Saint-Palais-Sur-Mer

Louve

Voilà dix ans déjà, que j’ai eu, pour cette petite ville de Saint-Palais-sur-Mer, un grand coup de cœur, et depuis, je ne me lasse pas d’en admirer la beauté, de retourner quelquefois dans son passé.


 En ce matin d'août, la mer pétille sous les premiers rayons. Mes pas m'entraînent au bord de la vague apaisée, au tempo régulier mais discret. Elle caresse, lutine les rochers rongés par l'algue et le sel. Quelques rocs blancs, à demi enterrés, tranchent parmi eux. J'arrête ma course pour en ramasser un éclat. Il est en forme de cœur, et, avec un tant soit peu d'imagination, il palpiterait presque dans ma paume. Ces magnifiques pierres blanches qui parsèment le sable, ont servi à bâtir le phare de Cordouan qui s'élance, majestueux, à l'horizon. Ce splendide édifice fut construit avec 300 grandes pierres de taille et coûta au XVI siècle 300 écus.

Soudain, comme une envolée d'hirondelles joyeuses, des femmes en robes longues et grandes capelines m'entourent. Elles semblent me traverser, et je sentirais presque le frôlement des étoffes sur mes jambes nues. Elles ne peuvent me voir, si elles sont mon passé, moi je suis leur avenir plus lointain…

 

Malgré leurs robes qui descendent jusqu'aux chevilles, elles marchent allègrement sur la roche torturée. Elles sont là pour la pêche à pied, et dénicher, de leurs cachettes, crabes, huitres et autres coquillages.

Sur elles, nullement maléfique, l'ombre du Pont du Diable, apaisera bientôt les fronts baignés de sueur sous les grands chapeaux d'où s'échappent boucles blondes ou brunes.

La légende nous raconte que, par une nuit de tempête, la barque d'un pauvre pêcheur vint se fracasser sur les rochers. Tapi non loin de là, Satan entendit le malheureux invoquer tous les saints, protecteurs des marins. Quand il aperçut le malin, le pauvre homme lui demanda aide. Pour Satan, rien n'étant jamais gratuit, il lui proposa un marché : son âme contre la vie sauve :

«  -Lève-toi, dit-il, le vent va tomber un moment, marche devant toi, tu franchiras la passe sur l'arche, que je vais construire pour toi… »

Mon regard se porta alors sur cette côte rocheuse, déchirée par les flots, depuis tant et tant de siècles. Il me semblait y apercevoir, ombrelles, canotiers, casquettes de marin, puis chapeaux-cloche, fourrures et robes fleuries, emprunter, gravir le temps de ces années 1800…

Immuable dans le temps, le pont se dresse encore dans le fracas des vagues à marée montante, dans un enchevêtrement de rocs bousculés par la fureur du flot. Et si l'on s'aventure précautionneusement, furtivement, dans son antre obscur, un sifflement rageur nous conseille de ne pas aller plus avant. Est-ce le diable, gardien de l'endroit, qui se manifeste… ?

Combien de bateaux se sont fracassés sur cette grève ingrate et cruelle. Il paraît même que les épaves étaient régulièrement pillées, mais gare à celui qui se faisait prendre, il était exposé au pilori, et « flétri d'une ancre fleurdelisée sur l'épaule droite. »

 

Bientôt, soulées de soleil et de bavardages, les élégantes remonteront la ruelle où, comme un phare, se dresse la villa Maroussia, magnifiquement exposée, face aux Pierrières et au Pont du Diable. Les outrages du temps ne lui ont pas encore fait perdre ses magnifiques lambrequins de bois découpé, et elle gardera encore pour longtemps de remarquables éléments sculptés qui lui confèrent un cachet vraiment particulier. Un vrai phare celui-là, le phare de Terre- Nègre. Il ne guide plus les marins le soir, ou par gros temps, mais il s'érige encore, fier et rouge, comme un phallus en plein désir. A l'origine, cependant, une simple tour dont on eut l'idée de la coiffer d'un fanal, car, auparavant son gardien agitait simplement un drapeau à l'approche de bateaux.

Peut-être se retourneront-elles sur cette rue en pente et admireront, une nouvelle fois, comme moi qui ne m'en lasse jamais, les pins, se balançant doucement, avec, pour toile de fond, les bleus du ciel et de la mer confondus….

Elles longeront encore, à peine dissimulées dans leur écrin de verdure, les grandes maisons de maître, imposantes et racées. A présent, certaines ont leurs volets clos depuis bien longtemps, d'autres sont rénovées pour abriter, à nouveau, de nouvelles histoires de vie.

A l'approche du centre- ville, elles entendront la cloche du tramway, sortant du bois du Platin, il se dirige vers Terre-Nègre et la grande côte. Il disparaîtra, chassé par le flot d'automobiles qui, par la suite, envahira les lieux…On peut le suivre, il passe près de la plage du Concié (petite conche) je m'y suis déjà baignée avec ma chienne Romy…un souvenir. Surplombant cette minuscule plage qui disparaît à marée haute, une imposante villa « Primavera » transformée en hôtel depuis l'invasion des touristes. Juste en face, les fameux carrelets, qui parsèment tout le littoral de leurs grands filets, accrochés à leurs petits cabanons, qui, eux-mêmes, se dressent, sans peur dans le maître Océan, sur de grands pilotis. Il y a quelques années, une tempête meurtrière avait brisé plusieurs de ces grands mats, comme fétus de paille !

