Reflet de l'autre

dechainons-nous

Encore quelques heures à attendre, quelques instants pour se décider d'y aller ou de rester. Je suis anxieuse et me sens mal à l'aise dans ce costume en tweed, mais quand je regarde dans la glace cette silhouette d'homme qui est renvoyée, il me vient à imaginer ce qu'ils peuvent ressentir dans leur pantalon.


Ma poitrine est bien aplatie sous ma chemise droite et prend la forme de pectoraux rehaussés par les épaulettes de ma veste. Le plus surprenant ce sont les chaussures, les talons plats et la forme évasée qui donne l'impression que le pied n'est pas tenu et qui obligent à marcher les jambes légèrement écartées me donne une impression d'obscénité. Je m'entraîne à effacer ce petit roulement de fesse et à chalouper ma démarche par un roulement d'épaules. Je rie et me rends compte de l'importance du poids de notre éducation, la femme roule des fesses, l'homme des épaules.


Cette invitation faite par mes voisins du dessus m'a surprise, d'habitude c'est juste bonjour / bonsoir, et là après m'avoir reçue pour dîner, ils me proposèrent cette soirée déguisée au thème "oser ce que vous avez toujours rêvé de faire ou d'être". S'habiller en homme pour une femme dans une soirée déguisée est des plus banal. Mais tous ces préparatifs et se faire aider d'un copain pour choisir les vêtements, font ressurgir quelque chose enfouie en moi depuis longtemps. Me reviennent à l'esprit ces souvenirs avec mon frère quand on essayait les vêtements de nos parents, je ne comprenais pas le plaisir qu'il avait à mettre les affaires de notre mère alors que moi j'étais très mal à l'aise avec des vêtements masculins. J'éprouvais des frissons dans tout le corps quant à la touche finale je nouais la cravate autour de mon cou.


La soirée était fastueuse, plus de deux cent personnes réunies dans ce château de Sologne. Quand j'ai pénétré dans la salle de réception illuminée par la lumière scintillant des lustres aux pendentifs de cristal, j'ai compris que je ne retrouverai jamais mes voisins parmi tous ces costumes, paillettes, loups et masques divers. J'avance dans cette foule où tout le monde sourit à tout le monde, je me dirige vers le buffet pour prendre une coupe, et à nouveau cette question : pourquoi suis-je venue ici ? Je regrette ma robe aguicheuse qui vous permet d'un sourire d'avoir deux ou trois étalons autour de vous et de commencer naturellement la conversation. Une robe un peu comme cette femme qui se dirige vers moi, ou bien vers le buffet. Allez ma fille maintenant tu es un homme, lance toi. Je lui souris tout en gardant cet air mystérieux, que j'ai souvent vu arboré par certains mâles qui jouaient la carte de la séduction.


Je lui propose un verre et j'engage la conversation. Je ressens ce plaisir d'avoir à dominer la situation et je me surprends à l'inviter à danser. Je regarde autour de moi, j'ai l'impression que tout mon univers bascule, l'ambition et l'envie de dominer me pousse à placer ma main dans le dos de ma cavalière et la guider vers la piste de danse avec toute l'assurance de ma nouvelle personnalité. Je lui fais un compliment sur sa robe à la Sharon Stone, son décolleté est somptueux, visiblement dans ce cercle très fermé les tenues sont à la hauteur des voitures sur le parking. Je me demande si le tweed n'est pas un peu rétro voire perçu comme has been. Perdu dans mes pensées, j'ai dû regarder trop instamment ma cavalière, elle a l'air gênée malgré son assurance apparente qui me semble feinte. Je lui demande son prénom, Lou me répond t-elle après une hésitation, je lui réponds : "enchanté, Leinad". Mon professeur de danse serait désabusé, lui qui ne cesse de nous répéter de se laisser guider, au risque sinon de faire banquette toute la soirée. Mener la danse était en moi depuis tant d'années que cela devient jubilatoire. Je serre ma cavalière un peu plus contre moi, et ressens son début d'érection. L'air gênée elle s'écarte, j'avais compris le subterfuge, mais je la maintiens contre moi. Ce sexe qui se gonfle c'est le mien et je veux lui faire sentir, entrelaçant plus fortement nos jambes, j'accentue les déhanchements et commence à lui caresser les épaules la main bien à plat pour rendre l'attouchement plus langoureux. Je suis très troublée par ma cavalière sensuelle qui s'abandonne dans mes bras, mais ce lieu m'étouffe et je ressens une forte envie d'intimité. Je lui propose de finir la soirée chez moi, un frisson parcourt tout mon épiderme, où vais-je trouver toute cette audace qui devient si naturelle.

Sur le parking, imprégné de mon nouveau rôle, je la dirige vers ma voiture sans me soucier de comment elle était venue, lui ouvre la portière et nous partons sans plus nous poser de question. Sur le trajet, au volant et le fait de nous retrouver seuls je perds de mon assurance. Je me risque à lui poser ma main sur la cuisse guettant sa réaction, elle se laisse aller, écarte légèrement ses jambes, et vient poser sa tête sur mon épaule.


Arrivés à mon appartement, la décoration m'apparait en contradiction avec mon nouveau style, et je me demande si Lou s'attend à l'anatomie qu'elle va découvrir. Nous nous déshabillons mutuellement, et tout en nous allongeant sur le lit nos sourires deviennent complices de cette situation, nos corps plongent l'un dans l'autre, et nos esprits fusionnent dans cette délicieuse alchimie.
 


Le jour pénétrait lentement dans la pièce, sur le lit, les deux corps méli emmêlés, je la regarde, il me regarde, mon nouveau corps d'homme me va à ravir. Ce membre moite que je tiens dans ma main est mien et me gonfle d'orgueil, elle a posé sa tête sur ma poitrine et mon bras le maintient serré contre moi, son épaule au creux de ma main. Nous nous regardons longuement nous n'osons pas parler, les timbres de nos voix rompraient cette confusion. J'enfonce un peu plus mon regard dans le sien, je voudrais lire ton trouble, t'écrire le mien. J'aperçois ce petit garçon si longtemps prisonnier en moi que je n'ai vu grandir et que je retrouve ce matin avec la petite fille qui était en lui. Les corps emmêlés tel un écheveau laissé à l'abandon, nous les regardons, nous nous regardons.

Dors petit garçon, nous allons rattraper tout ce temps d'oubli, la vie nous appartient

12/11/10

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