MorricoLeone

enzogrimaldi7

À mon ami JM...
When I have to score a film, I watch the movie first and then start thinking about it. And from that moment on, it is as if I were pregnant. I then have to deliver the child, so from that moment on, I think always about the music - even when I go to the grocery store, I think about it. Ennio Morricone.

  C'est l'histoire d'une rencontre. Une collusion entre deux géants. L'un était musicien, l'autre cinéaste. Tous deux de la même génération. Assis sur les bancs de la même école. Issus de ce même pays qui enfanta tant d'artistes qui redessinèrent le monde: l'Italie.


Mais aussi des musiciens hors normes à l'image de Vivaldi, Porpora, Puccini et...Ennio Morricone. Tandis que les cinéastes foisonnent: Fellini, Ferreri, Pasolini et...Sergio Léone.


Comme dans un poème ou une chanson, les deux patronymes riment, racontent déjà une histoire, celle d'une concomitance prédestinée. Amis d'enfance, ils s'épièrent d'abord, amusés par leur trajectoire ascendante, avant de s'allier pour la vie.


Vint ce jour inouï où Léone fit enfin appel à son compatriote pour composer la musique de son premier western: l'inénarrable et innovateur ''Pour une poignée de dollars" (1964), avec l'éclosion de Clint Eastwood opposé à un époustouflant et inattendu Gian Maria Volonte.


Pour ce dernier, son rôle de vilain pugnace et torturé lui vaudra, outre une renommée internationale, de se retrouver dans ''Le cercle rouge'' (1970) aux côtés de Delon et Montand, mais aussi dans trois autres films importants au cours de cette même année.


C'est lors de leurs conversations, tandis que Léone lui racontait le scénario de ''Pour une poignée de dollars'', que Morricone s'était mis à composer le thème du premier volet d'une trilogie picaresque qui comprend aussi ''Et pour quelques dollars de plus'' et ''Le bon , la brute  et le truand": un nouveau genre était né et la légende était forgée.


S'ensuivit le quart de siècle de la plus éblouissante collaboration, entre un metteur en scène et un musicien, de toute l'histoire du cinéma avec les chefs d'œuvre de la trilogie des ''Il était une fois''. En point d'orgue : indubitablement la mélodie de ''Il était une fois dans l'ouest'',  même si certains jours on hésite, et il y a de quoi, avec celle d' Il Était une Fois la Révolution...


C'est avec la disparition de Leone en 1989 que prit fin l'alliance MorricoLeone. Après "Il était une fois en Amérique" (1984) les deux compères avaient  continué à travailler sur l'ultime opus du réalisateur qui hélas n'eut pas le temps de voir le jour: Leningrad. En fond de film de guerre, il était question de mettre en scène une histoire d'amour impossible entre une américaine et un russe.


Jean Jacques Annaud réalisa Stalingrad (2001) un peu en hommage à Leone sans pour autant s'en remettre à Morricone pour la musique: hors de question de se substituer au maître. Et entre autres hommages, on ne compte plus les publicités et les films où le très gros plan, marque de fabrique Leonien (et le sifflement dans la bande originale, signature de Morricone) est utilisé en clin d'oeil.


D'entre tous, Quentin Tarantino fut le plus fidèle au stratège italien, mais on attend toujours son chef d'oeuvre. On attribue à Leone l'invention du western spaghetti, terme absurde que nous laisserons aux mauvais critiques d'un cinéma limité et son public.


Le western était jusqu'ici un genre pauvrement manichéen, ringard et parfois raciste. À partir de Leone il n'y eut plus de bon ni de méchant mais des personnages ambigus dans des trames plus subtiles et plus riches qui à la fois sublimaient et avilissaient tout le monde.


Quant à Ennio Morricone, l'auteur des 500 musiques de film a été spolié, samplé, sous-traité, sublimé, saboté, sous-coté, sans cesse. Il est l'inventeur d'une mine d'or de sons créant des atmosphères, sublimant des scènes, habillant des personnages, relançant le suspense, rythmant les tournages, créant des dimensions au delà de chaque scénario.


Il y avait du baroque chez Leone, un baroque gargantuesque. Il s'est largement inspiré du Caravage et d'autres peintres italiens pour la photo de ses films. Certes il n'avait pas la finesse des réalisateurs de la Nouvelle Vague qu'il admirait, mais la puissance et la profondeur qui émanaient de ses créations ont fait de lui un apôtre de la recherche du temps perdu.


Cela se traduit par son inexorable perfectionnisme aux détails pointilleux. Fidèle à sa vision, il mit 10 ans pour tourner son ultime chef d'oeuvre: ''Il était une fois en Amérique'' fut à la fois son manifeste et son testament. On y retrouve son obsession de la mort et sa volonté de régler des comptes avec les fantômes fascistes du passé.


Un perfectionnisme baroque semblable à celui de Stanley Kubrick, son double anglais, chez qui le soucis du détail fut aussi prégnant, et dans certains passages  les deux génies se confondent. Dans Shining, le personnage de Nicholson a tout de la folie monomaniaque de Volonte dans ''Et pour quelques dollars de plus", tandis que la scène de la substitution des bébés dans ''Il était une fois en Amérique'' semble avoir été tournée par Kubrick lui-même.


Dans la plupart des films de  Leone, et de Kubrick d'ailleurs, les femmes ont des rôles trop secondaires voire ingrats malgré les efforts de Morricone pour rattraper le coup en mettant systématiquement en avant les voix féminines dans ses plus belles compositions pour Léone.


À tel point qu'il fut taxé de misogyne. Léone avait une femme et deux filles, il fut aimé et admiré par les trois. Il avait tout simplement anticipé les dérives de la libération de la femme dont il fut témoin des prémisses avec l'inexorable impact que cela eut sur l'éclatement de la vie de couple. 


La femme fut jusqu'ici la pièce maîtresse, le continuum de la vie à deux. Depuis son émancipation méritée, le noyau familial n'a plus de sens voire n'existe plus. Il ne s'agit pas de prôner un retour en arrière mais de réattribuer à la gent féminine son rôle central, quitte à lui  décerner  des médailles : se sacrifier pour la famille c'est comme faire la guerre.


Ainsi il dépeint d'abord Jill, le personnage incarné par Claudia Cardinale dans "Il était une fois dans l'Ouest'', comme une catin. Avant de la réhabiliter magistralement en femme providence à la fin du film quand on la voit s'occuper des travailleurs ferroviaires en les abreuvant: leur mère, leur femme, leur maîtresse.


Au delà de toute considération cinématographique ou sociale ce qui a caractérisé le cinéma inventé par MorricoLeone, c'est la représentation humaine à la fois impitoyable, émouvante et transgressive illustrée par des rôles, des cadrages et des sons innovants.


Au contraire des tirades interminables de cowboys insignifiants dans les westerns classiques, les dialogues leoniens furent souvent brefs et percutants, souvent remplacés par une musique autre que parlante. Les scènes mémorables retranscrites par l'association MorricoLeone sont innombrables.


Et  si nous devions en retenir une, ce serait sans aucun doute dans ''Il était une fois dans l'Ouest'',  ce travelling vertical qui passe au dessus de la gare, après l'arrivée de Jill, et découvre la ville vibrante de vie avec toutes ses promesses, ses amours, ses naissances et ses détresses.


Il mio modo di vedere le cose talvolta e ingenuo, un puo infantile ma sincero como i bambini della scalinata di Viale Glorioso. Sergio Leone.

                                                                                              2020

Illustration: Morricoleone

Musique: Il était une fois la Révolution

https://youtu.be/J3iE5IDimhg

Signaler ce texte