Notre joli cerisier
frederik
Il trônait en roi au sein de notre minuscule contrée et son pouvoir de séduction n'avait pas d'égal. Temps chaud ou froid, ciel bleu ou ciel gris, le cerisier déployant ses branches depuis le jardin attirait nos jeux de petits enfants, suscitait notre curiosité ou attisait notre imagination quand ce n'était pas tout cela à la fois. Peu importait la saison, il était toujours notre grand ami généreux et bienveillant. Et comme en ce petit univers clos sur lui-même dans lequel mon frère et moi découvrions la Terre et la vie il n'avait pas de rival à sa hauteur, nous lui avions en quelque sorte conféré le titre d'ambassadeur de toutes les merveilles et de tous les mystères naturels du dehors, celles avec lesquelles nous nous retrouvions nez-à-nez sitôt la porte au bas de l'école franchie qui ouvrait sur le vaste monde.
Une fois par printemps, notre joli cerisier annonçait de façon imparable l'arrivée des beaux jours. Il recouvrait alors le jardin surplombant la cour, le préau et tout notre domaine d'un épais duvet de fleurs blanches et rosées. À ce moment-là de l'année, le spectacle était tel que notre ami l'arbre faisait même davantage qu'annoncer les beaux jours : il rendait les jours plus beaux car sa transformation en bouquet géant modifiait la couleur et la saveur du quotidien quel que fût l'endroit où l'on se trouvait dans l'école.
Comme nous l'aimions notre cher cerisier ! Un peu plus tard, au mois de mai, ses fruits aux teintes rougeoyantes le faisaient ployer de toutes parts. Il devenait alors un ami si généreux que les extrémités de certaines de ses branches touchaient presque le sol au plus loin sur la terrasse. Délicieuses, à portée de mains d'enfant, on n'oublia pas le jour où mon frère nous fit la frayeur de se rendre malade pour de bon en se gavant de trop de cerises ! Le bel arbre nous intéressait même lorsqu'il ne produisait ni fruits ni fleurs. Tantôt c'était son tronc, qu'il avait très imposant et dont nous nous amusions à faire le tour, à éprouver la dureté, à observer la texture, la noirceur, les proéminences. Tantôt c'était ses racines robustes et pour parties émergées contre lesquelles il s'agissait de ne pas buter malencontreusement au hasard d'une course. Ou bien encore son feuillage épais, sombre, qui en été nous protégeait de la chaleur excessive, en hiver nous préservait du vent et dont l'odeur un peu âpre mêlée à celle de la terre du jardin nous prodiguait toute l'année ses sensations voluptueuses et bienfaisantes.
Mille et un projets naquirent là. C'était bien souvent au pied notre vénérable cerisier que Christophe Colomb, Ulysse, Marco Polo, prenaient la décision de leurs aventureuses expéditions. Là aussi que Sioux, Comanches, Navajos, Cheyennes et autres Peaux-Rouges de légende venaient se retrouver entre eux ou au sein du Très Grand Conseil de toutes les tribus indiennes.
L'électrophone dans un coin du salon... Un disque de vinyle... Un air de musique... Une voix :
« Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles...
Cerises d'amour aux robes pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang...
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant !
Quand vous en serez au temps des cerises,
Si vous avez peur des chagrins d'amour,
Évitez les belles !
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour...
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour !
J'aimerai toujours le temps des cerises,
C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte !
Et dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saurait jamais calmer ma douleur...
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur ! »
Cette chanson sur le tourne-disque familial... un air gracieux, envoûtant, qui parlait de notre beau cerisier. Parce qu'il était sûr que c'était bien de lui, de notre arbre là-haut sur la terrasse, dont parlait la chanson ! Souvent, dans les têtes et les cœurs de petits enfants tout se mêle, s'emmêle. Ainsi donc, un jour prochain, par grand beau temps, de belles jeunes femmes aux robes chatoyantes et aux boucles d'oreilles pareilles aux cerises viendront là-bas dans le jardin, à l'ombre de notre arbre, pour simplement y jouir des beautés de la vie et de la nature. Pour les seuls plaisirs d'aimer et de s'y faire aimer. Alors comme si cela ne suffisait déjà pas qu'il nous ravisse toute l'année, voilà que soudain il devenait encore plus enchanteur, magique et merveilleux, notre joli cerisier.
(Ce texte constitue une histoire courte, par la suite reprise, enrichie pour devenir récit autobiographique d'enfance : "Partout où nous irons", © Éditions Édilivre, 2016. La publication de ce dernier a précédé de peu et m'a valu, entre autres bonheurs, mon intégration à la Société des Gens De Lettres.)
http://www.iscriptura.fr/fr/frederic-blanc-livre-autobiographie-editions-edilivre.php
(Vidéo associée : https://www.youtube.com/watch?v=oZK5sDVL8Tk)
un bel hommage aux cerisiers de notre enfance et à celui que j'ai planté dans mon jardin :-))
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Merci Maud à l'heure du temps des cerises. Je suis surpris de tant de cerisiers dans les souvenirs des lecteurs. Heureuse surprise...
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
Je vous remercie d'avoir voté pour "mon cerisier". Que le temps des cerises soit toujours avec vous!
· Il y a plus de 8 ans ·Velina Zvancharova
Alors merci à vous Velina, à mon tour. J'aurais plaisir à connaître la suite vous concernant. Quant à moi et à mon temps des cerises, au moins dans l'esprit n'ayez absolument aucune crainte que je l'oublie.
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
Quand les saisons vont, tout va !
· Il y a plus de 8 ans ·donquirote
Merci à vous donquirote.
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
J'écoute cette merveilleuse chanson .... et J'adore Mouloudji, il a une voix fascinante !
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
Merci Martine :) pour tous ces compliments
· Il y a plus de 8 ans ·frederik
Bel hommage à l'arbre, au cerisier de votre enfance et à tous ceux qui ont fait votre bonheur ! On a tous un cerisier dans le cœur ....même plusieurs. J'en ai un au fond d'un jardin lorsque j'étais petite fille ; beaucoup plus tard, dans un autre jardin avec mes petits enfants. A présent, j'en ai un sous ma fenêtre : il ne donne pas de fruits mais de magnifiques fleurs roses, qui, lorsqu'elles tombent, recouvrent le sol d'un épais tapis. Merci pour ce joli texte frederic, qui réveille en moi tant de souvenirs.
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
Ce joli portrait me rappelle le cerisier de mon grand-père, très habité lui aussi par nous cousins
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
La magie d'un arbre au fil des saisons, sur l'année ou de nos vies: on le voit vraiment cet arbre, enfant, adulte, il résonne tellement en nos souvenirs.... Merci Frédéric
· Il y a plus de 9 ans ·envie-dailleurs
Beaucoup de mélancolie, Frédéric...
· Il y a plus de 9 ans ·Apolline
J'ai indiqué la mention un peu après il faut dire... mais en vérité c'est un hommage. Je suis désolé d'avoir tardé à le préciser.
· Il y a plus de 9 ans ·frederik