premier rendez vous

Juliette Delprat

Le  8 février 2013. Date de premier rendez vous.
Je me prépare à ce premier rendez vous comme je l'ai fait pour chacun des premier rendez vous amoureux que j'ai connu. Il ne s'agit pas d'une démonstration de beauté à laquelle je m'apprête, mais bel et bien à un conditionnement psychologique, comme l'entrainement mental d'un sportif de haut niveau qui sait que pour y arriver il va devoir se dépasser. Car il faut le dire, les premiers rendez vous ce n'est pas mon fort, et en l'occurence je ne suis pas certaine d'y arriver.
Ces instants me mettent sous pression. J'y vois une énième occasion de devoir paraitre: démontrer que l'on est brillante, mais pas arrogante. Se montrer forte mais pas insensible. Laisser entrevoir sa sensibilité sans avoir l'air sur le fil.  Or je suis sur ce fil. Je suis fragile quand je parais forte, j'y mets tellement d'application que l'on finit par y croire, moi la première, par moments.
J'annule souvent les rendez vous , à la dernière minute sans crier gare, juste un sms, un mail, même pas un appel. Certains hommes que j'ai connus m'ont qualifiée de courant d'air, je n'ai pas tout de suite capté l'importance de cette image, je n'y ai pas vu mes angoisses étouffées, ma peur de l'engagement, et encore moins celle de me mettre à nue, au sens propre comme au sens figuré. Aujourd'hui je comprends, être un courant d'air ce n'était pas un compliment. Avec le temps j'ai appris a faire face a certaines situations. Mais pas toutes.Pas encore.
Ce 8 février,  j'ai envie de me dérober, d'être un courant d'air. Je passerai, furtive et invisible sur le lieu du rendez vous, pour voir sans être vue ainsi je  repartirai si d'aventure l'angoisse venait à monter. Si je vois que le climat est favorable je reprendrai forme humaine : "Enchantée, Juliette".
Au lieu de cela, je décide qu'à 34 ans il est temps pour moi d'être adulte. Pas de magie ni courant d'air, au lieu de cela je me livre à des projections les plus farfelues les unes que les autres pour être sûre d'envisager et surtout d'anticiper toutes les situations dans lesquelles je pourrais me trouver à 12h, heure de la rencontre. Je répète conscienceusement mon discours préparé, les gestes qui l'accompagneront, l'assurance et la contenance que j'essaierai de me donner. Le tout en sachant pertinement que le moment venu plus rien ne se passera comme prévu, et ce malgré mes nombreuses répétitions appliquées devant mon miroir ou au volant de ma voiture.
Midi arrive. Je suis en bas de l'immeuble,  sous la pluie de février, glacée et la tête bouillonnante. Je regarde autour de moi comme pour m'assurer que personne ne me verra. Je ne sais pas pourquoi j'ai eu ce réflexe un peu puéril et pathétique. Comme si je pouvais être prise en défaut. Après m'être assurée que j'étais bien seule dans cette rue je décidai courageusement d'appuyer sur le bouton de l'interphone. Une voix masculine me dit "Troisième étage, porte 6".
Dans l'ascenceur j'ai cru que mon coeur allait sortir de ma poitrine, emmitouflée dans mon cache col mes  joues étaient rougies par la pluie et la bouffée de chaleur du hall d'entrée. Je me suis demandé s'il était possible que je fasse une rupture d'anévrisme ou si ma cervelle pouvait d'un coup jaillir de ma boîte cranienne tant j'étais paniquée.
J'ai survécu, mon coeur n'a pas déraillé, ma cervelle est restée en place, je rencontrais mon psy pour la première fois.

Signaler ce texte