Amour et le figuier

divina-bonitas

Conte ou?

Monsieur d'Amour était jardinier. Un patronyme prédestiné.

Le jardinier de Marie-Antoinette, une moins célèbre que celle qui se fit couper la tête, mais assez tout de même pour avoir un planteur-bêcheur-sulfateur attitré qu'elle menait à la baguette tous les jours ouvrés de l'année: "Alors aujourd'hui, il faudra sulfater les abricotiers, désherber les allées, sortir les lauriers, marcoter les rosiers, sans oublier de dépailler le figuier."

 

Monsieur d'Amour allait donc à travers les allées, à grands pas bottés, largement outillé, tête dûment chapeautée, armé de son engin à pulvériser.

 

A grands coups de coudes levés, il se mettait à sa tâche, pschitt, pschitt, semait les pesticides, herbicides, tout plein de produits en "cide" bien acides en pluie fine.

 

Tout laissait croire que le figuier contre son mur, le pied paillé sous des barbelés, soigneusement nourri de sang de bœuf séché, régulièrement encouragé par la Reine à fructifier, finirait par se rendre à la raison et délivrer sa moisson.

 

Mais non. Des années de soin, de poudres de perlimpinpin, de soupirs et de plaintes, de cierges et d'incantations n'y firent rien. Le figuier faisait des feuilles et des bourgeons stériles.

 

Monsieur d'Amour le regardait, haussait les épaules et s'en allait, sa grande carcasse ossue rangeait son matériel. Il disait à la Reine: "Y veut pas, y veut pas. Les figues ça pousse pas par ici. C'est comme ça!"

 

Un jour arriva une femme aux mains vertes. Elle enleva le barbelé au pied du figuier, le sang de bœuf séché, les feuilles mortes desséchées, dit à Monsieur d'Amour que lorsqu'on n'en avait pas d'amour en soi, rien ne servait de s'échiner.

 

Puis elle se mit à planter de nouveaux sujets, des petits en godets, des charmes aux racines nues, des rosiers, des pommiers, des poiriers, des noisetiers, bref, tout un verger. Monsieur d'Amour goguenard, appuyé sur sa bêche, la toisait d'un œil sévère. "Rien ne poussera comme vous vous y prenez!"

 

Elle remercia le jardinier de la Reine mère. Elle voulait pouvoir parler au figuier et aux autres sans supporter les remarques acerbes de cet être austère.

 

L'année suivante, le figuier fit ses premières figues, des fruits bien verts au cœur framboise. Il serait plus exact de dire qu'il en était couvert, que les branches ployaient jusque par terre sous le poids de centaines de bourses pâles et charnues, gorgées de sucre, délicieuses.

 

La Reine mère se mit à quémander: "Je pourrais en avoir quelques unes? C'est quand même moi qui l'ait planté!"

 

La femme aux mains vertes lui en donna chaque année plusieurs kilos. Il y en avait pour tout le monde, même pour les oiseaux.

 

Lesquels volatiles se mirent à l'ouvrage, picorèrent des graines qu'ils semèrent ça et là. Quand on aime, on ne compte pas. Aucune raison de se priver d'un garde-manger sur pieds, de cette chair blanche moelleuse, de ces grains rouges fondants, de ce plateau de fruits à ciel ouvert.

 

Ce n'est pas un pied qui reprit mais des dizaines au gré des saisons, tous seuls comme des grands, fructifiant rayonnant, sous l'œil émerveillé de la femme aux mains vertes.

 

Le jardinage, Monsieur d'Amour, est une question de sentiments. Quand on n'en n'a pas et qu'on n'en donne pas, ni des mains ni du cœur ni de la voix, on peut bien s'échiner, se pencher, râler et s'exaspérer, traiter, tailler, pailler, rien ne pousse comme on le voudrait.

 

La nature aime sa liberté, sait d'instinct ce qui est bon pour elle, entend les bonnes paroles, est sensible aux caresses, devient stérile dès qu'on la force. 

 

La nature, comme la femme, révèle ses beautés intérieures et sa fécondité à celui qui respecte son âme et son corps, fait preuve de douceur et sait l'écouter.

 

  • Un très joli texte plein de matière et de bon sens...

    · Il y a environ 6 ans ·
    W

    marielesmots

  • J'aime beaucoup! La nature a besoin de la nature pour donner ses meilleurs fruits et pas tous ces en mots en "cide".

    · Il y a environ 6 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

    • Et oui! Merci de votre lecture et de votre commentaire.

      · Il y a environ 6 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • On commence à réaliser l'extrême danger des pesticides agressifs. Agressifs comme les lobbies qui les défendent. Il est juste temps. Nos gosses auront besoin de figues, et de miel !

    Parler aux plantes et aux arbres. Oui, je crois vraiment à ces échanges.

    · Il y a environ 6 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • En fait Astrov, ceci est une histoire vraie...j'ai remercié le jardinier de ma belle-mère qui se prénommait Marie-Antoinette.
      Moi je parle aux arbres depuis longtemps et ils me le rendent bien.

      · Il y a environ 6 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • Quel beau texte gorgé de sucre, on a vraiment envie de croquer dans ces figues !!
    Et cet hommage à la femme, en quelques mots, délicieux !!

    · Il y a environ 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Oui elles sont merveilleuses ces figues! Merci Louve!

      · Il y a environ 6 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • Tiens, il y a du texte à présent ? Je serais le premier à ne pas m’en plaindre, car c’est très bon. Cela me fait penser à une histoire beaucoup moins poétique.
    En Corse, un Corse fait la sieste à l’ombre d’un arbre. Un touriste vient le déranger.
    - Quel magnifique pays, vous avez ! Ici, tout doit pousser !
    - Ici, monsieur, rien ne pousse !
    - Vous plaisantez, cher ami, vous avez la terre, le climat, tout doit pousser !
    - Ici, monsieur, rien ne pousse !
    - Ecoutez, je vous prends aux mots, je vais chercher ma bêche, ma pioche, des graines et…
    - Ah, bien sûr ! Si vous plantez ! :o))

    · Il y a environ 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • C'est bien connu, les corses aiment la sieste.......

      · Il y a environ 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci Hervé et très drôle l'histoire du corse!!!

      · Il y a environ 6 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

    • Bien sûr ! Vous, du continent, vous êtes de grands agités. Je te laisse Louve, il faut que j’aille me coucher ! :o))

      · Il y a environ 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • De rien divina ! :o))

      · Il y a environ 6 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

Signaler ce texte