Terminus

sophie-dulac

Terminus

7 am, Londres Heathrow, arrivée du vol TP364 au Terminal 3

Une avalanche de lumière se déverse à l'intérieur de la soute quand la porte s'ouvre. Je n'ai pas le temps d'être éblouie, un bagagiste me renverse brusquement dans un conteneur. Le chariot brinquebalant quitte l'avion. Sans ménagement et en cadence, je suis déposée sur un long tapis roulant parmi tout un capharnaüm de bagages.

Le tapis se déplie lentement à l'intérieur, des dizaines de mains se saisissent alors de leur cargaison. Grosse ou petite, de toutes couleurs, de toutes matières, difforme ou parfaite, estampillée de marques prestigieuses ou vulgaire paquetage composé de sacs de déménagement améliorés, tous trouvent preneur. Je n'en finis plus de faire des tours. Le triste carrousel me donne la tournis. Je réalise qu'il n'y a plus que moi qui défile ainsi dans une salle déserte. La foule des voyageurs comblée d'avoir retrouvé son bien s'est dissoute

petit à petit dans le grand hall.

Ils sont deux, ils courent, l'un deux m' agrippe au passage et m' arrache à la solitude de mon tapis pour me tenir dans ses bras. Je sens battre son cœur, sa sueur perle sur son torse, sa chemise est suintante. Ils obliquent et empruntent un long couloir, une porte claque derrière nous.

 8.55 am, Londres Heathrow, toilettes hommes, Terminal 3


Ils me tripotent, me secouent, m'invectivent et me rossent à grands coups de baskets sales. Je pense qu'ils désirent m'ouvrir. Mon système de fermeture ne cède pas malgré leurs assauts de plus en plus violents. L'un deux m'empoigne et me jette sur un coin de lavabo à plusieurs reprises. Finalement, ils m'éventrent avec un couteau à cran d'arrêt m’écartèlent et me vident. Tout mon chargement est largué, éparpillé et piétiné. Ils m'abandonne après s'être repus en se carapatant, véloces et impitoyables. Je reste là démembrée sous le sèche mains qui vomit son air chaud sur ce qui reste de moi.

12.45 pm, Londres Heathrow, hangar des objets trouvés


A  Au bout d'une allée vertigineuse, je campe à l'emplacement 137.

Sanglée par de la grosse ficelle, ils ont essayé de me rendre une apparence acceptable pour que je puisse à nouveau maintenir mon barda. Ma grosse balafre est colmatée par un chatterton jaune vif.

Cabossée, tuméfiée, bouffie mais en même temps si vide, je me languis dans l'obscurité glacée.

J'ai perdu ma raison d'être, je ne transporte plus que ma peine.

Qui se soucie de moi ?

Allée E, emplacement 137.

      À Gisèle.


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