Table rase, brossée

Table rase brossée

La neige, c'est le silence. La neige, c'est la paix.

Les quatre-vingt centimètres amoncelés derrière la porte barrent l'entrée. Le linceul est vierge, naturel, écologique. L'idée lui plait.

Les corps sont alignés près de l'âtre éteint. Une mise en scène macabre où chacun est figé dans une posture qu'elle aime. La mère, raide, la croix d'or nouée au cou, tient dans sa main exsangue le fouet. La vieille, clouée à un fauteuil, a le visage enduit de crème pâtissière. Celui du vieux, affalé dans son fauteuil roulant, est englué dans les pages glacées d'un Penthouse. Kevin a le manche de sa guitare électrique enfoncé dans le cul. Sa sœur jumelle git nue sur le tapis, obscène, jambes écartées.

Manque le géniteur. Rien ne presse, elle sait où il se planque.

Tout avait commencé hier à la sortie de l'école. Enfin, disons que cela avait été l'étincelle qui avait embrasé son esprit. La haine libérée. Tout avait commencé quand le Père André, l'avait retenue après la classe sous prétexte de faire le point sur le trimestre. Tout avait commencé quand il l'avait fait monter dans sa voiture et que deux kilomètres après la sortie du village, il lui avait demandé de le sucer.

Tout avait suivi…

La frangine dans la confidence qui avait inventé un scénario débile où elle aurait été victime d'un enlèvement d'un mec inconnu. La frangine qui lui avait demandé si elle avait aimé. La claque de la mère à son retour pour être montée dans la bagnole d'un inconnu. Les aveux suivis du fouet. La leçon de morale et la prière forcée pour demander pardon. Les ricanements de Kevin et son intro de « Rape me » en accords mineurs. Les yeux chassieux du vieux avec cette saloperie de lueur lubrique. L'indifférence de la vieille plongée dans ses recettes. Tableau brossé dans l'ignoble...

Tout avait basculé…

La mort aux rats dans le potage familial. Puis…, après les râles, le vomi... table rase... la mise en scène, en images... le silence… et la neige…

La neige, c'est pur… l'idée lui plait.