Place des Vosges

fran

Hier, la tombée de la nuit, j’ai remonté la rue de Rivoli entre Châtelet et Bastille. Au début, je flânais. Puis, de plus en plus vite. J’ai fini au pas de course. Les souvenirs me martelaient la tête.

Au niveau de Saint Paul, j’ai tourné la tête à gauche et j’ai eu un pincement au coeur.

Je me suis souvenue d’un soir d’été, il y a six mois à peine. Nous avions mangé sur une terrasse qui bordait la place des Vosges. C’était la première fois que nous dinions en tête à tête. J’étais tendue, quelque chose naissait. Je sentais cette attirance nouvelle, qui se faisait jour, entre nous, secrètement, au travers des mots échangés. Anodins, les mots. Chargés de sens caché. Il s’était assis le premier, dos à la place. Je m’étais assise face à lui, dos au restaurant. Nous avions commandé du vin, il avait allumé ma cigarette, des extra light, pour tuer les poumons en douceur. J’étais face à lui, seule à seul. J’étais face à lui, en rendez-vous. J’étais avec lui, ce n’était pas normal. J’avais envie de lui, je ne me l’avouais pas. Et l’entrée était arrivée. Des paniers de gambas, des avocats, du pamplemousse, pour briser la tension, quel soulagement. Nous en avions parlé. Leur goût, leur présentation, leur originalité. Il faut parler des choses simples, de la nourriture, du temps qu’il fait. Tous les moyens sont bons pour voiler l’essentiel. Lui, moi, nous. Nous deux.

Hier soir, je marchais vite dans Paris. Je fuyais les souvenirs. Nous deux ne fonctionne pas, nous deux n’existe plus et je ne retourne jamais place des Vosges. Quand j’ai tourné la tête à gauche, quand j’ai aperçu les lieux, quand je les ai embrassés du regard, j’ai détalé. Je ne voulais pas les revoir et me remémorer ce moment, anodin hier, crucial aujourd’hui.

Lorsque le plat principal était arrivé, je l’avais laissé toucher mon collier. Lorsque le café était arrivé, je l’avais autorisé à me prendre la main. Lorsque le taxi était arrivé, il y avait eu beaucoup de digestifs. Les langues s’étaient déliées et je n’avais plus peur. Mes portes s’ouvraient, je laissais faire. Je me fichais de tout. Il était là, il avait envie. Moi aussi. Le moment était propice et on ne vit qu’une fois. Le chauffeur roulait, silencieux, quand il m’avait dit « embrasse-moi ». J’avais hésité pour la forme. Je m’étais approchée, j’avais fait ce qu’il attendait, normalement, en douceur, presque de sang froid.

J’aurais du en rester là. Je me disais cela, hier soir, en marchant vers Bastille, à grandes enjambées, ma mémoire à mes trousses.

Le taxi s’était arrêté devant chez moi. Il n’avait rien dit, je m’étais tue. Il était descendu, il m’avait suivie. Il était monté, comme convenu. Je savais ce que je faisais. Je couchais avec un homme sans lendemain. Je pouvais le faire. Rien n’interdit rien, tant que le coeur reste à sa place. Tout le problème est là, dans le coeur.

Hier, l’espace d’un instant, quand j’ai tourné mes yeux vers la gauche, quand j’ai dépassé la place des Vosges, j’ai senti que mon coeur n’était plus à sa place. Il n’était plus en moi. A côté ou derrière. Handicapant. Mon coeur me ralentissait dans ma fuite. Alors, je l’ai détesté. Je l’ai accusé de ne pas accepter les règles du jeu et de ne pas se remettre comme les autres. Je suis arrivée à Bastille. Je n’avais plus envie de courir. J’ai attendu le bus en regrettant d’avoir dîné place des Vosges, un jour, il y a six mois, quand mon coeur était à l’intérieur.

Signaler ce texte