Portrait d'un inconnu

poulpita

Inoubliable.

Samedi d'hiver. Le soir. Place Aux Herbes. Pavés irréguliers, facettes humides. Il fait sombre et froid. Des grappes d'étudiants agglutinés dans la lumière de la Boîte à Sardines. Écharpes colorées, blousons courts, bottes fourrées et cuirs. Le doré de la bière, le rubis et la cannelle du vin chaud. La buée sur les vitres fines coulerait sous un doigt léger. La porte du bar claque sans arrêt, avec la danse désordonnée des fumeurs. Tout le monde s'en fout. Brouhaha des années libres. Musique de basse et de guitare.

Tu es là. Entouré, d'amis, des blondes, des bruns. Tu es là. Le visage pâle, fatigué. La mine du gars qui se lèvera tôt demain et se couchera tard ce soir. Il est tard. Tu bois. Ton regard se fixe, de temps en temps. Précisément de l'autre côté de la place. Précisément sur la terrasse d'où je t'observe, la terrasse chauffée du bar de la Renaissance, presque déserte. Comme le samedi précédent. Dans la pénombre teintée de rouge, tu fixes quelque chose par ici. Le doute plane.

Est-ce toi que j'ai aperçu ce mardi de pluie, dans le crissement du tramway. Est-ce toi que j'ai croisé ce mercredi glacé derrière ce mur de livres savants. Est-ce toi qui regardais la neige tomber, vendredi, devant les affiches de cinéma. Est-ce encore toi qui porte une bière à tes lèvres, ce soir, Place aux Herbes, en souriant d'un air distrait. Un air de regarder par là. Un air de compter les pas. Un air de peser. Un air de regretter que la nuit avance si vite.

Inconnu. Ton visage m'est familier. Une évidence. Comme un camarade revenu, un fidèle cousin qui débarque, un tambour de mon enfance. Tes yeux, la ligne de ton menton, la vague de ta fine bouche. Tout me parle me semble-t-il. Je crois lire la même évidence, dans tes coups d'œil indiscrets. De la boîte à Sardine au bar de la Renaissance. Cinquante-six pas. Le ciel est noir. L'horizon vide. Inconnu. Nos regards muets ne traceront aucun pont. La Place aux Herbes demeurera infranchie. Nous ne parlerons pas. Ni ce samedi, ni le samedi suivant.

  • Ouf, le pont ne s'est pas fait. Cela aurait tout gâché ;-).

    · Il y a presque 9 ans ·
    Amour anarchie

    yeager

  • aah suis content de te lire et c'est toujours un plaisir comme d'habitude, j'aime la fluidité de ton style et sa finesse en sous texte, toujours aussi forte :)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    P 20140419 154141 1 smalllll2

    Christophe Paris

    • Merci Christophe.
      Je rougis de plaisir ! (et j'apprécie le compliment)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

  • I like it!

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Which makes me proud of it :)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

  • Pourquoi ne pas faire le premier pas
    Le premier pas
    J'aimerais qu'elle fasse le premier pas
    Je sais, cela ne se fait pas
    Pourtant j'aimerais que ce soit elle qui vienne à moi
    Car voyez vous je n'ose pas
    Rechercher la manière
    De la voir, de lui plaire
    L'approcher lui parler
    Et ne pas la brusquer
    Lui dire des mots d'amour
    Sans savoir en retour
    Si elle aimera
    Ou refusera ce premier pas...
    kiss
    Claude Michel Schönberg - Le premier pas - 1974 - YouTube
    www.youtube.com/watch?v=H4BsbBnlADU

    · Il y a plus de 9 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

    • Très approprié, merci Vivi !

      · Il y a plus de 9 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

  • Joli pont de liane au sujet d'un acte manqué mais d'un texte réussi.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Droopy bogie orig

    koss-ultane

    • Merci, tout le plaisir est pour moi.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      La libertad   schiele

      poulpita

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