Pourquoi les éditeurs nous prennent-ils la tête quant au format des manuscrits ? (*)

jean-fabien75

Hé ouais, ils sont chiants ces éditeurs. Non contents d’envoyer nos manuscrits à la poubelle, en plus, ils nous demandent de participer à la déforestation de l’Amazonie en imprimant sur du recto seul avec un interligne double.

Non mais sérieux, c’est quoi ce foutage de tronche ?

Bon allez, concentrons-nous un peu – même si c’est quasi le week-end. Petite liste des principales contraintes et tentative d’explication.

1 – Manuscrit papier 

Eh oui, on est nombreux à se demander : mais bordel, pourquoi on peut pas envoyer son œuvre par email ?

Bon, je vais pas relever le fait que vous pensez que ce que vous avez pondu est une « œuvre », pour le reste, c’est vrai que ce serait tellement plus simple : envoyer un mail à 100 éditeurs sans bouger (enfin quasiment, juste le bout des doigts).

Y’a pas mal de raisons à cela en fait, mais prenons les plus évidentes. Permettre de recevoir des manuscrits par email, c’est accepter d’en recevoir plus. Or, la gestion des manuscrits entrant, ça coûte cher à un éditeur (il faut les lire, s’énerver dessus, les classer, les stocker, etc.).

En demandant une impression papier, on a plus de chances que les écrivains en devenir – ou pas – peaufinent un peu plus le truc (on voit mieux les fautes d’orthographe sur une impression physique et surtout, on essaye vraiment de le finir, car une impression coûte du temps et de l’argent), ou du moins le relisent un minimum avant de l’imprimer.

C’est, de plus, un moyen simple de limiter le flux. Une impression chez Copytop reliée, ça va taper dans les 10 euros, plus l’envoi par la poste genre 4 euros, déjà, tu élimines tous les chômeurs (ce qui est triste, car j’imagine qu’ils ont plein de trucs à raconter). Je caricature à peine la pensée d’un éditeur.

La dernière raison est plus historique (et sans doute un peu plus stupide), c’est que les éditeurs sont quand même un peu vieux jeu et qu’ils tiennent au papier tout simplement, et au confort de lecture (lire sur écran, c’est bof quand même, se disent-ils ces vieux croûtons).

2 – Pas de fautes d’orthographe

C’est une vérité qui fait mal à entendre mais un manuscrit avec trop de fautes d’orthographe a zéro chance d’être sélectionnée par un comité de lecture. Quand je dis zéro, c’est vraiment zéro. Je les soupçonne même de mettre l’apprenti écrivain sur une liste noire dans les cas les plus corsés.

Bon je sais que c’est chiant de corriger un texte, mais comment croire qu’un texte est de qualité, lorsque l’auteur n’a même pas eu le courage de corriger ses fautes d’orthographe ? Comment croire qu’il s’est concentré sur le style, sur l’histoire, s’il n’a même pas réussi à corriger ses fautes de grammaire ?

Je viens de résumer de manière caricaturale encore une fois un discours déjà entendu dans la bouche de personnes travaillant dans l’édition. D’ailleurs, les premiers cercles de lecture (comprenez les comités constitués majoritairement de stagiaire payés au lance-pierre) ont souvent pour consigne première d’écarter les manuscrits avec des fautes, sans même réfléchir (c’est ce qu’on appelle un critère objectif de sélection).

Si on essaye de comprendre la psychologie de l’éditeur, après l’impression d’un livre, il n’y a rien de pire que de trouver une faute. Or, cela arrive tout le temps. Donc, finalement, le moins y’en a au début, le moins on a de chances d’en avoir à la fin et le mieux on se porte. CQFD.

Il est aussi enfin question de confort de lecture. Quand tu lis un truc parsemé de fautes diverses et variées, t’as juste envie d’acheter un Bescherelle à l’apprenti écrivain, pas de lui ouvrir les portes de l’édition.

3 – Santé, sobriété

Ça marche pour les artères, ça marche aussi pour les manuscrits.

Sobriété doit être le maître mot de la présentation de votre manuscrit. Vous devez mettre en valeur le texte, pas votre maîtrise du pack Office – même si vous feriez assurément une très bonne assistante de Direction.

