Où l’on se rabiboche en tirant des toiles sur la comète

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Au deuxième jour je comprends quelque chose, quelque chose que mon cœur a soufflé plein de raison à ma tête durant cette nuit sans sommeil (merci Renoir !) : moi aussi je n'ai qu'Auguste pour traverser le désert.

Alors je cale ma fierté dans le fond de ma poche, Renoir sous mon bras, et je m'en vais agiter la petite clochette au portail d'Auguste.

Les moineaux, qui remplacent les commères parties au bord de l'eau, pépient à tout-va depuis leurs branches observatrices. Ça cancane, jacasse, pipioute et caquète à m'en faire tourner la tête, si bien que pour faire silence je les menace de leur lâcher le fauve qui se pourlèche les babines. Quand je disais que la nature d'un estomac reprend toujours ses droits… celui-là mériterait de tomber sur de petits os, pour avoir boudé mon menu gourmet.

Les oiseaux calmés, le silence déploie son long manteau. Sans pas, sans porte qui s'entrebâille, ni de petits graviers qui roulent. C'est que ça deviendrait presque humiliant, même si je l'ai bien cherché. À toute situation désespérée sa tentative de la dernière chance, qui passe par l'escalade du portail, Renoir harnaché dans un tee-shirt improvisé porte bébé moustachu, jusqu'à la porte où je me rue en tam-tam.

Et voilà que la porte s'ouvre et que je recule d'un pas. Les mots se font la malle dans le même élan par lequel Renoir s'éjecte de mon tee-shirt serpillière, pour aller se couler contre les jambes de son maître à grand renfort de pleurnicherie.

— Quand même dit Auguste, me retenir le chat en otage ! Dans quel état vous me l'avez mis, le pauvre.

Et le « pauvre » d'en rajouter deux couches, et de redoubler ses miaulements à la mort en me toisant de son fond d'œil vicieux.

— Mais vous n'allez pas vous laisser prendre par ses minauderies, à ce gougeât ! Sachez qu'il a boudé tous les mets de choix que je lui ai collé sous le nez. Je vous le dit tout haut : ce chat ne tourne pas rond.
— Et c'est pour me dire ça, que vous avez fait le déplacement ? Demande Auguste en regardant par-dessus ma tête, l'air froid comme une pierre.

Voilà que j'ai cinq ans et des boucles de grand manège dans le ventre. Pas de panique, commençons par lui ausculter le fond de l'œil. Aïe ! C'est bien ce que je pensais, cette fois je ne m'en sortirais pas d'une pirouette, ce fond d'œil cérémonieux attend que j'y mette les formes.

— Non, bien sûr que non. Je venais vous dire que je regrette, et que vraiment je suis désolée.
— Bien vous avez mis le temps. Je n'y croyais plus, dit auguste qui reste tout droit.
— Je pensais que vous reviendriez quand même…
— Oh, c'est mal me connaitre mon petit, vous m'aviez clairement fait comprendre ce que vous attendiez et je n'ai pas pour habitude de m'imposer.
— On serait restés fâchés à la vie à la mort, alors ?
— Quelle drôle de formule… Je ne sais pas. Sans doute.
— Et maintenant ?
Auguste hausse les épaules, lève les yeux au ciel, lisse sa blanche moustache. Ouf !
— Maintenant évidemment c'est oublié.
— Et si on se faisait le petit déjeuner des canotiers pour repartir sur de bonnes bases ? Vous, moi, un panier à pique-nique et des jolies vagues. Je conduirais, et vous n'auriez qu'à vous laisser porter.
— Quand ?! Et où ?
— N'importe où, où vous voulez, là tout de suite. C'est pas comme si on avait des milliers de choses à faire, ou quelqu'un à prévenir, non ? Qu'est-ce qui nous empêche ?
— Oh, je vous arrête tout de suite. Déjà, il nous empêche que j'ai mes manières et mes façons. Notre premier voyage en auto, ce n'est pas rien. Et ne roulez pas des yeux, après tout vous me devez bien ça alors faisons les choses comme il faut.
— Bien, bien. À vos ordres mon capitaine, traçons des plans et reportons à demain, enfin je dis demain, mais est-ce que ça vous parait assez comme il faut ?
— Mais, oui. N'exagérez pas tout de même. Cependant, il y a une dernière petite chose…
— Tout ce que vous voulez !
— On ne peut partir ensemble, sans que je ne vous aie présentée à Clémence.

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