Pour jouer de la musique qu'on disait...

Marine Poirier

            Un jour on s’est rencontré. Comme ça, pour rien, ou pour pas grand-chose. Pour jouer de la musique qu’on disait. De la musique …

Quand on s’est rencontré, c’est plutôt au jeu de la bouteille qu’on a joué : la bouteille, on l’a vidée à deux le plus rapidement possible et on s’est embrassés. Violemment. Sur un banc, au milieu des quelques passants qui s’aventuraient encore sur les quais de la ville à cette heure tardive. Ca faisait longtemps qu’on ne m’avait pas embrassée comme ça : tout à fait comme dans les films, si si ! et c’était beau… et c’était fort… et c’était fou un peu.

Les passants, on ne les entendait même plus, des fantômes ouais, comme s’ils survolaient doucement le béton pour ne pas nous déranger. Et nous, on s’embrassait, il faisait froid, mais on s’en foutait, parce que nous, on s’embrassait.

Et alors on s’est levé du banc comme ça, et on a marché le plus vite qu’on a pu, et on riait même. Parce qu’on se désirait.

La lumière éblouissante des lampadaires dans les rues qu’on traversait, les chiens, les clochards qui pissent contre le mur la bière à la main, les talons des filles qui claquent sur les pavés, les chants bruyants des types titubant bras dessus bras dessous, une ruelle, puis une autre, la porte ouverte d’un immeuble, son couloir noir, mon corps pressé contre le mur et puis ses lèvres, ses mains, son souffle, mon souffle, et la lumière, les voix, et nos rires qui traversent rapidement la rue pour arriver jusqu’à mon immeuble.

Les escaliers qui tournent plus que jamais, le trou de la serrure plus petit qu’à l’accoutumée, putain de porte, putain de clef, putain de… CLAC, la porte qui s’ouvre, et nos vêtements jetés n’importe où…

            Ce matin-là, je me demandais bien ce que je pouvais bien foutre dans les bras de ce mec-là. On ne se reverra pas de toute façon. Nous deux, c’était comme ça, rien de plus.

            Et puis on s’est revu. Pour faire de la musique qu’on disait. Qu’on a faite. Avec nos deux guitares, on a chanté et c’était bien. Et puis on s’est embrassé. Tendrement. Et on a jeté nos vêtements n’importe où…

Bref, c’était loin d’être la dernière fois, sous nos airs d’adolescents qui s’en foutent, on avait quand même du mal à passer du temps l’un sans l’autre. Et on se promenait. Et on chantait ensemble. Et on riait. Et on refaisait le monde. Et on s’embrassait. Et on faisait l’amour. Mais on n’était pas ensemble, ah non ! les couples, c’est moche d’abord. Ca s’engueule, ça entreprend des projets qui n’aboutissent jamais, ça fait pas trop l’amour, ça s’embrasse pas trop, ça se tient par la main parce qu’il le faut, ça sort aux soirées ensemble parce qu’il le faut, c’est jaloux, et ça s’engueule encore. En gros c’est sacrément emmerdant ! Mais non, on s’en foutait, parce que nous, on n’était pas un couple. Nous, on était libres.

            Et puis on se voyait souvent. Il venait chez moi, et j’allais chez lui. Ma coloc’, elle l’aimait bien même. Et ses coloc’ à lui semblaient assez bien me tolérer.

Ses gestes étaient parfois maladroits, sa spontanéité était surprenante, ses comportements étaient parfois étranges, il pouvait sembler distant comme ça, mais il m’embrassait avec une telle intensité que parfois, je croyais qu’il m’aimait. Mais non, nous ne pouvions pas nous aimer, parce que nous, de l’amour, on s’en foutait.

Quand il me faisait l’amour, c’était comme s’il essayait de décrocher la lune pour moi. Et alors un jour, j’ai remarqué à quel point ses yeux étaient beaux et bleus. A quel point ses courbes étaient sensuelles. A quel point ses mains étaient gracieuses et douces. Et à quel point il était attentionné. J’étais bien dans ses bras, c’était simple ouais, parce que tous les deux, on n’était pas ensemble et on ne le serait jamais.

            Et un jour, nous deux, on trouvera quelqu’un d’autre, parce que c’est comme ça. Mais on s’en fou, parce que nous deux, on ne s’aime pas, n’est-ce-pas ? On ira se blottir dans les bras de cet autre qui nous demandera si on l’aime, si demain il fera assez beau pour aller se promener sur la colline, à quelle heure on va aller à l’apéro organisé chez Fred et Julie et comment on va s’habiller, en nous tenant la main, en nous caressant les cheveux…

Mais nous deux, on ne s’aime pas, n’est-ce-pas ? alors c’est pas grave ?

            Et un jour, quand les autres ne seront pas là, on se retrouvera pour jouer de la musique…de la musique qu’on disait.

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