Suivons encore le petit tram, il arrive à la grande côte et ses immenses bois de pins. Ici, on domine la plage qui s'étend, si blonde, à l'infini. Au loin, elle est encore vierge des « vestiges » de la dernière grande guerre : les blockhaus. Depuis tant d'années ces témoins de l'absurdité des hommes tiennent bon. Certains sont malgré tout, peu à peu, ensevelis par les sables…

A présent, comme naguère, on peut y admirer, soir ou matin, les chevaux : magnifiques montures, fines et racées. Elles vont au trot, mais semble voler plutôt que trotter, tant leur souplesse est ahurissante de légèreté. Les sabots claquent en chœur et en cadence sur le sable ferme. Guidées par leurs cavaliers, elles rafraîchissent leurs pattes et leurs naseaux dans la vague naissante. Les muscles fins courent sous la robe bai… mais la musique des sabots, peu à peu, s'estompe…

 

…On les croirait sortis de ce vaste Océan

Où ruissellent encore les rayons du couchant

Et la mer de bronze lèche encore leur poitrail

Bientôt le flot blanchi effacera leurs traces

Empreintes de sabots sur la grève déserte…

 

 Après son périple, inlassablement, le tram revient en ville et passe devant une autre merveille de la nature : le puits de l'Auture. A la belle époque on s'y rendait en famille, vêtus des beaux habits du dimanche. Imaginez un immense chaudron, creusé à même la roche et où le flot s'engouffre, à marée haute, dans un fracas étourdissant. Une des nombreuses légendes raconte que deux fiancés, dont l'amour fut refusé par leurs familles, les conduisit à se jeter dans cette marmite bouillonnante. Une autre encore, qu'un monstre marin, fût piégé par la marée descendante, pour s'être trop attardé à déguster les mets succulents déposés comme appâts.

On raconte aussi qu'à l'issue des battues, les chevaliers précipitaient les loups encerclés dans ce gouffre si mystérieux. Les loups ont disparu mais depuis, on nomme ce lieu : « La fosse aux loups ».

 

Le tramway a traversé la grande et épaisse forêt de la Coubre. Comme en bord de mer, sur la falaise, l'action violente du vent et du sable n'a pas épargné nombreux arbres, offrant l'agrément de formes tourmentées, voire artistiques. Il a encore croisé, de près cette fois, des chevaux mais attelés aux nombreuses carrioles qui sillonnaient les grands chemins : les hippomobiles. Elles résisteront jusqu'en 1903.

 

Je veux à présent, rejoindre, rattraper ces dames aux belles toilettes, mais je m'égare sciemment sur le chemin de la corniche. J'y retrouve les arbres aux formes tourmentées, et cette superbe villa blanche à flanc de rocher, qui se détache sur le ciel pur. Elle surplombe une mini-plage qu'une volée de marches permet d'atteindre à marée basse. En continuant, d'un côté l'océan m'accompagne, de l'autre des jardins de particuliers m'offrent leurs fragrances… et je m'évade par les petits ponts de bois pour rejoindre le centre-ville.

C'est là, que nos pêcheuses se sont arrêtées pour retrouver leurs maris. Attablées sous les ombrées, elles dégustent quelques douceurs…

L'après-midi les retrouvera sur les différentes plages, à l'abri de leurs ombrelles. Elles lèveront leurs grandes robes, dévoileront leurs blanches chevilles. Certaines n'hésiteront peut-être pas, à enfiler ces premiers maillots de bain, cachant bien trop leurs charmes…


Quant à moi, comme tous les matins, après cette escapade dans le temps, je rejoins mon « chez moi », encore toute imprégnée de l'histoire de cette charmante ville, mais n'en connaissant, c'est certain, qu'une infime partie….

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Un plongeon dans le passé, mais bien au présent. Quelle belle écriture à la fois poétique et concrète. J'aime ces passages de légendes urbaines. On entend bien le fracas des eaux contre les rochers et on visualise les magnifiques paysages.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    4dcabad08ab91f7693bc1bd46e0f14f4 1

    Beatrix Meule

    • Merci beaucoup choupet, vous êtes adorable !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Eh bé ! Vous me ramenez à ma lointaine enfance ! Car j'ai passé dans cette joli station toutes mes vacances durant les VINGT premières années de ma vie.
    Les niniches, cette exquise confiserie de St Palais sur mer,
    à la fois caramel et chocolat ! En ai-je dégusté ! Existent-elles encore, les niniches ?

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Les niniches, je ne connaissais pas ce nom, j'a vu sur Internet que c'était toutes les bonnes glaces et confiseries de Royan, celles-de St-Palais sont délicieuses également.
      Ravie de vous avoir fait à nouveau voyager, astrov, dans votre petite enfance! Comme vous avez pu le constater, j'adore cette petite ville, j'y viens 4 mois par an.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Wouah ! quelle balade formidable dans le temps à tes côtés ! ton récit est si bien argumenté que c'est comme si on y était, à la lecture de ta fabuleuse histoire, j'avais l'impression de sentir les embruns et de faire moi aussi partie des belles dames ! Aussi en vérité CHAPEAU A RAS MAIS A RAS DE TERRE pour ce bol d'air pur !! merci ma douce ! bisous et belle soirée loin de cette société périmée !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Epo avatar

    Christine Millot Conte

    • Ravie de t'avoir envoyé un peu de soleil et de mer, ma belle ! Merci beaucoup !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Superbe récit. J'ai connu cette jolie petite station estivale du temps de ma jeunesse et vous en faîtes un portrait savoureux, très bien écrit. je vous ai suivie pas à pas, votre récit a ravivé mes souvenirs, ce qui mérite indubitablement mon coup de coeur. Bravo, chère Louve!

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Cavalier

    menestrel75

    • Un très, très grand merci, cher ami. Je suis vraiment touchée !!

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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