Renaissance

Charles Deinausard

Extrait du carnet des ciels d'été.

Ami, comment peux-tu porter à ta pensée l'idée de ne pas vivre comme un pari. La vie est un pari sur l'avenir, pas une vie de croisière, un pari permanent : celui de la fillette. Tu ne peux pas tout connaître et cette information que tu ignores, parce que tu ne l'acceptes, sera celle qui te passera par-dessus bord, pas au premier remous, pas à la première vague, mais quand après la houle vient le ressac, quand le pont est couvert d'écume et d'embrun, quand tu perds pieds et raison, foi et chagrin, quand tu n'es plus que le coquillage vide qui vient chanter l'amer, tu ne peux que faire face à l'océan de ton oubli, tu ne peux que t'abandonner à vivre : droit comme un mat, gonflé comme la voile, fier comme la proue, avec, en gouvernail, la fidélité de ton cœur, en équipage, tes âmes sœurs et reliée à ton ancre, la chaîne de tes valeurs.

Ami, même si ton but n'est plus, ta vie te vaut au-delà de ton vécu. Tu n'es pas la somme de tes expériences, tu es la somme de ta pensée, pas celle que tu retiens, pas celle que tu proclames, pas celle dont tu te réclames, ni celle qui te revient. La pensée : cette vaste étendue de mots nouveaux, qui se voulait l'Inde, mais que tu nommeras Amériques. Toi qui te croyais malingre, vois, là, ton âme écrite. Voilà ce qui te scinde, voilà ce qui te pique, voilà ta conscience pingre qui de ne pas savoir s'irrite. Parce que tu es infini, tu ne peux pas compter ta pensée. C'est une carte sans bords, une inconnue sans bornes, tu es le monde que tu abordes.

Tu as à te découvrir chaque jour. Ta vie est un pari : l'enjeu est ton voyage et ta mise, ta morale. Ces mots sont l'azurage d'un ami loyal, prend les comme le rameau que l'albatros rapporte, ou comme la joie et la rage que le marin exhale quand, après la tempête, surnagent terre et pertes. Il crie parce que ses frères d'âmes ont disparu, parce que ses repères ne sont plus, mais c'est un cri de survivant jeté dans le ciel dispersé, un cri de soulagement, un cri de ralliement, un cri de nid-de-pie, un cri bien vivant. Les jeux sont fait, mais se refont à chaque instant.

Ami, ta terre est en vue.




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