NUT

Hervé Lénervé

Ecrou volé à Benjar, j’espère qu’il ne m’en voudra pas trop.

Je marchais tranquillement dans la rue… eh, j'ai le droit ! Enfin, dans certaines rues seulement, à cause du bracelet électronique.

Et que vois-je dans le caniveau ? Vous ne le devinerez jamais ! Enfin si, un peu quand même, si vous avez lu le titre… effectivement, un écrou !

Un écrou tout seul, cela ne sert à rien du tout, du moins pas à grand-chose, il lui faut un complément. Par exemple si vous avez un lance-pierre, vous pouvez le tirer sur un passant, un vieux de préférence, autrement le passant commence à chercher des histoires en vous courant après pour vous tomber dessus. Alors que le vieux, lui, il en rigole… enfin, un truc insolite à raconter à mémé, pour rompre la monotonie de ces jours sans fantaisie !

Par contre « le lance-pierres » deviendra « un lance-écrous » et là, c'est chiant, car il faut reprendre tous les dicos, toutes les encyclos, c'est un sacré boulot ! Donc non, l'écrou seul ne sert à rien ! D'ailleurs à ce propos remontant un peu en arrière.

***

Qui de l'écrou ou de la vis vint le premier ?

Savez-vous que l'écrou fut découvert en recherche fondamentale avant l'invention de la vis.

Les chercheurs fondamentaux sont tous les mêmes, ils cherchent, c'est leur job, mais peu importe ce qu'ils trouvent, car après, ils passent le bébé à la recherche appliquée et c'est à d'autres chercheurs de trouver une utilité quelconque à l'objet pour l'industrie.

Donc les chercheurs appliqués se creusaient la tête en se la grattant pour faire quelque chose de bien de cette belle invention.

Ils inspectaient l'écrou sous tous ses angles. Ils le mesuraient, le pesaient, le soupesaient, un chercheur tenta même de le goûter. L'écrou avait un goût métallique qui piquait légèrement la langue, pas si désagréable que cela, au demeurant, mais il était très dur à mâcher et lourd à digérer. Ce n'était pas concluant. Ses collègues reprirent les recherches après que le gouteur ait bien voulu le leur restituer. Il inscrivit, nonobstant pour mémoire, dans son compte rendu : « L'écrou constipe », mais la pharmacologie ne retînt pas l'écrou en médicament contre les diarrhées.

 

Un chercheur plus perspicace découvrit que le trou central de l'écrou n'était pas lisse, comme la majorité des trous, excepté celui de la Sécu. Le trou était strié d'une façon hélicoïdale, il l'appela cette curiosité un taraudage. Maintenant un trou taraudé ce n'est pas très pratique, il se dit qu'un cylindre strié aurait plus d'applications. Donc il demanda, grâce au téléphone qu'il avait mis sur le marché deux jours avant, à un de ses potes en fondamentale de lui fournir les plans d'un cylindre strié hélicoïdalement. Deux jours plus tard il avait sur sa table d'opération, le prototype du cylindre, il appela les stries « filetage » pour ne point les confondre avec le « taraudage » déjà nommé.

Puis il se gratta la tête, comme le font toujours les chercheurs, avec les doigts d'abord, puis avec le cylindre… non, pas efficace ! Il en vint, par inadvertance, à se gratter l'intérieur des oreilles avec et se dit qu'il était regrettable qu'on ne se les nettoya pas plus souvent, vu la quantité de cérumen qu'il en extirpa, ainsi que la paire de clés qu'il avait égarée depuis des mois.

 

C'était concluant, mais cette invention ne fut que de courtes utilisations. Tout de suite supplanté par le coton tige qui perçait beaucoup moins les tympans.

 

Donc l'écrou, qu'on a un peu délaissé, comme le goujon ne servaient toujours strictement à rien. Le chercheur mourut avec son goujon et son écrou dans son tiroir avant que bien plus tard un autre chercheur, par accident, enfila en tournant le goujon dans l'écrou. Euréka ! C'était magique, ça fonctionnait, on aurait dit que cela avait été conçu à cet effet. Malheureusement ce chercheur-là, mourut à son tour, mais qu'est-ce qu'ils ont, tous ses chercheurs, à mourir tout le temps ? Il mourut donc, avant qu'on ait inventé le tournevis, les clefs plates, tordues et à pipe pour donner toutes ses lettres de noblesse à l'écrou et à la vis qui devinrent indispensables dans les assemblages mécaniques de pièces interchangeables.

***

Voilà, il fallait quand même souligner cette anecdote, mais pour en revenir à mon histoire, moi, la mécanique, ça me gonfle, donc l'écrou est toujours dans le caniveau. Si un bricoleur patenté est tenté, je peux lui communiquer pour un prix modique, par courriel privé et codé, sa localisation exacte.

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