Premier tango à Moulins

petisaintleu

Le dimanche, en général quand les sorties cyclistes étaient écourtées par la météo, nous partions en vadrouille. Je dois reconnaître à mon papa que ces sorties m'ont beaucoup appris sur la France, la variété de ses paysages et sur la qualité de son patrimoine.

Il est vrai qu'à l'époque, j'appréciais moyennement. J'avais d'autres priorités telles qu'une sortie au cinéma pour aller voir Massacre à la Tronçonneuse, me plonger dans Zola où m'oxygéner les hormones sur les rives de l'Allier. De plus, mon papa s'arrangeait toujours pour faire un esclandre qui me faisait honte. Il suffisait que trois enfants jouent au ballon à cent mètres de la Mercedes pour qu'il craigne une rayure et qu'ils se fassent copieusement insulter de manière préventive.

Ce jour-là, nous étions partis visiter Autun et sa région. Après avoir visité la ville en douze minutes et nous êtres recueillis devant le lycée militaire en souvenir du petit Caporal où je ne perçus aucun chant pétainiste, les lycéens étant sans doute occupés à crapahuter en rase campagne, nous fîmes une halte à Château-Chinon, histoire que mon papa lâche quelques insultes à l'encontre de Mitterrand devant l'hôtel du Vieux Morvan. Il est vrai qu'en mai 1981, il s'imaginait déjà les chars russes sur la place de la mairie de Caudry au point qu'il avait pensé à demander sa mutation en Polynésie. C'en était trop. En mai 1968, alors qu'il était responsable du bureau de Rethel, haut lieu bien connu du boudin blanc et de la contestation étudiante des Ardennes, il avait dormi pendant un mois avec un revolver chargé sous son oreiller.

Enfin, nous nous dirigions sur le chemin du retour. Mon papa respectait scrupuleusement les limitations de vitesse. Quand une voiture se faisait trop pressante et nous serrait, il aimait jouer du frein moteur en rétrogradant. Quand elle finissait par nous dépasser, il baissait la vitre pour maudire le conducteur avant de se coller au pare-chocs et, si la nuit tombait, l'éblouir en mettant les pleins phares.

De mon côté, je fermais les yeux, pour tenter de sombrer dans un semi-coma, histoire de tuer le temps. Au hasard, je pensais au devoir de maths qui m'attendait le lendemain et que je n'avais pas encore révisé, à Cécile Gache ou, si les piles n'étaient pas à plat, j'écoutais mon Walkman.

Soudain, je sentis une accélération. Je crus être un instant collé dans le baquet de la navette spatiale à Cap Canaveral. J'émergeais tandis que mon papa avait mis le son de la radio à fond, pensant pouvoir mieux entendre la voix entre les grésillements des grandes ondes. C'était l'heure où étaient annoncés les programmes télé de la soirée.

Il était question de la seconde partie des programmes. J'entendis vaguement les mots « Scandale, Brando, beurre et tango ».

Quand nous arrivâmes à la maison, le couvre-feu fut décrété. A 20h30, j'étais consigné dans ma chambre. Heureusement, Quid avait réponse à tout. Je découvris alors que Marlon avait poussé sa filmographie dans les derniers retranchements lors d'une scène d'anthologie dans une cuisine, bien loin des Révoltés du Bounty.

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