Prisonnière

fran

J’aimerais sortir, être de l’autre côté de la barrière et ne plus rien avoir à faire avec lui, jamais.

Tout a commencé il y a trois ans. J’avais une dette. Il me fallait gagner de l’argent, vite, beaucoup. Et j’ai vu cette annonce évasive. Disponibilité, discrétion, bon relationnel, rémunération très attractive. Je ne savais pas si je conviendrais, je ne savais pas si je saurais le faire. J’ai appelé. Au bout du fil, une voie basse, au débit rapide. L’homme était pressé, il n’avait pas de temps à perdre. Rendez-vous 22h30, Montparnasse, Novotel, chambre 309. C’était étrange. Le lieu, l’heure. Et cette façon de parler qui ne laissait pas le choix.

J’étais face à lui dans la chambre d’hôtel, je me souviens. Tout était noir. Costume noir, cravate noire, mallette noire. La quarantaine. Je me suis assise sur le coin du lit. Il ne parlait pas. Il me dévisageait, accoudé à la fenêtre. De temps à autre, son sourcil droit se fronçait. S’il sortait un flingue ? J’épiais ses moindres gestes. Et si c’était un violeur ? Je savais que je faisais fausse route. Il fallait que je me lève, que je dise non merci, vite.

Je ne l’ai pas fait. Il y avait enfin de l’aventure. Je ne pouvais pas rater ça. Il a tourné la tête, il a jeté un œil dehors. Puis il s’est approché du lit et a ouvert sa mallette. Des billets. Cent euros, cinq cent euros. Rien que ça. Il y en avait partout, des centaines, peut-être plus. Je tremblais. Dire qu’il suffisait que j’étende le bras, que j’abaisse ma main. Je n’avais qu’à piocher et je pourrais les rembourser et je pourrais respirer et je pourrais vivre. Libre.

Il était maintenant à quelques centimètres de moi. J’ai détourné mon regard des billets, gênée. Il souriait. Une marque de sympathie ? Silence. Puis il a parlé. Il expliquait combien il payait, ce qu’il attendait de sa recrue. Ses mots étaient bien choisis. Rien de négociable. A prendre ou à laisser. Je n’en voulais pas. Je ne pouvais pas devenir une passeuse d’argent. Je ne pouvais pas me mettre en danger pour quelques grammes de poudre blanche. Je le regardais, noir, dans la pénombre. Je ne l’écoutais plus vraiment. Seule sa voix grave et posée parvenait jusqu’à moi. Elle me transcendait, elle m’emmenait loin. C’était inédit, alors j’ai signé.

Quelques jours plus tard, il m’a rappelée. 23h15, Mercure, Batignolles, chambre 208. Il me convoquait pour ma première mission. Il s’agissait de cocaïne d’Amsterdam. Elle était arrivée dans une Peugeot 307 grise, cachée dans les pare-chocs. Elle était là, à Dupleix, planquée dans les boîtes d’archives d’une entreprise au patron malhonnête. Il n’y avait plus qu’à apporter l’argent rapidement. C’était mon rôle.

Je me suis installée au coin du lit, comme au Novotel, le jour de notre rencontre. Il a tout expliqué calmement. Il suffisait de prendre le sac qu’il avait préparé, de monter dans la voiture qui attendait devant l’hôtel, d’en descendre quand elle s’arrêterait, de grimper au troisième étage du bâtiment, de sonner à « Scorez », d’attendre qu’on ouvre, de donner le sac, de redescendre et de monter dans une nouvelle voiture. Elle me ramènerait au Mercure où je récupérerai l’enveloppe contenant ma rémunération. Etait-ce clair ? Tout était clair et il me fascinait.

Une heure plus tard, Scorez avait son argent, la cocaïne était réglée et je sonnais de nouveau chambre 208. Il était là, assis au bureau, dos à moi. J’avais juste à prendre l’argent et à partir. Mais je restais plantée là. J’avais envie d’être ici, je sentais un désir incontrôlable s’emparer de moi. Approchez. C’était presque un ordre. Il s’affairait. Il arrangeait des traits de cocaïne avec sa carte bleue. Je n’avais jamais essayé. Je ne voulais pas. Ses lignes étaient blanches comme neige, parallèles, régulières. Il s’en est pris une, il s’est retourné, il m’a tendu sa paille. Je n’ai pas pu dire non. Il a pris sa deuxième. Puis c’était de nouveau mon tour.

On ne s’arrêtait plus de parler. La cocaïne était de qualité et nous avait rendus très loquaces. A un moment, il a quitté le bureau pour le lit. Venez, c’est plus confortable. Il ne fallait pas. Venez. Quelle autorité. Je me suis assise à ses côtés. Après, je ne sais plus très bien. Ses épaules s’abaissaient et se relevaient. Sa langue me pénétrait la bouche. Son sexe me transperçait les chairs, faisant des va et vient, au plus profond de moi. J’avais mal et c’était bon. Puis, il a joui. Mes seins, mon ventre, tout était chaud, tout était humide. Je voulais rester mais il s’est relevé mais il s’est rhabillé mais il fallait partir. J’ai pris l’enveloppe, j’ai refermé la porte derrière moi.

Depuis ce jour, je regarde dehors, personne ne me force à rester mais je ne peux pas sortir. Je suis accroc.

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