Transes frontalières

Chris Toffans

Même si elle n'est pas à la botte de l'Italie, la France est au pied du mur. Au niveau économique ce n'est vraiment pas le Pérou et le jour tant attendu d'un éventuel redressement semble renvoyé aux calendes grecques.

Outre-Rhin en revanche, celui qui en bave hier rit aujourd'hui. Il n'y a qu'à en juger par le dax en pointe et le train d'enfer avec lequel l'Allemagne renverse la vapeur dans le domaine de l'automobile. Berlin, Berlines, réjouissez-vous ! C'est la classe AAA pour Mercedes, le succès populaire pour VolksWagen, des millions pour BMW, et des patates (transgéniques) pour BASF. Nous ne sommes pourtant pas plus bêtes, alors pourquoi ne pouvons-nous pas égaler la deutsche Qualität ?
A notre gauche, l'Espagne vient de voter à droite. A tribord toutes ! El pueblo a en quelque sorte donné la barre pour se faire (en)couler, encore plus profondément. Sûr que los gitanos n'ont pas fini de chanter "aïaïaï", cependant que leur capitaine ultra libéral se prépare à entonner un nouveau re-frein sur les dépenses : "yo no soy marinero, soy capital, soy capital..."
Impossible désormais pour les aficionados de Mariano Rajoy de s'indigner comme ils avaient l'habitude de le faire. Ils ont choisi la rigueur comme on se tape la tête contre un mur, en pensant que cela irait mieux une fois la douleur dissipée. Mais les indignés restent mobilisés, du fait de l'inertie puissante qui accompagne leur mouvement contestataire. Au moindre cadeau concédé aux plus défavorisés, à la moindre augmentation apportée au salaire minimum, à la moindre faiblesse vis-à-vis de ceux qui réclament un toit ou un repas, ils sauront manifester leur désaccord en allant battre le pavé sur les places du marché. Car dans la Péninsule ibérique, on est décidé à faire les poches à tout le monde, même à ceux qui se sont retrouvés à poil.

En France, on a depuis longtemps confié notre avenir à un gouvernement de droite, ce qui ne nous empêche pas de trembler pour notre cher triple A. On craint de s'effondrer si l'on nous retire une seule de ces lettres capitales à notre stabilité. Des lettres dont la forme évoque justement une rangée de tréteaux dépliés, blottis les uns contre les autres comme pour mieux faire face à l'adversité. L'ennui c'est que ces AAA font aussi penser à un château de carte dont la construction aurait avorté, un château atrophié et fragile qui ne demande qu'à tomber. Vu comme un empilement scabreux aux mesures inadéquates, ce trio géométrique deviendrait alors le symbole non pas d'une stabilité savamment acquise mais d'une situation économique précaire, plombée par des taux d'intérêts dont la hausse exponentielle menace tout espoir de remboursement de la dette souveraine. Il a d'ailleurs suffit d'une rumeur, d'un léger souffle provenant d'une de ces Moody's agence de notation, pour faire vaciller l'édifice, un colosse aux pieds d'argile bâti sur des sables mouvants.

Et la démocratie dans tout ça ? La démocratie vient du grec -ça ne s'invente pas- demos (peuple) et kratos (pouvoir). Ironie du sort, le pouvoir du peuple grec est aujourd'hui réduit à sa plus simple expression, voire à plus d'expression du tout. La pression internationale, le poids de la finance mondiale, ajoutés à un lourd passé d'insouciance budgétaire ont fini par écraser la souveraineté d'un pays et les espoirs d'une population. On a même été jusqu'à y empêcher l'organisation d'un référendum, procédé pourtant le plus apte à faire exprimer l'opinion de la vox populi. Au sens littéral et d'un point de vue phonétique, qu'entend-on d'ailleurs par démocratie ? Pour ma part j'entends juste 'des mots', des 'crasses', et des 'si'. Par 'si' je ne me réfère évidemment pas à cette note de musique harmonieuse (bien qu'en fin de gamme), mais à cet adverbe persiflant et rabat-joie dont la fâcheuse tendance est de toujours poser ses conditions : 'si la croissance redémarre ; si la courbe du chômage redescend ; si les caisses ne sont pas vides...

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