Photo de classe

C'était toujours mieux avant. On était plus instruit, on disait bonjour à la dame, nous étions tous des enfants sages.

C'est fou comme la mémoire peut s'approprier nos souvenirs pour les rendre aussi lisses que du papier glacé.

En ressortant ma photo de classe, il est vrai que j'ai constaté nos allures de constipés. A peine trouvons-nous quelques sourires esquissés. C'est à croire que l'enseignant chargé de nous accompagner nous avait au préalable bourrés d'Imodium. L'avantage est qu'au moins, nous avions tous des têtes de premier de la classe.

Le style vestimentaire était à l'avenant. A défaut de jupes plissées et de costumes que nous trouverions dans un collège britannique, c'est un patchwork de mauvais goût. En 1980, le pantalon en velours était classieux. Les jeans étaient rares. La mode du jean élastique que nous mettions quarante minutes à enfiler ne viendrait que cinq ans plus tard. Nous avions toutefois quitté les pattes d'eph et les couleurs se faisaient beaucoup moins criardes, presque tristes. Quant au sous-pull en col roulé, il était en voie de disparition. Le professeur de physique allait le regretter. Il évitait de sortir la peau de lapin quand il devait expliquer l'électricité statique. Une horreur qui me hérissait les poils quand un ongle mal coupé venait à se prendre dans la texture synthétique.

L'onde capillaire de Mireille Matthieu se faisait toujours ressentir. A moins que, je n'en ai trouvé aucune trace par les moteurs de recherche, une crise des vocations ou d'inspiration ait atteint les coiffeurs au début de la décennie. La coupe se voulait androgyne et playmobilesque. Seules les mamans avaient le droit au brushing.

On aperçoit une paire de botte d'hiver qui semble avoir été rapportée par Jean Malaurie au retour d'une expédition chez les Inuits.

A la télé, Patrick Sabatier devenait l'incontournable présentateur d'Avis de Recherche. Je rêvais de devenir célèbre pour reconquérir, quarante ans après que nous nous soyons perdus de vue, ma fiancée Valérie Grassart. Nous ferions alors les beaux jours de France Dimanche immortalisant sur pellicule nos retrouvailles par un baiser langoureux. Au mariage, nous aurions invité Michel Sardou, Johnny et Dalida.

Que sont-ils devenus tous ces gentils camarades ? Nous habitions Caudry, une petite ville industrieuse connue pour ses dentelles. S'ils n'ont pas eu la chance de pouvoir s'extraire de leur condition, qu'à l'époque je ne dénigrais pas, sont-ils au moins heureux ?

Je ne sais alors si je dois être nostalgique ou heureux. Je me dis tout au moins que la vie ne m'a pas été trop défavorable au vu du chemin parcouru. Alors Christophe, respire. Sois moins con avec les autres et prends le temps de voir grandir tes enfants. Tu es à mi-parcours de ta vie et tu devrais savoir que les occasions d'être heureux sont précieuses et qu'elles ne se limitent pas au matériel.