Plastique
petisaintleu
Je suis le septième continent, le fils ainé du dieu Pétrole. Il en a fallu des ères, du grand dégorgement magmatique à la formation de la Pangée, avant qu'elle-même n'enfante le Gondwana et la Laurasie. En un éclair, un siècle, j'ai conquis le pacifique océan, progressant avec ruse, étendant mon emprise d'une plastique douteuse.
La boucle est bouclée. Quoi de plus normal ? Je rends aux océans la myriade de plancton qu'ils ont patiemment digéré et métamorphosé depuis leurs entrailles sédimentaires. Ils ont fléchi au gré des plissements hercyniens me servant de cocon et ils ont accouché d'une montagne d'or, plus noire que les pensées les plus sombres. Le pélagos s'enchaîne désormais à mon ersatz organique, précieux allié diffusant mon poison au sommet de l'espèce d'ectoplasme qui, à l'acmé de sa goinfrerie, se transformera en fossoyeur à recouvrer le nihilisme sans fin du cosmos.
Il restera au cœur du vide sidéral une planète orpheline. À moins que, suite à l'asphyxie, l'avenir ne soit anaérobique. Des profondeurs surgira une armée des ombres, résistante à toute tentation de gâcher les lendemains, sage ignorante décervelée avec l'unique ambition de nettoyer les traces de bitume.
Naweed remit son âme entre les mains du Seigneur. D'ici cinq miles, le pétrolier allait s'écraser sur les récifs de Pen-ar-Glaz. Il demeura sourd aux supplications des garde-côtes de la station radio du cap de Klervanec. Aux informations, on ferait le parallèle avec le pilote de la Gerwanwings. Les réseaux sociaux établiraient le lien avec ses origines iraniennes, ces imbéciles confondant son ascendance persane et les dingues massacrant les chiites, les catholiques et les yésidis. Lever l'ancre lui avait permis de mépriser cette médiocrité. Jusqu'à ce jour d'octobre, non loin des rivages maltais, où son navire éperonna des centaines de cadavres ayant eu la naïveté de croire en une nouvelle aube septentrionale.
Il donna l'ordre de couper toutes les alimentations électriques. Les marins philippins s'exécutèrent par fatalisme puis se regroupèrent au mess, ils s'agenouillèrent et ils prièrent alors que les éléments cognaient contre la coque, caisse de résonnance préfiguratrice du tourment des damnés. Du pont supérieur, le capitaine scruta l'horizon pour apercevoir en cette nuit d'une obscurité d'asphalte les effleurements qui seraient son inéluctable tombeau.
Erwan fut réveillé à six heures par une inhabituelle odeur de mazout, si forte qu'elle lui donna la nausée et ranima sa migraine. Les effluves détonnaient avec le ciel qui s'était purifié des nuages crasseux durant son sommeil, victime d'un déluge d'une telle ampleur que la Cornouaille n'en connaissait que deux à trois par siècle. En arrivant sur la grève, le spectacle s'apparentait à une vision d'apocalypse. Un Léviathan couché sur la droite, déversait son sang d'encre en un appel désespéré de ses flancs d'acier vers ses congénères qui croisaient au large.
Bien qu'il vomît trois fois, il continua d'avancer, hypnotisé par l'incongru de la situation, fasciné par le contraste de l'azur et de la mer recouverte d'une pellicule visqueuse, absorbant de sa laideur l'environnement qui perdait de son naturel à chaque ressac. Il ne rêvait pas. À quelques brasses, une chose s'agitait. Encore une dizaine de pas et il crut à un cormoran poissé. Quand celui-ci se redressa, il songea à la punition du goudron et de plumes pratiquée à châtier les traites, les voleurs ou les Afro-américains. Le marin mourut entre ses bras, le regard noyé par un dernier souvenir d'Ispahan, Esfahan Nesf-e Jahān, la moitié du monde.
Deux ans plus tard, il apprit qu'il était atteint d'un cancer de la peau. À la période d'Uruk, au temps de l'antique Mésopotamie, on utilisait le pétrole contre la toux. Qu'en sera-t-il demain ? Il est peu probable qu'un bain d'essence soit la source d'un futur qui chante. Il se souvint de l'holocauste et releva la tête après avoir déposé les corps sur la plage : macareux moine, guillemots de Troïl, fous de Bassan, méconnaissables et muets dans un engluement sinistre
Zut, je dois tout reprendre ayant, comme il se doit, tout perdu; ce qui démontre bien mon intérêt et ma motivation. Des deux personnes signataires, je me nomme Fî et je prends tout à ma charge. Je n’essaierai pas de recourir à ma mémoire et de m'infliger le concept de "la perte."
