Toute la haine mène aux Roms

Il m'est arrivé une chose tellement incroyable hier après-midi que je ne sais si je dois la classer dans la catégorie émotion ou science-fiction. Me préférez-vous dans ma panoplie de croqueur des choses vues ou de conteur ?

J'étais donc dans le métro pour rentrer chez moi par la ligne 13. Comme de bien entendu, les wagons étaient bondés, même en ce début août. Était-ce dû à la rareté des rames ou était-ce lié à la nature des usagers qui n'ont pas les moyens de partir au soleil ? Cette ligne est surnommée la ligne des pauvres. Elle le devient surtout à partir de porte de Clichy, en direction du Nord. Il n'y a plus de correspondances avec d'autres lignes. Il y a bien la basilique de Saint-Denis mais, au vu de peu de touristes croisés, j'en conclus que les gisants de nos rois de France les laissent de marbre.

Toutefois, toutes les nationalités y sont représentées. Vous pourriez mettre au défi Jules Verne de faire le tour du monde en quatre-vingt secondes. Quel plaisir en cette moiteur estivale d'échanger chaleureusement avec mes voisins les conséquences nauséabondes des sécrétions sudorales. Quand ce ne sont pas des remontées odorantes qui viennent des bas-fonds des pantalons. Je m'en accommode. La semaine prochaine nous partons à Malte et je tirerai une croix pour profiter de l'hospitalité de cette petite île. C'est l'occasion de m'entraîner à l'apnée. Je serai ainsi fin prêt pour effrayer Célestin dans la piscine en jouant le monstre subaquatique.

 Dans un virage un peu plus serré, nous fûmes déportés. Je découvris alors un petit bout de chou dans une poussette. Elle paraissait étonnamment étrangère à ce qui l'entourait. Elle ne suffoquait pas et elle semblait imperméable à l'énervement ambiant. Elle souriait et elle babillait, sans doute trop heureuse, comme toute petite fille de son âge, de découvrir la vie et de s'étonner de tout.

J'étais un peu ému en l'observant. Je suppose qu'un sourire béat devait se plaquer sur mon masque. Adélie était en vacances chez sa tante en Bretagne depuis deux semaines et par réflexe paternel, je retrouvais chez cette fillette les mêmes mimiques. Son grand jeu était le cache-cache qui consiste à se cacher les yeux derrière les mains. Toutes les fois qu'elle les écartait pour laisser découvrir un regard pétillant, elle s'esclaffait. C'est mignon ces petits rires cristallins et l'indifférence aux réactions des voyageurs, qui se décline en général de l'apathie au mépris. C'est pour moi un marqueur du temps béni de l'innocence.

De ma place, je ne pouvais voir son vis-à-vis. Je devinais qu'il s'adonnait à des grimaces ou mimiques que je devinais au regard pétillant de la petite. Arrivé à la station Mairie de Saint-Ouen, le wagon se délesta d'une partie de se cargaison humain. C'est alors que le fantastique entre en scène.

Je découvris enfin le quidam de la puce, qui m'était jusqu'alors caché par une paire d'aisselles et un visage à l'haleine douteuse. C'était sa maman. Si vous aviez vu son regard protecteur avec lequel elle couvait son poussin. Elle était vêtue d'une longue robe à fleur, d'un pull marron déformé par une poitrine pendante et un foulard venait couvrir ses cheveux. C'était une Rom.

En rentrant, par réflexe, j'ai allumé mon téléviseur sur une chaîne d'infos en continu. Depuis quelques mois, on ne parle plus des massacres du syrial killer. Le public s'en est vite lassé, son empathie a des limites. Alors que les enfants palestiniens prenaient également la même voie de garage,  l'opinion internationale a été fort judicieusement abreuvée de sensationnel par le retour au premier plan de l'Irak. Un représentant des Yézidis réfugiés en France nous a ainsi appris que les enfants étaient enterrés vivants par les islamistes radicaux.

Je me suis dit que, peut-être un jour viendra où ce sera à cette petite fille d'être un bouc-émissaire. C'est lâche et facile de s'exciter sur les plus faibles. Et ça serait dommage pour sa maman que la petite soit massacrée. Elle avait l'air de l'aimer.