Où l’on apprend à distinguer faiblesse et charité

hel

Il est vingt et une heure, et je n'ai toujours pas bougé. Enfin si, un peu quand même.

J'ai fait mes petites affaires, me suis sustentée, et je suis revenue me planter sur la terrasse voir si Auguste allait me donner le top départ de la réconciliation.

D'ici j'ai vue sur sa cuisine, dont normalement à cette heure-ci les volets et les fenêtres sont grands ouverts. Mais pas ce soir. Ce soir c'est cuisine en berne, sans même une petite lueur d'espoir qui filtre. C'est qu'il a de la fierté mon petit vieux, et que ce genre de sentiment vous rend tout à fait capable un homme comme Auguste, qui est un homme de parole, de mettre ses promesses d'air frais et de tranquillité individuelle à exécution.  

Bon Auguste, il va falloir se décider, car d'ici une heure je vais être contrainte de battre en retraite. La vie nocturne des insectes, et autres bestioles dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, n'étant pas mon programme de prédilection. À la base je suis une fille de la ville moi, et là je sens la campagne commencer à me chatouiller l'hystérie des mollets.

Je tiens bon. Je fais front. Sus à l'ennemi, et vive le roi Baygon !  

Je déraille. C'est la tristesse de mes coups de sang. Ça reste sur l'estomac ces conneries.

Quand même, une histoire qui a si bien commencé, ça peut pas se laisser planter comme ça sur un petit coup de chaud.

Pour faire passer le temps, je lis mon journal qui est surtout devenu le journal d'Auguste, à l'heure de nos transats digestifs. Une vraie feuille de chou, écrite avec les pieds dit Auguste, et je ne lui donne pas tort, en ayant même le silence honteux.

C'est que, moi qui ne me fais jamais rien refourguer contre ma volonté, qui tient bon, qui fait front, rompue à des années d'œilletons, j'ai quand même, aussi, mes moments de faiblesse.

Celui-là il avait un accent italien, beaucoup de « o » et de « a » sur les lèvres, un regard de braise, et le corps d'un Napolitain (oui, comme le petit gâteau à la robe chocolat qui fait saliver).

Il aurait pu me vendre le petit journal illustré du pêcheur à la mouche ou la bible en Hébreux, que ça aurait été la même. D'ailleurs je lui ai demandé, par hasard, s'il n'était pas pour quelque chose à la couleur caca d'oie de la bibliothèque de ma tante, mais non. Mais ça aurait pu, et j'aurais compris.
J'ai donc signé pour la feuille de chou, yeux dans les yeux, étincelles dans l'air et courant qui passait bien, si bien qu'on en était à se raconter nos vies en se tapant les mains sur les cuisses — chacun les siennes, n'allons pas trop vite en besogne.

Francesco, mais c'était peut-être bien Marco ou encore Paulo, s'est trouvé si à l'aise qu'il en a joué carte sur table, où il a posé en sépia Francesca, et toute une ribambelle de petits Marco et de Paola, la fierté d'exhiber le patrimoine plantée dans le fond d'œil. Houlà, et même oulalala je me suis dit avec la langue ravalée qui me démangeait mais d'une toute autre façon. Et aussi le sang qui commençait à monter, et mes mains à se crisper au point de vouloir attraper Roberto par les oreilles pour le flanquer dehors.

Quelle idée, franchement que celle de la transparence ! Et les bienfaits de l'occultation alors ? Mais attends, Italo, j'ai eu envie de lui dire, l'œil dans le portrait de Francesca qui ne me lâchait pas du regard, cette femme, TA femme, c'est tous les Botticelli et l'art romantique réunis, merde ! Faut faire quelque chose quand on est aveugle à ce point, va, va Andréa, pèlerine à Lourdes, des fois qu'un miracle te rende la vue, et puis remballe-moi vite tout ça que franchement tu ne mérites pas.
Au lieu de quoi, je me suis entendue dire, que je ne faisais pas dans le cinq à sept, les miettes non merci, je préférais les quatre heures et le gâteau entier, et dans cette case-là t'façon y'avait déjà mon Auguste, oui c'est ça, le vieux monsieur d'à côté que je ne pouvais décaler. Franco n'a plus rien dit et ça voulait dire beaucoup. Genre il n'était sans doute pas plus italien que moi. Comme je ne suis pas vache, j'ai gardé l'abonnement à la feuille de chou.

Y'a quand même des soirs comme celui-là, où la solitude darde sa pointe de regret, fugace, car charité bien ordonnée commence par soi-même, et vraiment, je ne pouvais pas me faire ça.

Vingt-deux heures toujours pas d'Auguste, seulement l'ombre de Renoir qui s'échauffe en bond avant de partir à la chasse aux bestioles dont on ne doit pas prononcer le nom.

À la guerre comme à la guerre, aux grands mots les grands remèdes, kidnappons le chat et le loup sortira du bois.
 

  • Ton août, c'est un super crû. Vraiment. Déjà, ta langue est fabuleuse. Elle est vive, rythmée, elle dit autant qu'elle fait deviner. Et puis tu ne livres pas tout, pas d'un coup. C'est en même temps maîtrisé et libre. Les personnages, voilà, ils sont vivants et ce sont les tiens, encore. Vraiment, c'est bon. Je savais déjà mais c'est mieux quand c'est dit.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Vie1

    thib

  • Elle est vraiment géniale cette héroïne, un vrai coup de cœur ;))

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • Ah merci Carouille, ça fait longtemps que je n'avais pas joué une "voix" comme-celle-ci, un peu plus légère, sarcastique, du coup je sors un peu de ma zone de confort, et je suis contente de voir que ce personnage te plait bien.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

    • Alors continue à sortir de ta zone de confort, cela te réussit très bien. Je ne te laisse pas de com sur tous les textes, mais je suis, et j'aime toujours autant. Je n'ai pas encore eu le temps d'aller lire tes autres écrits, mais je sens que j'ai de belles découvertes à faire.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Ananas

      carouille

  • Excellent de verve et très drôle, tes expressions m'enchantent toujours.. :)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Chouette, je me demandais comment ça ressortait à la lecture, contente de ces impressions.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Kidnapper le chat, vraiment ? Très amusant le passage avec l'italien sinon :)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Vava wlw

    ella

    • Oui elle fait dans l'improbabilité ^^ Contente que cela t'ait amusé.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Avat

      hel

Signaler ce texte