Torse de femme / La leçon du modèle
Jean Talabot
« Monsieur le peintre,
Je ne connais pas la raison qui me pousse à vous écrire. Je ne sais pas même votre nom, ni si vous êtes célèbre. Mais il y a cinq jours que vous m'avez couché sur la toile, et j'ai beaucoup de mal à me relever.
J'imagine que vous, écrivains, penseurs et peintres, êtes des personnes complexes, qui à force de penser et de traduire, pourraient passer à côté des simples ressentis de la femme debout en face de vous.
Je ne connais rien dans la peinture. Je ne suis qu'une vulgaire modèle, indigne. J'ai déjà couché avec un peintre pour doubler mon pécule.
Mais je pense que le pinceau est comme un doigt sur une lèvre, comme un sexe, comme un souffle chaud et cruel, qui ne doit pas saisir mais faire vivre.
J'étais immobile : faites-moi danser.
J'ose ces mots car j'ai cru voir une lutte en vous : celle du feu et de la glace.
Je sais que je ne suis pas particulièrement belle. J'avais honte de ma poitrine, honte de mes bras, des rougeurs de ma peau. Mais sous votre œil, qui par moments me déshabillait encore plus que de raison, je me suis sentie resplendissante.
Avez-vous remarqué, Monsieur, le bref halètement coupable qui souleva mon sein au moment où vous le peigniez ?
C'était du plaisir, Monsieur.
Et, bien que votre regard ne trahissait rien d'autre qu'un froid calcul mathématique, j'ai pu sentir une certaine chaleur en vous. Comme si la géométrie des formes se battait contre l'énergie de l'être et du désir. Vous ne me connaissiez pas, mais vous me haïssiez puis m'adoriez.
Un coup de pinceau peignait la raison, le suivant peignait l'amour.
Je ne veux pas que vous m'envisagiez comme une étude, mais plutôt comme un feu, comme une couleur qui se meut.
A ce titre, vous trouverez, accompagné de cette lettre, le salaire que vous m'aviez payé pour être votre modèle.
Dès lors, et je vous prie n'y voyez pas de mauvaises intentions de ma part,
j'aimerais que vous me peigniez entièrement nue. Imaginez.
Vous regagnerez votre feu.
Intimement votre,
Modèle.
PS : Quand ce tableau futur sera fini, je tiens à ce qu'il porte mon nom.
Signé : Torse de femme. »
"il me semble que je peins pour des gens équilibrés, mais non dénués toutefois - très à l'intérieur- d'un peu de vice inavoué. J'aime d'ailleurs cet état qui m'est aussi propre "
· Il y a presque 11 ans ·Marion Danan
Ce mot d'elle, saura t-il le comprendre ?
· Il y a environ 11 ans ·Michel Chansiaux
Si le peintre est honnête envers lui-même, oui je pense !
· Il y a environ 11 ans ·Jean Talabot