· Il y a environ 8 ans ·Donc voilà. À la lecture je me suis posée cette première question : "Mais à qui s'adresse ce mec." J'ai dû consulter mon dico plus d'une vingtaine de fois, afin de bien saisir l'à-propos de l’auteur. Termes inconnus, référents demandant éclaircissements, etc. Puis, après un certain temps, je me suis laissée bercer par les mots, les phrase, les paragraphes, les enchaînements et j'ajouterais la poésie - un peu comme si on me racontait une histoire époustouflante, celle des "mille-et-une-nuits" mais, ce, demeurant limitrophe d'un « ésotérisme » : "À son sens premier, soit l'utilisation d'un langage propre aux initiés dans une pratique; selon l’accomplissement d'un quelconque rituel." Ce qui caractériserait ce texte-ci, d'évidence, à prime abord.
Question : Est-ce que l'érudition est un don ? Sans me perdre dans ce débat, il l'est en partie et à la fois non. Il relève d'un ensemble, où la mémoire, la curiosité et l’intelligence jouent un rôle important. Donc, voici qu'on parle de Chronique. Nécessairement, pour notre érudit, ce terme conserve son sens premier : Quel est le but de sa démarche, soit : Quel est son message ? La chronique, si je saisis bien, nous parle de pétrole, du déversement de ce liquide dans nos eaux à travers le monde et les siècles. Ce même pétrole (sirop contre la toux dans une certaine antiquité), se dégénérant en hydrocarbure, matière première pour la fabrication de ces plastiques, (titre du texte d'ailleurs), que nous utilisons quotidiennement, sans nous poser la moindre question. Voilà ce que j'entends comme message. Pourtant il s’intègre dans mon esprit, avec le plaisir de lire une histoire fabuleuse.
Une chronique doit s'étayer de faits sur lesquels s'appuyer afin de démontrer le bien-fondé de sa rédaction, de sa pertinence. Donc, l'auteur, plutôt que de procéder méthodiquement, avec un tas de références assommoirs, nous entraîne dans les méandres du temps et va juste qu'à nous offrir des personnages qui donneront cette couleur véridique aux faits soumis.
Donc, plutôt que de crier à l'érudition, à un langage quasi métaphorique, ésotérique, réservé aux initiés, j'y vois tout un chapelet de plaisirs à déguster. À maints égards, ça me rappelle ce romancier-écrivain : "Ken Follet", qui créé des univers de fiction au travers de faits historiques reconnus. Je terminerai par deux oppositions : "Où on adhère à la douce mélopée de cette "berceuse-sérieuse", où, on en reste à un bête constat d'érudition qui semble conférer à l'auteur un certain snobisme intellectuel.
Vous me voyez désolée par cet immense commentaire, mais, il me devenait nécessaire. Au plaisir, ( Fî )
ivia-fi
Quel commentaire et que répondre ? A érudition, je réponds précision des termes. Pour le reste, je me suis déjà expliqué dans d'autres commentaires. Je considère qu'une fois écrit, le texte ne m'appartient plus. C'est à chacun de se l'approprier (ou non) et de s'en faire sa propre interprétation. Je ne suis en rien un intello, je ne suis qu'un besogneux qui se bat avec des mots.
· Il y a environ 8 ans ·petisaintleu
Oui, je comprends bien cette idée. Inévitablement le texte ne nous appartient plus, je suis bien placée pour le savoir avec mes/nos Haïkus. D'un autre coté, j'aurais aimé une réponse plus subjective, donc issue de ce qui vous colle à la peau. Question : Que pensez-vous de ce commentaire, dans une (pseudo-analyse), se pourrait-il que ce soit une vision qui puisse s'avérer exacte dans sa structure, son appréhension. Me voilà bien désolée d'insister. Pour ce qui est de l'intello, je crois que mon texte règle définitivement la question. Jongleur de mots, c'est intéressant, mais ça demeure un os sans moelle. Donc, ce que j'aimerais, c'est de valider ou d'invalider l'échafaudage que je fais de votre chronique, surtout de son message et nonobstant vos textes antérieurs. Si la chose vous plait, je suis preneuse. Merci d'avoir pris le temps de me répondre, amitiés, Fî
· Il y a environ 8 ans ·ivia-fi
Magnifique texte terrifiant. Demain je fais du vélo…
· Il y a environ 8 ans ·nyckie-alause
Superbe écrit , qui fait frémir ...
· Il y a environ 8 ans ·marielesmots