De plus, lorsque l’on lit des dizaines de manuscrits par mois, il n’y a rien de pire que de passer d’un style visuel à l’autre, c’est pourquoi les règles sont souvent assez strictes (pensons aux petits yeux de nos pauvres éditeurs).

Donc : impression sur du A4, police standard (type Times 12, surtout pas de fioritures), et grammage classique pas trop épais (70 à 80 g/m2), sinon votre manuscrit va peser une tonne et le gentil éditeur va casser sa poubelle quand il va le jeter dedans (vous n’aimeriez pas être responsable de ça, n’est-ce pas ?).

4 – La lettre d’accompagnement

Pourquoi une lettre d’accompagnement ? Mais pour se présenter tout simplement, politesse de base donc (les éditeurs aiment les écrivains polis, de même qu’ils aiment les libraires propres et le 6ème arrondissement). Pour être un poil plus sérieux, il est vrai que souvent les éditeurs recherchent aussi des « produits » à vendre, et à qualité de manuscrit égale, il est plus intéressant – économiquement parlant – pour un éditeur de parier sur un produit vendeur que sur un inconnu qui a vocation à le rester de par la banalité de sa vie (oui, je sais c’est triste).

5 – Protection du manuscrit

Faut-il protéger votre bouse ?

Mouais, franchement, pomper un manuscrit arrivé par la Poste, j’y crois pas des masses. Mais bon, si vous croyez que votre œuvre est extraordinaire et que vous avez peur de retrouver votre prose dans le prochain Marc Lévy (honte suprême), vous pouvez toujours aller là : http://www.sgdl.org/

6 – Pas d’originaux !

Evidemment, quand on dit ça, on parle pas de votre personne – même si le risque est faible. Il s’agit du truc que vous envoyez, n’envoyez pas un original. La question ne se pose plus trop de nos jours (je vois mal quelqu’un envoyer un livre déjà imprimé, ou un truc écrit à la main), mais bon sait-on jamais. Les éditeurs de toute manière ne les lisent pas et les renvoient systématiquement pour éviter les ennuis en cas de perte bien sûr (Gallimard reçoit un manuscrit toutes les dix minutes, si en plus ils devaient pas en perdre, ça deviendrait compliqué – j’allais dire « y’a pas écrit La poste », mais je viens de me rappeler que La Poste était pas la dernière à perdre des trucs).

7 – Le type de reliure

Ha oui, ça devient fin comme article, hein ?

Donc, ça paraît con, mais les reliures spirales, ça s’empile mal (et ça rime en plus).

Jusqu’à preuve du contraire, aucune maison d’édition n’a envie de passer son week-end chez Ikea à acheter des étagères Billy, donc le moins de place les manuscrits prennent dans l’étagère, le mieux ils se portent. Bref, il vaut mieux préférer les reliures plates.

8 – La mise en page

Ha, la fameuse mise en page. Pendant des mois, je me suis demandé pourquoi – oui, pourquoi bordel – il fallait faire de l’interligne double et une marge de 5 cm, sans parler du fameux recto simple (je vous refais pas le sketch sur la déforestation).

Bon, concernant la marge, il paraît que c’est pour les annotations (je parle des manuscrits qui passent le premier niveau de sélection). Concernant l’interligne double, c’est pour se rapprocher du feuillet standard (1500 signes, soit 25 lignes de 60 caractères) d’un livre au format classique.

Concernant enfin le recto simple, soyons clairs, il s’agit, à mon sens, encore d’une façon de discriminer les candidats à l’édition. En effet, l’argument régulièrement employé est que la page de gauche doit servir pour les annotations – en gros si votre manuscrit passe la première barrière de lecture encore une fois. Bon, s’ils aiment votre manuscrit, il sera toujours temps de vous demander de l’envoyer en version électronique ou de le renvoyer en recto simple, cela ne me semble donc pas rédhibitoire. De plus, pour avoir fait le tour des sites d’éditeurs, il y en a finalement assez peu qui exigent le recto strict. Donc, sauvons la planète et ne faisons du recto que pour les éditeurs un peu pénibles qui le spécifient.

