Tomber.(La Liste/Suite)

Il fait bon à l'intérieur. Nous ne connaissons personne, et Cathy à choisi un endroit tranquille.
Je m'approche d'elle en souriant, parce que je sais faire et que je suis content de la voir et dégrafe mon manteau.

—  On s'embrasse ?

—  On s'embrasse.

Ce qu'on fait donc. Tendrement. Sur les joues.

—  Ça fait longtemps que tu es là ?

—  J'arrive juste. On a été un peu débordé au « V… », j'ai du rester un peu plus tard.

—  Colle Hassan aux Prudhommes.

—  J'y pense figure toi.

—  Bon. Je suis un expert dans le domaine tu sais ? Si tu veux je te conseille, mais d'abord on se commande à boire. On réfléchit mieux avec un peu de Vermouth, Dry Martini et Campari dans son verre ?

—  C'est vrai ?

—  Que je suis un expert ? Non. J'ai plutôt passé les 6 dernières années de ma vie à dégager des mecs qu'à aller les soutenir devant les juges… Qu'on commande à boire ? Ben, si tu veux… Qu'on réfléchit mieux ? Ça dépend à quoi…

—  On laisse s'installer un petit silence. Rien de pesant.

—  Bon. Alors on commande.

—  Oui… Oui.

Américano pour moi et elle.  On regarde la carte tranquillement en attendant qu'ils arrivent, et on tourne autour de la pièce en cherchant l'endroit où on va s'asseoir.

—  Tu prends quoi ?

—  J'en sais rien. J'ai pas hyper faim ; Qu'est ce qu'il y a de bon ici ? Parfait, un plat de pâtes.

—  Tchin-tchin !

—  Tchin-tchin.

—  A quoi on boit ?

—  Tu dirais quoi ?

—  A cette soirée non ? On a mis du temps. Et beaucoup… Bon, tu sais je n'ai pas fait de grandes études moi, mais je dirais, pensé, imaginé, rêvé, … Moi en tout cas.

Je ne suis pas encore complètement certain d'y être. Je temporise, m'abrite, réoriente.

—  Oui. Moi aussi. J'ai presque cru que j'allais te faire faux bond ; une tonne de mails à la con et un appel d'Agnès juste quand je partais.

—  Agnès ?

—  Maman.

—  Tu l'appelles Agnès ?

—  Juste dans l'intimité et parfois le dimanche en famille pour faire râler ma sœur

—  Alice ?

—  Non, Natacha. Tu ne la connais pas.

—  Ah oui c'est vrai, Hassan m'en a parlé, il m'a dit qu'elle était différente d'Alice et toi, mais sympa.

—  Oui elle est sympa. Plus que ça même. Elle est formidable Natacha. Je m'en veux de ne pas lui dire plus parfois.

—  Pourquoi tu ne lui dis pas ?

—  Je n'en sais rien. On n'a pas pris l'habitude de beaucoup se parler tu sais. Elle a 12 ans de plus que moi, elle avait quitté la maison j'étais encore très jeune. On n'a pas eu d'enfance ensemble, les mêmes potes, tout ça… Et puis, je ne sais pas… On n'a pas forcément cherché à beaucoup compenser après. C'est comme ça. C'est juste que quelquefois ça m'attriste de ne pas mieux la connaître, de ne pas chercher à provoquer autre chose que des discussions de visite médicale annuelle… Elle a forcément plein d'autres choses à raconter.

—  Oui, certainement. Et elle ? Elle est triste de ça ? Tu la sens avoir envie d'autre chose ?

—  C'est une bonne question Cathy, je n'en sais rien en fait.

—  Bon. Tu es triste quelquefois. Ne sais pas si elle l'est aussi. Ça fait un bon démarrage le jour où tu te sens prêt… Re-Tchin !

—  On sirote… En silence.

—  Bon, et alors ? Elle te voulait quoi… Agnès ?

—  Rien de spécial. Prendre quelques nouvelles. Je crois que mon père voulait savoir si je venais dimanche. J'ai dit que oui et j'ai abrégé. By the way elle était contente que je dine avec toi.

—  Ah bon. Pourquoi ? On ne s'est vu qu'une fois.

—  Elle trouve que tu as l'air, je cite, adorable, et ça compte beaucoup pour elle que son fils dine avec des gens adorables. Voilà. Je ne l'ai pas contredit…

—  J'espère. Attention Lucas…

—  Ça va ? », Je lui demande en l'aidant à se relever. C'est la jeune blondinette de tout à l'heure qui vient de se casser la figure juste derrière moi.

—  Oui ça va. », Elle bredouille les yeux un peu rouges, « C'est juste que je n'ai pas envie d'être là. Je voudrais juste rentrer chez moi. »

—  Vous avez quelqu'un avec vous ?

—  Oui mais…

—  OK, je vais vous ramener à la station de métro. Cathy, je reviens dans 2 mn. Commande pour moi. Ce sera parfait.

—  Va Lucas ? Va. Je t'attends.

