Tentative de baise sur velours rouge
Béatrice Jarretelle
Je tiens bon pendant toute la séance, mais salement envie que ça se passe dans la vraie vie comme dans le film, salement envie que le grand brun à deux sièges à ma droite me monte dessus, me déshabille et m'attrape avec ses immenses mains que je regarde discrètement avec intérêt / l'air de rien… Rien ne se passe.
Inspection de mon entourage : à ma droite, un brun à lunettes qui a dû oublier de se brosser les dents depuis plusieurs jours (je suis chaude mais pas désespérée), à ma gauche, un grand maigre à lunettes qui doit sûrement commencer une nouvelle partie de Warcraft chaque soir au moment où d'autres commencent à baiser leur femme. Probablement l'appétit sexuel d'une palourde (mes respects pour les fruits de mer), ça refroidit !
Je regarde encore le grand brun en buvant coude en l'air pour augmenter ma visibilité et il croise mon regard. Eye contact réussi, je crois que c'est la première étape avant d'être à poil, mais il tourne la tête immédiatement, je ne sais pas comment je dois le prendre. On est au cinéma, en même temps…
Bref, le film se termine, ma culotte est bientôt inutilisable (ce film donne vraiment envie de baiser !), je vais aux toilettes, je me trompe de porte, je vois le grand brun, je lui rentre dedans, je bafouille que les toilettes des filles ne fonctionnent pas, je lui demande avec un air détaché « il donne envie de baiser ce film, non ? ». Il rit (homme qui rit ?),
il dit oui,
je ris (si femme dans ton lit avant d'avoir ri, c'est grave ?)
il me regarde en souriant,
et j'attends la scène d'action contre le mur dans les toilettes du MK2 en velours rouge, celle où les enfants vont se coucher et une étoile violette apparaît en bas de votre écran, celle où il m'attrape la jambe, la soulève, me plaque contre le mur en velours rouge, appuie un peu pour montrer qui a le chromosome XY dans cette pièce, et me fait vivre la situation fantasmagorique d'une baise entre deux portes en fin de séance de cinéma, un truc intense et non-prémédité, parfaitement chronométré, qui termine par un lavage de main en bonne et due forme, et un dernier clin d'œil avant de partir rejoindre sa femme qui a préparé le dîner et à qui il dira "le film était intéressant mais un peu malsain, j'ai trouvé... passe-moi le sel chérie".
Au lieu de ça, il s'approche de moi et me dit "pardon": il veut accéder au sèche-main ultra moderne qui promet de sécher les mains et les bras en douze secondes, je peux peut-être l'utiliser pour ma culotte.
Puis il part, et moi plantée là, à me dire :
tentative hautement foirée, j'aurais dû tenter le geek.