Promesse

mathieub

Petite réflexion sur la maladie d'A...


« Merci monsieur, c'est bien aimable à vous de prendre soin de moi ainsi. Pourrai-je savoir qui vous êtes ? »

Le vieil homme soupire et borde sa femme avant d'éteindre la lampe de chevet de crinoline rose pâle légèrement roussie aux endroits où l'ampoule a touché l'abat-jour. Il dépose un chaste baiser sur le front ridé de celle qui partage sa vie depuis plus de cinquante années et sort de la chambre, en prenant soin de ne pas fermer la porte. Elle a encore peur de ce qu'elle décrit comme sa nouvelle chambre, sa nouvelle maison, sa nouvelle vie. Il est vrai qu'elle ne vit dans cette maison que depuis quarante quatre ans, qu'elle y a élevé ses trois enfants, les a vus grandir, partir chacun vivre sa vie, et ne plus venir la voir que de loin en loin. De toute façon, elle n'est jamais certaine que ce soit eux et pas des acteurs, elle ne les reconnaît plus. Et que dire de son mari. Elle a épousé un bel homme, fort et fier, qui s'est révélé bon père, bon mari, bon travailleur. Mais qu'est-il devenu ce brave homme qui fut son mari ? Il ne lui reste plus que ce vieux machin, très gentil et attentionné au demeurant, mais un vieux machin quand même.


Le vieil homme est fatigué. Toute sa vie il fut bon et généreux. Aujourd'hui il se demande où veut en venir le Seigneur. Pourquoi au soir de sa vie, une épreuve supplémentaire lui est-elle imposée. Sa femme et lui s'étaient toujours promis de vivre et vieillir ensemble. Pourquoi n'a-t-elle pas été capable de tenir sa promesse ? Elle est là, certes, mais si peu... Elle vieillit avec un homme qu'elle ne reconnaît pas. Il vieillit avec une femme qui ne le reconnaît pas.


Le vieil homme est triste. Il se connaît, il est un homme de parole. Il tiendra sa promesse aussi longtemps que ses forces le lui permettront. Mais que la tâche est ardue ! Pas une semaine sans devoir partir au beau milieu de la nuit, réveillé par le courant d'air de la porte d'entrée ouverte. S'habiller à la hâte, quitter la maison et chercher où elle peut être partie, en robe de nuit, pieds nus. La retrouver, la rassurer et la raccompagner jusqu'à son lit au son des « mais enfin monsieur, laissez-moi donc ! ».


Puis le vieil homme se redresse. Baisser les bras n'est pas dans sa nature. Il se lève, se sert un verre de rhum, l'avale d'un trait comme quand il était jeune, tousse beaucoup sous la violence de la brûlure oubliée du puissant breuvage et contre le cours de sa vie, se surprend à sourire. Largement, un sourire simple, lui aussi presque oublié. Il est toujours cet homme fort et fier qu'a aimé la petite femme dans la chambre à côté.


Le vieil homme tiendra sa promesse. Tiens, il fait frais tout à coup. Et la porte est ouverte...


  • C'est un texte très émouvant...qui sommes nous donc ??? J'ai oublié, sans doute faudra-t-il un jour me pardonner ;)))

    · Il y a environ 10 ans ·
    Dsc 1048

    lafeeclochette743887

  • Le jour d'après...la vie qui s'échappe par la porte ouverte.

    · Il y a environ 10 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Et ne laisse derrière elle qu'un simple courant d'air...

      · Il y a environ 10 ans ·
      Fightforkiss

      mathieub

  • Très beau texte :)

    · Il y a environ 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Merci. :)

      · Il y a environ 10 ans ·
      Fightforkiss

      mathieub

  • Se souvenir des belles choses... Cette maladie fait peur, horrible pour celui qui l'a, plus horrible encore pour les proches. Ton texte est fort. Merci sw-p

    · Il y a environ 10 ans ·
    389154 10150965509169069 1530709672 n

    sophiea

    • Merci sw-p, même si je crois qu'il faut se souvenir de tout, des bonnes comme des mauvaises choses, toutes ayant leur importance et toutes étant source d'apprentissage te de construction personnelle. En ce qui me concerne en tout cas...

      · Il y a environ 10 ans ·
      Fightforkiss

      mathieub

    • Je faisais référence au film "se souvenir des jolies choses" avec Isabelle Carré et B. Campan

      · Il y a environ 10 ans ·
      389154 10150965509169069 1530709672 n

      sophiea

    • indécrottable ignare que je fais!! Je n'avais pas identifié. So sorry sweet.

      · Il y a environ 10 ans ·
      Fightforkiss

      mathieub

  • Un très beau texte pour évoquer une saloperie de maladie !

    · Il y a environ 10 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • En effet, quoi de pire que la perte de l'identité?...

      · Il y a environ 10 ans ·
      Fightforkiss

      mathieub

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