Je regarde la blondinette, elle est toujours à coté de nous et semble se calmer un peu. Quant à moi, c'est comme si la tristesse qui s'est abattue sur moi quand je l'ai relevé se précise et laisse la place à quelque chose de plus doux.

—  Merci », Je souffle.

Je la prends par le bras et la soutiens un peu.

—  Vous vous appelez comment ?

—  Emma.

—  Enchanté Emma, moi c'est Lucas.

—  Je sais.

Ah bon…

OK, priorité, la mettre un peu en sécurité, je la prends par le bras, on s'approche de sa table. Deux mecs se sont invités. Ça semble bien se passer.

—  Je vais raccompagner Emma. C'est bien ses affaires là ?

—  Euh ouais mais… Ça va Emma ? Tu ne veux pas t'asseoir un peu avec nous ? On part dans pas longtemps.

—  Non, je rentre. Bonne soirée les filles. Je vous appelle demain.

—  OK

—  Bonne soirée ! », Nous balance l'un des deux types avec un sourire entendu.

Je n'ai pas l'air aimable. Je n'y peux rien, et ne fais pas exprès. C'est juste que quand je ne souris pas j'ai l'air sombre. Un « Blond ténébreux » disait Caro. Ça me sert parfois au boulot, quand il voit ça Eric dit que je passe en mode « C'est terminé ».

Franchement, je le sais et je n'en suis pas fier. Et je sais aussi que les autres ne peuvent rien à ces ténèbres. Alors, comme je suis un garçon poli, je fais, en général, l'effort de prévenir les gens avec qui je relationne, mes collègues et mes équipes notamment.

Alors voilà, je ne la connais pas moi cette Emma, elle est surement pleine de défauts, mais en tout cas c'est tout sauf un morceau de viande.

Ça m'a parfois valu quelques cassages de gueule, mais je ne sais toujours pas faire autrement. Je ne change rien à mon regard quand je lève les yeux sur le type. Et, ça doit suffire. C'est lui qui tourne le regard et passe à autre chose.

C'est terminé.

On s'en va.

On marche doucement pour rejoindre la station. Le brouillard est tombé, le froid aussi.

—  Ça vous est déjà arrivé ce genre de truc ?

—  Une fois oui, il y a longtemps. Mais là je ne sais pas ce qui s'est passé. Un gros coup de fatigue sans doute.

—  Vous bossez beaucoup ? Ou vous sortez beaucoup ? Ou les deux ?

—  En ce moment, plutôt normalement je crois. C'est gentil de me raccompagner. Mais, ça me gène, ça va maintenant et votre amie va vous attendre. Allez y si vous voulez.

—  Vous savez, Cathy est mon amie. Si je ne m'étais pas levé, c'est elle qui l'aurait fait. Et sans doute elle m'aurait traité de goujat derrière. Non, pas de problème vraiment. Et c'est juste 5 minutes.

—  OK. Merci aussi à elle alors.

—  Je peux vous poser une question ?

—  Oui bien sûr.

—  Tout à l'heure, vous avez dit que vous saviez que je m'appelais Lucas. Comme ça fait hyper longtemps que je n'ai pas fait un plateau télé, je me demande comment vous savez ça.

—  Je suis détective.

—  Non ? Et en fait pour tout vous dire, je n'oublie jamais un visage. C'est hyper encombrant d'ailleurs. Et je suis sûr de vous avoir déjà rencontré.

—  Oui. On s'est déjà rencontré.

—  Ah ! Désolé, un peu malotru, ma question mais du coup, c'était où ?

—  Dans le métro. Sur la 5 entre République et Stalingrad. Vous étiez avec vos collègues je pense et vous vous disputiez gentiment à propos de vos boss et d'une certaine… Victoire… Moi j'étais la fille en survet à coté de vous.

—  Non ?! C'est vrai ?! Je suis bête. Bien sûr c'est vrai. Alors c'est vous qui m'avez dit…

—  Je ne sais plus ce que j'ai dit.

—  Vous êtes sûre. Il m'avait semblé comprendre quelque chose mais les portes se fermaient et vous êtes partie.

—  Je ne sais plus. Si ça me revient je vous dirai. Parole de scout.

—  Merci.

On est arrivé. Ça caille. Je la frictionne un peu pour la réchauffer et lui file un ticket.

—  Bon, on y est. C'était sympa de vous avoir revu. Courez vous mettre au chaud.

—  Merci vraiment. Et… Oui c'était sympa de vous avoir revu aussi.

—  Bon. Ben peut-être à une autre fois sur la 5 alors ?

—  Oui… Peut-être. Au revoir. Merci. », Souffle t'elle en s'engouffrant dans l'ecalier.

Je tourne les talons et repars vers le restaurant. J'y suis dans une minute.

« Oui, peut-être »

Plus que 300 mètres à faire, je tente de chasser ce « Oui, peut-être ». Il fait froid. Mais rien de désagréable. Je remonte mon col et ralentis un peu l'allure, profite un peu de l'air et de la brume sur Montmartre.

J'aime bien voir les gens tomber moi.

Je les envie.

Ils ont... Quelque chose de plus. Comme si ils avaient compris… Et tout à coup, décidé d'arrêter de lutter…