Sex pattern

Etaïnn Zwer

Texte-vignette inspiré d'un dessin de l'illustrateur Samuel Eckert : expo. "Temps de trajet estimé à 27 minutes" + lecture au Point Éphémère lors du festival "Jerk Off" + sur radio Nova (sept. 2014).

Il avait dit « J'ai un château plein de chattes, le château de la Phantasie. Viens. » Je m'attendais à la grande parade, un instantané sale, peut-être vulgaire.

Son salon ressemblait à une putain design, des trucs roses et des trucs rouges, majoritairement ronds ou oblongs, le genre d'intérieur dont on hésite à dire qu'il est féminin ou masculin. Celui d'un fluffer un peu sentimental, qui piège les hommes en citant Fellini.

Il a mis un vieux disque de Jeff Mills. L'alcool dans mon verre faisait comme une tâche vicieuse. Le silence retombait, lentement, lacis chargé d'images inconnues.

Quand il s'est levé, je l'ai suivi, proie facile, sa bouche était séduisante. Et puis la chambre au bout d'un couloir alourdi de petits miroirs.

Au-dessus du lit défait, sur le mur découpé dans une fente de lumière tacite, la photographie d'une adolescente allongée sur le ventre les yeux clos les détails de sa chemise à fleurs minuscules relevée sur des jambes nues.

Un vase vide sur la console en marbre.

Le cliché punaisé d'un beefcake torse glabre poings serrés les muscles sous sa peau sanglée comme de la soie creusant un infini sillon d'attente.

L'icône et le boy-scout encadraient un dessin taillé pop art comme un motif d'amour, des sexes abrupts queues lèvres symboles jetés ouverts sur des combinaisons multiples et des liquides vivaces. Scènes d'une guerre fruste et légère, romance poly désabusée.

Enfoncée dans cette eau nerveuse, j'ai observé ses mains : j'ai deviné, je l'ai vu faire. Ici, là, sa taille vénéneuse de catcheur opérant dans des décors acides :

- bar opiacé où danse une faune de visages fuckable,

- bois mort mangé de lys où piétinent des silhouettes essoufflées,

- zones libres bordées de noir,

- anatomies violentes engagées dans un rêve de cuir sur un sol parsemé de mica,

- flirts, chinoiseries, amitiés qu'on lèche régulièrement à l'heure du thé,

Garçons terribles ou byroniens, femmes viriles ou sculpturales, créatures en tuxedo or...  Après tout, baiser est un mot trouble...

Enfoncée dans cette eau nerveuse, j'observais ses mains, j'aurais voulu savoir. J'ai pensé « Il aime la beauté, le langage et l'agression ». L'érotisme défendu des voyous. J'observais ses mains, indicible partie d'échecs ; nous parlions la même langue – mêmes gestes, même méthode des lieux et des peaux. Mais mon désir jouait sur une ombre, dérobé.

J'observais ses mains et j'ai eu envie de la fille sur la photographie, faire le tour de son corps si mince sur de lentes pulsations.

J'ai embrassé le gigolo aux yeux clairs, délicatement, et dans la nuit sévère je suis sortie.

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