Peut-être qu'un jour...
blandyne
J'ai la chair de poule.
Pas par peur, non, c'est juste qu'il fait frisquet. L'herbe frissonne, elle aussi. Elle ourle de son duvet soyeux une butte qui s'élève à quatre ou cinq mètres au dessus de moi. Enchâssée dans ce sursaut de relief, une maison expose sa face pâle – la seule qui soit visible.
De grandes baies vitrées font disparaître ses traits sous un teint translucide, bleuâtre, qui semble refléter le bassin étendu paisiblement à ses pieds. D'une fenêtre entrouverte se dégage une sorte d'effluve, chaleur et parfums mêlés – une odeur tiède qui m'attire irrésistiblement.
J'entre. Grâce à l'isolation géothermique, la chaleur ne quitte pas le logis au moindre courant d'air. Au contraire, elle se diffuse avec l'ampleur discrète d'un bâton d'encens, et transforme l'intérieur en un confortable nid d'oiseau tout brûlant encore du sein maternel.
Contemplation
Je me laisse tomber sur un canapé, d'où j'ai une vision d'ensemble du cocon ; l'étage n'occupe que la moitié de la surface du rez-de-chaussée, ce qui rend le plafond commun très haut et procure une sensation d'espace. Des ouvertures percent le haut d'un triple puit de lumière. Je suis ébahie par l'architecture des parois, creusées en arrière telles celles d'une grotte. Leur toucher est lisse, parfaitement poli. La transition avec la voûte est naturelle, douce, sans angles. Le secret de cet esthétique saisissant tient tant à sa régularité mathématique qu'à la rondeur des formes qui la cache.
Les meubles, sur mesure, épousent parfaitement ces courbes splendides. Ils sont sculptés comme des statues, pour faire disparaître la rigidité de leur matière première sous un élan de vie. Leur bois semble une peau qui s'étire sur leurs membres gracieux. Ils ont tous le même teint mâte, ce qui donne une unité à la pièce par rapport au camaïeu bouillonnant qui tapisse les murs et le plafond. En effet, une fresque y étale ses charmes, d'un bout à l'autre de la demeure, qui s'en trouve métamorphosée en tanière féerique – une caverne aux merveilles qui en met plein les yeux !
Où que l'on pose son regard, une émotion apparaît. La palette de l'artiste a posé une constellation d'éléments qui se mêlent, du plus sombre au plus limpide. Des paysages moulent une perspective par endroits, tandis qu'ailleurs des abstractions tatouent leurs fantasmes ; spirales, lignes de poésie, nus laiteux. La virtuosité du peintre a consisté à amasser tous ces morceaux de puzzle, et à en faire un ensemble homogène qui semble couler de source. Je pourrais passer l'éternité à contempler cette œuvre, à en dénicher sans cesse de nouveaux détails, à les réinterpréter.
Mouvements
Je me relève. Je veux embrasser la totalité de ce décor, tout voir, tout toucher. La cuisine est mignonne, un peu plus sobre car les vapeurs n'auraient pas permis une bonne conservation des pigments. Elle est carrelée d'une mosaïque splendide, dont je retrouve les motifs dans la salle de bain. Tout est spacieux, arrondi, presque vivant.
J'emprunte un escalier en spirale pour monter sur la mezzanine. Une mélodie de violon coule de deux grandes enceintes, imbriquées dans les murs à hauteur de mes yeux, mais au dessus du vide, à l'opposé en face moi. Je tombe sur un appareil, lui aussi emboîté dans l'architecture ; je peux augmenter le son, changer de CD, me connecter en bluetooth. Prise par l'envie de briser la tranquillité des lieux, je mets Nirvana en route, et le plus fort possible. C'est à ce moment que je me rappelle à quel point la musique influence sur notre perception de l'environnement : je me mets à danser, à faire de grands pas, à sauter sur les lits, à ouvrir les placards avec des gestes théâtraux !
Je redescends et cours ouvrir le frigo, dont je retire un délicieux smoothie où je fais plonger des glaçons en appuyant sur un bouton. Tous ces mouvements m'ont donné chaud. Je me renfonce dans le canapé, et fait apparaître d'un clic un grand écran camouflé par un faux pan de décor. Je remarque seulement maintenant la présence toute proche d'un chat, qui vient de se réveiller et étire vers moi ses pattes de velours. Allez, un bon petit film d'amour ne fera pas de mal… La nuit tombe sur la colline où je suis si bien lotie, au dessus d'une vallée urbaine que je peux rejoindre en un rien de temps. Je finis par m'endormir, bercée par les ronronnements de la boule de poils et le générique.
J'ouvre les yeux dans un lit normal, dans une chambre normale, d'une maison normale. Dommage, tout cela n'était qu'un rêve. Mais peut-être qu'un jour...
décidément...j'aimerais un piano dans cette maison, une guitare aussi...deux verres de chablis grand cru de Dauvissat...la senteur des lys, entêtante...peut être le concerto en sol de prokofiev après Nirvana...
· Il y a presque 9 ans ·elle invite ta maison vivante...
Nicolas Granier
Oh oui, tout cela ne serait pas de trop ! Merci encore, nicolas ;)
· Il y a presque 9 ans ·blandyne
J'aime bien ce rêve... il vote.
· Il y a presque 9 ans ·effect
merci !! ;)
· Il y a presque 9 ans ·blandyne