Toujours ce même sofa

dreamcatcher

Photographie: David Olkarny

Au rez-de-chaussée de ma maison d'enfance, s'enfilait en long le salon, la salle à manger et la cuisine. Ma mère changeait plusieurs fois les meubles entre le salon et la salle à manger, selon la luminosité et l'humeur du moment. On vivait avec notre temps, la télévision est devenue écran plat, le living un beau buffet design, et l'inox remplaçait le bois. Tout a changé de la décoration des murs aux bibliothèques, même les livres qui étaient dedans. Seul le sofa est resté là.

De mes trois ans à mes dix-neuf ans, j'ai toujours eu ce même sofa. Il a été là le premier jour où je suis arrivée dans cette maison, après la séparation de mes parents. Il me voyait une semaine sur deux.
Il a été mon terrain de jeu, ma salle de bains pour mes poupées, ma piste de rallye pour mes petites voitures et ma table pour ma dînette. Il a été la maison du chat pendant des années, et la victime de ses griffes quand on ne pouvait pas le surveiller. Il a été l'endroit sécurisant près de ma maman. Il a été la cause de mes punitions, lorsque je m'amusais à sauter dessus pendant des heures. 
C'est ce même canapé qui soutenait ma mère lorsqu'elle a voulu m'annoncer, sans qu'elle eut besoin de parler, la mort de mon grand-père. Ces mêmes places que j'ai occupé lorsque j'ai reçu mon premier baiser. Lorsque pour la première fois j'ai ressenti des frissons parcourant mon corps tout entier.
Ce bout de moi qui n'est jamais parti sur lequel j'ai tant partagé. J'ai eu mes plus grandes angoisses et mes plus grandes joies. J'ai marché dessus lorsque j'ai aperçu une araignée énorme traverser le salon. Je m'y suis recroquevillée pour me protéger du monde entier, des gens au dehors qui pouvaient me blesser, et qui le faisaient. J'y ai partagé des verres avec des copines pour mes anniversaires ou des soirées pyjamas. On y buvait l'apéritif lors des repas de famille, ces fois-là où le canapé ne pouvait pas être plus rempli. 

Toujours ce même sofa. 
Et quand ce jour je dois quitter la maison je me demande si je m'en sortirais sans lui dans mon nouveau chez moi. Et ma mère qui me regarde tendrement, je ne sais pas si elle comprend. Elle sourit et me dit: "Prend-le chez toi."

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