Souvenir d’enfance

-         Tiens, toi qui l'a bien connue aussi, tu ne te rappellerais pas du prénom de ma mère, des fois ?

-         Attends, ça fait trois ans qu'elle est morte, j'n'ai pas une mémoire d'éléphant, non plus !

-         Non, je te dis ça, parce que tu me vois, aller au commissariat pour dire au flic : J'ai perdu maman.

-         T'aurais l'air con, une chance pour toi qu'elle soit morte.

-         Remarque, quand j'étais petit, à je ne sais plus quel âge, je le connaissais. J'avais dû le lire sur un papier administratif quelconque.

-         Tu savais donc lire ! Ça nous donne un indice sur ton âge.

-         Tu as raison, finalement, je n'étais pas si petit que ça, alors. Disons dans les vingt ans.

-         Mais tu savais marcher déjà, quand même ?

-         Ah, oui ! Courir aussi tout bien comme il faut. C'est dans la tête qu'il n'était pas bien fini, le chantier.

-         Oui ! Pour en revenir au prénom de ta mère, pourquoi, tu ne lui avais pas demandé ?

-         Ah, non, chez nous, Monsieur, on ne posait pas de questions. Non, mais alors, ne vla t'y pas qu'il est curieux, celui-là !

-         Tu es de «  chez ces gens-là* », toi aussi ?

-         Non ! Mais ça m'arrange pour mon texte. Donc, un jour, dans la rue, j'ai appelé ma mère pas, par maman, mais par son prénom, appris par cœur.

-         Tu as pris une calotte ?

-         Non ! Mais elle m'a questionné pour savoir d'où je connaissais son prénom ? Qui avait fuité l'information ?

-         T'avais qu'à dire que tu avais entendu quelqu'un l'appeler par son prénom.

-         Eh, ne manque pas de respect à feu ma mère décédée ! Personne ne l'appelait par son prénom, nom de nom ! Mais j'ai fait mieux, j'ai dénoncé mon frère pour me l'avoir dit.

-         Salaud !

-         Au fait, tu ne te souviendrais-pas, par hasard, du prénom de mon frère, des fois ?

*  « Ces gens-là. »  Jacques Brel.