Pablo

sophie-dulac

Pablo

C'est un hôtel de luxe au charme suranné planté dans une oasis tropicale d'une centaine d'hectares dans le quartier cossu de Coral Gables, à quelques jalons de Porsche de Miami et de Coconut Grove.

C'est dans ce manoir méditerranéen, ses loggias à colonnes, ses terrasses et ses fontaines qu'officie Pablo.

Publiquement professeur de tennis, il a eu fait un petit classement professionnel dans les années 90. Subrepticement Pablo s'affiche playboy au mandement et galant à louer, à ce jour Pablo est le gigolo en titre du Biltmore Hôtel.

Sa technique d'approche change très peu.

Sur les courts, Il corrige délicatement les revers et les coups droits en calant son entrecuisse au dos de la dame, sa tête dans son cou, la voix suave, le geste précis, le souffle ardent.

La femme, assurément déjà au fait de l'arrangement se laisse charmer, séduire et appâter si bien que la leçon ne dure d'ordinaire que très peu de temps.

Avec toujours la même complicité feinte du réceptionniste de l’hôtel, le couple monte furtivement dans la suite adaptée. La grande spécialité de Pablo reste la salle de bains. De grands et volumineux tapis ont été alors disposés sur les marbres où l'amant enflammé offre ses charmes, exécute d'experts frôlements, de savants cunnilingus, de virtuoses coups de reins.

Comblée la cliente s'endort dans les bras de son minet avant de le suivre au bord de l'immense piscine de l’hôtel, la plus grande du monde durant longtemps où Johnny Weissmuller, lui même, fut professeur de natation.

Le couple y finit l'après midi et maints verres de Mojito fraise alangui sur de moelleux transats entre deux baignades.

La clientèle de Pablo reste presque essentiellement française. Pablo joue du charme de son accent hispanique quand il essaie de jongler avec la langue de Molière. Et puis il trouve que les françaises du Biltmore Hôtel possèdent toutes un certain sex-appeal, un chic, une élégance naturelle, et enfin et surtout le travail de chirurgie plastique y est soigné, fin et raisonnable, le volume des seins bien pensé, les liposuccions bien étudiées, les lifting discrets et le Botox dosé.

A ces quelques françaises les plus huppées uniquement, pour une bonne poignée de billets verts, Pablo réserve parfois une escapade romantique dans son ancre à Key West. Le dessein de toute sa vie de gigolo consiste à finir de payer les traites d'un petit voilier dans le port de l'ile « du bout de la route ».

Pablo s'y rend régulièrement accompagné à bord d'une bonne vieille Jeep décapotable qui avalent poussive les 135 miles de l'Overseas Highway et ses quarante deux ponts. La US One, route mythique suspendue au dessus de l'océan bleu caraïbe les mène en quatre bonnes heures jusqu'à la petite ville insulaire, le point le plus au Sud des Etats Unis.

Key West égrène nonchalante ses maisons traditionnelles en bois nichées dans une verdure tropicale plus entièrement américaine et pas encore définitivement cubaine où toute une foule de gallinacés déambule en liberté. Pablo traîne bras dessus bras dessous avec sa poule sur Duval Street, ils flânent doucettement jusqu'au port.

Sur le bateau, Pablo sort encore le grand jeu la salade de fruits frais et le champagne californien puis le voilier prend le large sur la mer azuréenne, en attendant de voir le soleil empourpré les flots , les amants folâtrent sur la barrière de corail.

Le lendemain matin après un véritable American Breakfast, Pablo amène sa cliente visiter la maison d’Hemingway. Galant toujours empressé , il lui susurre de nombreuses anecdotes sur la vie parisienne de l'écrivain en déambulant parmi la foule dans la fameuse bâtisse. Le clou de la visite reste le sous sol inaccessible aux visiteurs. Au moyen d'un gros bakchich, Pablo a une entrée permanente agrémentée de quelques agencements. Le couple peut descendre alors dans la cave à vins que Pauline, la deuxième femme de l'illustre propriétaire des lieux, raffinée et connaisseuse approvisionnait en grands crus classés, Hemingway s’empressait de consommer.

En ce lieu, au frais, dans une alcôve aménagée, Pablo effectue son ultime coït avant de reprendre la chemin de Miami.

La route s'affale sous la Jeep, un long ruban qui se déroule sur l' Océan Atlantique.

La femme, les cheveux au vent , béate de son escale romantique pense à tout ce qu'elle aura à raconter à ses vieilles copines du club de bridge de Neuilly.

Pablo lui compte ses mensualités, bientôt le voilier sera totalement à lui. C'en sera fini des teintures gominées, de l'auto bronzant anti UV, du rasage bi quotidien, des pilules gingembre ginseng aphrodisiaques, des exercices abdos fessiers matinaux.

Il partira le nez au vent, une glacière de canettes fraiches de Budweiser, libre avec la seule compagne qu'il ait jamais aimée, belle et indomptable, la mer.

  • Une fois à flot, Pablo prendra la vague pour vivre sans amarres ;)
    Beau texte Sophie, avec un je ne sais quoi de vide glamour et de soleil qui frigorifie les âmes.
    Il me fait penser (un peu) à un autre de tes textes : du elle !!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • En effet chacun a sa part dans cet échange, et Pablo a raison, il préfère la mer pour seule maitresse. Bravo pour cet écrit Sophie!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • il semblerait que tout le monde y trouve son compte...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • Intéressant et bien écrit, et il est vrai que je n'avais pas envisagé de cette manière les "contraintes" d'un gigolo. Du coup, merci (aussi) pour la réflexion.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Images 2 orig

    nouontiine

Signaler ce texte