"Promenade à Honfleur" - Souvenir(s)

David Veerasawmy

Nouvelle inspirée du tableau "Promenade à Honfleur" de Félix Vallotton

Le soleil tirait doucement sa révérence en ce jour d'automne, s'enfonçant paisiblement à l'horizon tandis que les mouettes accompagnaient son départ de leurs cris stridents.



Léonard ne put s’empêcher de sourire alors qu'il contemplait le paysage. Rien n'avait changé depuis leur dernier passage. Absolument rien. Le temps avait beau avoir fait son ouvrage sur son visage, les lieux ne semblaient pas avoir souffert des affres des années passées. Des arbres tantôt touffus tantôt dénudés en passant par le port au loin qui accueillait moult esquifs aux formes diverses, Honfleur semblait s'être figée, faisant défiler inlassablement ce paisible petit spectacle.


Les souvenirs commencèrent à assaillir le vieil homme et les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'il se revit encore bambin, débarquant dans cette petite commune aux bras de ses parents. Cet endroit l'avait vu souffrir de mille égratignures à force de courir derrière les papillons et suite aux innombrables parties de ballon faites avec ses camarades de l'époque. Parmi cette kyrielle de souvenirs, un seul cependant sortait du lot, un souvenir le ramenant à ce beau dimanche de mai, veille de son 17ème printemps, où il avait croisé Jeanne alors qu'elle s'amusait à croquer le paysage de sa délicate main d'artiste.


De nature timide, il avait hésité à aller l’aborder mais prenant son courage à deux mains, il se résolut à aller lui faire la conversation. Léonard était tombé amoureux d'elle dès le premier jour, de son regard d’azur qui vous envoûtait, de ses longs cheveux bouclés qui descendait en cascade sur ses épaules et de son rire si communicatif. Elle l'invita à peindre à son tour et tous deux rires aux éclats lorsqu’ils contemplèrent le piètre résultat. Qu'importe, les deux promirent de se revoir et ce petit bout de Basse-Normandie était devenu leur lieu de prédilection.

Chaque dimanche était comme un rituel pour eux deux, ils se retrouvaient autant pour dessiner que pour refaire le monde, armés de leurs rêves les plus fous. Puis vint le jour où ils échangèrent timidement leur premier baiser, rougissant à qui mieux-mieux avant de rentrer main dans la main chez eux.

Dès lors Léonard et Jeanne savaient qu'ils étaient partis pour faire un beau périple ensemble, scellé par un « oui » fait de larmes de joie alors que le jeune homme faisait sa demande à sa promise un jour de pique-nique improvisé. Celui-ci l'invita à partir autour du monde, à découvrir les endroits les plus merveilleux et les plus incongrus, des steppes d'Asie en passant par les majestueuses plaines africaines. Leur soif d'aventures les conduisirent dans les plus beaux endroits de la planète mais au-delà des magnifiques paysages qui se découvraient sous leurs yeux, Léonard savourait tout particulièrement le moment où sa moitié s'arrêtait le temps d'immortaliser le paysage sur sa toile de lin.


Leurs aventures ne furent pas sans heurts et sans douleurs, les dangers côtoyant les moments les plus lumineux mais ils avançaient bon gré mal gré dans leur odyssée, jusqu'au jour où une nouvelle aventure commença avec l'arrivée de deux beaux enfants. Ces derniers s'abreuvèrent des années durant des pérégrinations que leurs parents leur racontaient avant de se coucher, jusqu'au jour où ils partirent à leur tour se créer leurs propres histoires.



Sortant de sa rêverie et s'essuyant les yeux du revers de sa manche, Léonard sentit la main de son épouse serrer la sienne. Il savait qu'elle aussi était repartie en arrière, revivant chaque moment clé de leur vie passée. Leur regard se croisa le temps d'un instant et ils n'échangèrent aucune parole, chacun se contentant de se perdre dans les yeux de l'autre.


Rien n’avait changé depuis ce jour où deux adolescents s’étaient rencontrés pour la première fois dans un petit coin de Basse-Normandie. Non, rien n'avait changé...

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