Sable blanc (5) - Tonnerre et roulade avant

cerise-david

On s’était donné rendez-vous dans un restaurant de la plage. J’avais un peu d’avance, elle serait sans doute en retard. Mais je n’étais pas pressé, je savourais cet instant. Le calme avant la tempête, je l’attendais sagement comme dans la chanson « Mistral Gagnant », assis sur un banc. Je me demandais encore qu’est ce qui m’avait poussé il y a trois jours à passer ma main sur son dos. Et m’étonnais de la rapidité avec laquelle elle m’avait propulsé à l’assaut des vagues. Cette fille était une aventure à elle seule… Elle vous donnait le gout de vous dépasser, d’aller au bout de vous-même. Elle avait aussi le pouvoir de vous détruire. Parce que c’est le genre de fille qui ne vit pas à moitié, à qui il faut tout donner. C’est dangereux d’aimer sans compter… j’étais perdu dans mes pensées quand elle est apparue au coin de notre lieu de retrouvailles. Elle me cherchait caché derrière ses lunettes noires et j’ai eu le loisir de la découvrir autrement que vêtue d’un bikini. Cette nana avait de la classe, sans doute acquise au cours de sa vie au bras de son défunt avocat. Perché sur des escarpins noirs d’une dizaine de centimètres à semelles rouges, sa robe se figé au-dessus de ses genoux. Serré à la taille, elle retenait sa petite poitrine dans un bustier chair et dentelle. Ses épaules disparaissaient sous une veste de kimono qu’on avait coupé. Ses cheveux étaient comme à leur habitude retenus en un chignon ébouriffé. Le genre de fille sur laquelle les hommes, les femmes se retournent. Elle semblait pourtant si loin de nous, inaccessible. Elle me vit, esquissa un sourire avant de s’avancer vers moi, chaloupante comme les vagues qu’elle s’amuse à dompter.

-          J’ai le droit de dire « Sublime » ?

-          Seulement si tu parles de la robe…

-          Je pensais aux chaussures… mais la robe est magnifique, effectivement.

Elle sourit, se retient de rire. Je le sens. C’est une bonne chose. Après cette après-midi, j’ai aussi envie de rire. Un fort vent nous pousse vers l’entrée du restaurant.

-          L’orage se prépare à engloutir l’océan…

-          Je ne savais pas qu’on pouvait être plus gourmand que les vagues.

Elle me propose d’aller observer la foudre depuis la dune après notre repas. Elle est surprenante…

-          On sera trempée, et puis des escarpins pour gravir une montagne de sable…

-          Quand on veut, on peut. Tu es assez fort pour me porter, avec tes séances de rame…

Elle s’installe et ôte sa veste. Je reste accroché au creux de son cou, à la naissance de son épaule. Je chavire déjà depuis 3 jours, mais un bout de peau n’est jamais le même habillé en haute couture…

Le repas se déroule dans les rires et les anecdotes joyeuses. Il me raconte son travail de serrurier, habitué donc à forcer des verrous, à jouer avec des mécanismes en tout genre. Pas étonnant qu’il soit autant à l’écoute des gens. Je me laisse parcourir du regard, je savoure le bien fou que me procurent ses yeux posés à fleur de peau… On boit assez pour délier nos langues et laisser parler nos envies, nos rêves les plus fous. La soirée est merveilleuse.  J’oublie qui je suis, d’où je viens et la douleur lancinante d’avoir été abandonné. Enfin presque. On quitte le restaurant, l’orage gronde au loin et on décide qu’on a encore le temps pour un verre dans un bar où je passais le plus clair de mon temps pendant mes vacances d’étudiante fauchée. Ce même bar où j’ai rencontré mon mari… je voulais juste y entrer avec quelqu’un d’autre, histoire de faire peau neuve et de la place pour le futur. Un petit coup de balai dans mes souvenirs… Mauvaise idée. C’était sans compter sur la présence des MNS croisés durant la journée. Je vais pour ressortir mais mon camarade m’aperçoit et vient me saisir le poignet sans me laisser le temps de faire machine arrière. Après tout s’enchaine… Je ne suis finalement que le témoin de l’orgueil des hommes qui tels des lions se déchirent pour une gazelle.

