#7. Immense.

ellis

Personne ne retiendra la nuit.

Plongée dans le calme d'une nuit de juin bien avancée, la station balnéaire ne ressemble pas à ce qu'elle en connaît. Elle est venue ici il y a bientôt dix ans maintenant, avec une amie et son fils. Ils avaient mangé des beignets de poisson sur la jetée en se racontant des histoires de boulot, des galères sentimentales et des projets d'été. Elle ne se souvient pas d'avoir regardé la mer.

Il claque la portière sans s'en rendre compte. Dehors, il inspire profondément. L'air marin lui entre dans le corps par tous les pores et il sourit. Il entend le ressac. Au bout, la mer ondule sous la lune. C'est calme, régulier, désert. Miraculeux. Il se tourne vers elle. Elle le regarde alors et lit une reconnaissance dans son regard qui la bouleverse tout à coup. Il est beau. Elle le savait depuis sa main sur le verre de cidre dans le bar. Mais à présent elle le voit. Il a une sorte de joie dans le regard, comme un éclat d'enfance, qui la prend en pleine poitrine et lui donne envie de prendre sa main. Mais elle reste de son côté de la voiture sur le parking et se contente de lui sourire.

C'est lui qui avance un peu et lui tend la main. Elle a une seconde d'hésitation qu'elle trouve ridicule, mais la fille est pudique. Quand elle vient glisser sa main dans celle du garçon, ils échangent un long regard, encore, qui achève de planter le trouble dans son ventre. Ils descendent sur le sable, en courant  presque. Aussitôt, il entreprend de retirer ses chaussures. Elle l'imite, un peu gênée au début, mais elle est saisie rapidement d'une ivresse qu'elle ne connaît pas. Le sable est presque glacé. Ils marchent jusqu'à la mer. Y déposent le bout de leurs pieds. Frissonnent ensemble en riant. Puis ils se remettent à marcher un peu, avant de s'asseoir un peu plus loin, sur la plage baignée de nuit. Il se rend compte qu'il a toujours sa main dans la sienne. Il lève les yeux vers elle. Elle tremble. Elle a froid. Elle lui sourit. Avec ce sourire qui vous désarmerait n'importe qui, ce truc qu'elle lui a dégainé dans le bar et qui l'a cloué sur place. Un mélange de douceur et de joie. Quelque chose qui irradie presque. Elle est belle. Il ne connaît pas son prénom. Il n'ose pas faire un geste de peur de l'effrayer. C'est bête. Elle va sans doute le prendre pour un mec coincé. Tout au pire pour un mec délicat. Mais il n'ose pas. Il est comme ces gens qui se taisent quand ils rentrent dans des lieux impressionnants. Il se fait tout petit.

_ Tu as froid ?

_ Un peu.

_ Tu veux remonter ?

_ Pas tout de suite.

Elle a envie de poser la tête sur son épaule. La fatigue et le froid de la nuit lui font un nuage de coton. Elle est ivre et endolorie. Elle ne se souvient plus où elle avait mal. Elle a oublié. Elle ne veut pas remonter si c'est pour rentrer. Pourtant elle se lève. Elle est glacée.

_ Tu es fatiguée. Tu ne vas pas reprendre la route maintenant ? Je peux conduire si tu veux.

_ Non. Je voudrais dormir un peu avant de repartir. déclare-t-elle seulement.

Il se lève à son tour, le regard interrogateur.

_ Il y a plein d'hôtels dans le coin. On va essayer de voir s'il n'y en a pas un d'ouvert.

_ A cette heure-ci ?

_ Je suis gelée.

Le garçon ne proteste pas. Il s'allongerait bien une heure ou deux lui aussi. La journée qu'il vient de vivre n'était pas de tout repos. Et celle qui s'annonce lui demandera des ressources qu'il va devoir aller chercher loin, encore.

Quand ils remontent vers le parking, il prend à nouveau sa main dans la sienne. Il la serre doucement cette fois. Comme pour la rassurer, lui dire que tout ira bien, lui dire merci aussi, et puis d'autres choses encore qu'il ne cherche pas vraiment à définir et qui tiennent bien dans le creux de sa main.

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