Dernier point, ne pas oublier de mettre les numéros de page, certains les recommandent en haut à droite. Mouais, bof. Mettez les où vous voulez du moment qu’on les voit.

Dans tous les cas, l’idée de ces contraintes de mise en page, c’est le confort de lecture, voire la sélection sur des critères subjectifs dès lors que les critères objectifs ne suffisent plus (oui je sais, c’est débile – bis repetita).

Bon, je crois qu’on a quasiment fait le tour.

Ha oui, dernier truc (j’allais oublier) : essayez d’écrire une belle histoire quand même.

Il paraît que ça peut servir.

(Evidemment, si vous êtes la fille d’un mec célèbre et que vous avez eu une relation sexuelle avec DSK, ça peut aider aussi).

(*) pardon les tapuscrits, joli néologisme qui désigne les manuscrits tapés à l’ordi (je n’ose dire à la machine, on n’est pas dans Misery).

  • @Feather : l'avis d'un oeil pro, c'est pas en envoyant un manuscrit que vous l'aurez (imaginez bien qu'ils ont autre chose à faire). Le mieux serait de vous adresser à de petites structures associatives ou des forums d'auteurs.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Jean fabien2

    jean-fabien75

  • Oui, mais par exemple, si on veut juste un simple avis d'une œil pro, savoir si on est sur la bonne voie, pas être obligé de faire un bouquin avant de savoir...C'est pas possible ?

    · Il y a presque 11 ans ·
    Poppy 834203 640

    feather

  • @Lafarady : image... intéressante :-)

    · Il y a environ 11 ans ·
    Jean fabien2

    jean-fabien75

  • C'est clair... la faute... c'est comme la culotte de ta copine que tu viens d'arracher avec tes dents, et dans laquelle tu découvres un paquet de trucs colorés...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Th  tre orig

    lafaraday

  • @Arhtur : pas con, merci pour l'astuce.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Jean fabien2

    jean-fabien75

  • Pour la protection du texte, un moyen simple, s'envoyer son manuscrit cacheté à la cire par la poste, la date fera foi de l’antériorité de l'oeuvre en cas de plagiat

    · Il y a environ 11 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • @Ghost : le blog de stoni, je l'adore :-)
    @Laurent : pas faux !
    @Tom : ha ha

    · Il y a environ 11 ans ·
    Jean fabien2

    jean-fabien75

  • Excellent, tu as réussi à me faire rire avec un sujet plutôt consternant, mais moi je m'en fous mon père c'est Patrick Sébastien et je vais bientôt sortir un concept-book de 800 pages consacré au petit bonhomme en mousse...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Yinyang

    gordie-lachance

  • Amusant. On peut copier coller ce texte, en remplaçant "manuscrit" par " maquette, et " auteur " par "musicien".
    On gagne du temps avec Ctrl C.
    Ne reste plus qu'à rajouter les piercings aux nombrils des stagiaires et on est bon.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Lo new york

    riatto

  • BRAVO !
    un très très bon topo sur le sujet (ça sent le vécu - et remarque, en ce qui me concerne, j'aurais fort bien pu écrire "vaincu" ;-).

    Allez, pour les plus téméraires, assoiffés ou même curieux, vous pouvez aussi suivre ce lien parfois très instructif vers un blog traitant du sujet: http://stoni1983.over-blog.com/
    (et merde... je sens vais encore me faire des amis dans le monde de l'édition, mais bon, j'en ai déjà tellement - lol)

    · Il y a environ 11 ans ·
    936full the mask artwork 150

    (Ex Ghost Of) Napoléon Zér0

  • ha oui, ça j'ai l'habitude des "vents" des éditeurs :-) (c'est pour ça que je suis toujours décoiffé)

    · Il y a environ 11 ans ·
    Jean fabien2

    jean-fabien75

  • Oups! Je crois que je vais rester inconnue.
    Je me souviens avoir fait relier ma "thèse" dans début 80,(tout en recto, d'ailleurs!) ça m'avait couté un bras et pas rapporté une mention pour autant!
    Bien analysé, habitué à vouloir être edité?

    · Il y a environ 11 ans ·
    59577 1501068244230 1159900199 31344222 178986 n 465

    Choupette

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