L’autre abruti sans cervelle se rua sans retenu sur elle, son regard me demanda de ne rien faire. Mais le voilà qui malgré elle la fait tournoyé entre les mâles du bar. Je la vois qui se recroqueville sur ses chevilles, mal assuré. Il lui fait perdre l’équilibre et la penche sur le côté… Elle le repousse gentiment et referme sa veste sur son précieux corps de princesse à la merci des yeux de vicelards que sont ses ivrognes du samedi soir. Je serre les poings me concentrant sur le sang qui doucement se glace dans mes phalanges. Je sens la colère monter dans mes joues… Elle est forte, je vois qu’elle résiste, je ne veux pas jouer les chevaliers servants, pas intervenir, elle serait blessé. Mais je suis un homme, avec des manières, un père qui m’a appris à me battre pour les choses qui en valent la peine. Cette fille vaut la peine qu’on se fasse cassé les dents, même pour un simple sourire de sa part. Les hommes se sont resserrés autour d’elle, comme une troupe de loup autour d’une proie, l’un d’eux l’enferme par la taille. Son visage est figé en un rictus mêlé de haine et de peur… J’attends qu’elle explose et j’interviens. Je prends un verre et la surveille. Elle se tourne vers moi et me fait signe de l’attendre dehors. Je descends mon verre d’une traite et sors prendre l’air. J’attends de longues minutes… la porte s’ouvre violemment et je la vois sortir du bar pieds nus. Le gros con qui la suit est l’abruti de cette journée… décidément ce mec s’est convaincu de me pourrir la vie. Il la rattrape et la colle contre lui. Il prend son visage entre ses gros doigts dégueulasses. Je sens le sang dans ma bouche. Je me suis mordu l’intérieur des joues. Je crache et me rapproche d’eux…

-          Tu restes. Maintenant que l’autre connard est entre 4 planches et que t’es revenue, tu restes.

Elle ne répond pas, elle est épuisée. J’avance et lance :

-          Pas de chance, elle s’est trouvé un autre connard, et pour l’instant je ne sens pas l’odeur du sapin mais plutôt celle de mon poing sur ta gueule si tu la lâches pas.

Il se retourne, je vois le visage de Léa qui murmure non. Non ! Mais l’autre brute s’est déjà jeté sur moi… Chance, je n’ai pas assez bu pour tanguer comme lui, et là on n’est pas au sommet d’une vague, il mouline des bras pour me foutre sur la gueule et il me suffit d’un pas pour l’esquiver. Quand il se retourne, mon poing vient s’écraser sur son nez. La pluie commence à tomber, je saisis Léa par la main et on galope jusqu’à l’entrée de la dune. Les cris se sont étouffés après les pins… On souffle fort, la pluie tombe durement et ses cheveux dénoués gouttent sur son dos. Elle a perdu ses escarpins dans la bataille, tant mieux, je n’aurais pas à la porter… on explose de rires comme des gamins. Je sens qu’elle est en colère, qu’elle m’en veut un peu. Arrivé au sommet on s’assoit parmi l’oyat. Elle est silencieuse… devant nous le spectacle a déjà commencé.

Les éclairs plongeaient comme des fous de bassan dans la masse noire. Le ciel éclairait nos visages comme un trombinoscope. Je sais qu’il l’a fait par valeur, pas pour prouver qu’il était le plus fort. Mais ça veut dire tant de choses que je ne peux qu’être en colère contre cet élan de testostérone. Se battre s’est bon pour les vikings. Mais personne ne s’est jamais battu pour moi. Et j’ai vraiment eu peur pour lui… en même temps ce gros con de Charles l’a bien mérité. De quel droit ? Il est collé à moi, ses bras se referment doucement autour des miens, je me suis glissé entre ses jambes, et je sens son souffle chaud dans ma nuque. Comme au premier jour. Je me sens en sécurité, un peu trop bien pour y rester… La foudre fait briller nos yeux et le tonnerre ne nous laisse pas la parole. Tant mieux, j’ai peur de me fâcher contre lui. L’orage s’éloigne doucement, nous laissant trempés à nos songes. Je me relève, sans lui laisser le temps de me suivre… je cours, à travers les pins. Je connais mon chemin et rejoins rapidement la route. Je referme la porte de la maison, m’assurant qu’il ne m’a pas suivi… je me noie une énième fois dans ma baignoire… en pensant à lui.

Je l’ai laissé partir. Elle pense m’avoir semé, je vois la porte se refermer. Je grave le numéro dans ma tête, entre les images de sa peau, et les éclairs sur ses joues. Demain… Demain.

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