Sister acte

Perrine Piat

A l'instant même où ma fille cadette m'annonçait qu'elle était amoureuse, je me suis sentie libérée, heureuse, légère. La seconde d'après, lorsque j'ai compris que l'objet de son amour s'appelait Jessica, mon cœur s'est resserré. Mille questions m'ont assaillie, je me suis demandé ce que j'avais fait de mal, pourquoi, comment. Je savais qu'il serait difficile pour son père d'accepter cette nouvelle, je me doutais que ce serait encore plus compliqué pour ses grands-parents, mes parents. Mais elle serait épaulée par moi-même, sa sœur, son frère. Nous avons rencontré Jessica, nous avons accueilli une troisième fille dans notre famille. Elles formaient un couple ordinaire, avec ses soucis, avec ses qualités. Leur duo transpirait l'amour, je les trouvais belles, j'étais fière. Pour elles, j'ai eu le courage d'affronter mes parents et de leur exposer la situation. J'ai pris sur moi mais dès qu'ils l'ont su, je me suis sentie libérée, heureuse, légère.

 

Profondément liée à ma famille, je savais mes sœurs capables de bienveillance, d'écoute. Quelle a été ma surprise en apprenant que l'une d'elles avait demandé à ce que ma fille cadette ne soit pas invitée au mariage de sa cousine. Et puis ce fut le tour de ma jeune sœur, pourtant tellement guimauve, si ouverte à tout. Faute de place paraît-il, elle invitait ma fille mais sans sa compagne. Petit à petit, alors que Jessica se faisait une place chez nous sans vraiment la chercher, dans ma famille et dans notre entourage, elle et ma fille étaient délicatement rejetées. Je ne comprenais pas toutes ces personnes d'ordinaire si aimables, mes proches, pourquoi en arriver là ? Dans la famille de mon mari c'était plus simple. Il avait fait la tête pendant quelques semaines, un mois peut-être, mais il avait pris Jessica en affection et il semblait l'aimer autant que ses propres enfants. Avait-il une influence dans sa famille que je n'arrivais pas, moi, à imposer dans la mienne ?

 

J'ai eu la réponse à toutes mes questions un soir comme un autre, au téléphone avec Maman. Au détour d'une phrase, j'ai compris. J'ai réalisé que ma fille aînée sabotait en sous-marin sa propre sœur. Depuis toujours la rivalité était grande du côté de ma fille aînée. Ma grande assumait pleinement son regret de ne pas avoir été fille unique et n'avait jamais caché ses ressentiments envers sa cadette. Persuadée que leur père préférait la plus jeune, elle avait mal vécu son enfance, avait souffert toute son adolescence et ressassait encore à l'âge adulte. Jamais mon mari n'avait fait de différence, il se sentait simplement plus proche de la fille qu'il pouvait accompagner au tennis, celleavec laquelle il bricolait et partait à vélo. Là ne se jouait pas une préférence, simplement une affinité. Déjà toute jeune, l'aînée avait mis des bâtons dans les roues de sa sœur, en semant la zizanie entre celle-ci et ses copines. Dans le lycée où la cadette avait suivi l'aînée, un air de mauvaise réputation avait flotté bizarrement, durablement. Les réveils éteints pour faire rater un examen, les clopes écrasées dans le jardin ou cachées au fond d'un sac pour faire accuser la plus jeune, les pneus du vélo crevés. Les exemples étaient nombreux mais ce n'était pour nous que des histoires d'enfants. Nous nous sommes inquiétés le jour où notre fille aînée restait un peu trop longuement debout, sur sa sœur allongée au fond de la piscine.

 

Que faire ? Jusqu'où irait ma fille ainée ? Jusqu'à quand tiendrait la plus jeune ? M'opposer à l'aînée serait prendre le risque qu'elle ne me confie plus sa fille, qu'elle ne me parle plus. Ne pas soutenir la cadette serait la laisser seule contre tous. Je décidai donc de réagir, de parler à ma grande. A cet instant même elle arrivait pour me laisser sa fille à garder. Sans compassion, très dure, elle me regarda et dit :

— Au fait, on ne reverra plus Jessica, c'est fini. J'ai fait ce qu'il fallait pour qu'elle ne détruise pas plus la famille.


Je n'ai plus revu Jessica. Je n'ai jamais revu ma fille cadette.

  • Récit très prenant, qui me laisse avec mes suppositions: "J'ai fait ce qu'il fallait..." dit la frangine pas fréquentable...
    Bref, je doute et je suppute. C'est p't'être votre but !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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