Un air d’accordéon « dense »
Christophe Peroua
Tandis que l'accordéon nous livre ses plus beaux soupirs, un couple d'amoureux danse langoureusement sur un tango argentin. Une larme qui a pris sa source dans mon émotion, coule sur ma joue, finissant sa course sur ma bouche. J'ai l'impression de pleurer du bout de mes lèvres. La scène qui se déroule devant mes yeux m'émeut au plus haut point. Il règne sur la place Saint Lubin une atmosphère qui ressemble tellement à celle que j'ai connue adolescent à la fête de San Lorenzo à Ezcaray. J'avais seize ans et la vie à cette époque, dans ce village espagnol était merveilleuse.
La voix d'une femme entonne une chanson en espagnol qui accompagne le pas des deux danseurs qui ne se quitteront pas des yeux tout le long de la danse. Je revois alors les yeux bleus de Maria José qui parcouraient mon visage avec beaucoup de tendresse. L'heure n'était pas à la liberté, dans ce pays où mon cœur avait élu domicile. Malgré les interdictions, la censure, les couvre-feux, les fouilles interminables à la frontière, il se dégageait un quelque chose que je ne saurais expliquer mais qui m'avait séduit. Faut-il qu'un pays soit ainsi privé de sa liberté ou en état de guerre pour que les plus beaux sentiments soient à ce point exacerbés ?
Le son de l'accordéon envahit mon corps tout entier tandis que le nombre des danseurs ne cesse de croitre. Je sens monter en moi une sensation étrange, mélange de bonheur et de mélancolie. Puis ma gorge se serre et je me dis au fond de moi : « Pourquoi les choses ont ainsi changées ? ». Hola Pepe ! De là-haut tu dois me voir pleurer. Tu m'aimais beaucoup et tu me disais: « Cristóbal, tu as la chance d'être jeune et français. Regarde-moi, je suis un vieux macho d'espagnol. Ya no puedo cambiar, Je ne peux pas changer ». Tu semblais vouloir t'excuser d'être ce que tu étais. « Hombre, je ne te jugeais pas ». Nous vivions une autre époque et les femmes savaient encore poser un si beau regard sur les hommes malgré leurs imperfections.
Je ferme les yeux et me laisse porter par la musique qui résonne dans mon corps. « Quand je pense que je n'ai jamais osé t'embrasser Maria José. Qu'es-tu devenue, es-tu mariée ? Tu vois, je ne t'ai jamais oubliée et le temps d'un tango je viens de t'épouser pour l'éternité. Par ce bel après-midi d'été, je m'abreuve de cette musique jusqu'à m'enivrer et je me revois dansant sur la place du village avec toi ». Les gardiens de la nuit avaient reçu l'ordre de nous laisser prolonger la fête. San Lorenzo veillait sur nous et déjà l'Espagne catholique paradis des culs bénis vivait sans que nous le sachions, ses dernières heures. Almodovar se préparait en secret au renouveau de son pays. Un air de liberté qui se mêlait à l'odeur du café con leche rodait timidement et nous laissait pressentir un monde meilleur. Les années ochenta n'étaient plus très loin.
« María José, te souviens-tu ? La liberté était tapie dans nos cœurs et nos sentiments si profonds. Nous n'avions pas le droit de parler mais nous pensions en silence. Le rêve était permis ». Aujourd'hui on nous vend du rêve et notre liberté est sous conditions, l'Europe en a décidé ainsi. Certes nous n'avons plus de frontière mais nous avons les menottes aux poignets ». L'accordéon me donne tout à coup envie de pleurer sur cette réalité qui me saute à la figure en cette agréable journée d'août. Mon cœur s'en est allé de l'autre côté des Pyrénées pour se refugier dans mes souvenirs d'adolescent où je ressens encore la saveur sucrée d'un bon café crème que nous buvions en jouant aux échecs. En ce temps là, Monsieur les échecs n'étaient qu'un jeu, un moyen déguisé de lutter, une sorte de catharsis qui nous permettait de nous libérer de l'oppression.
L'accordéon s'apprête à nous offrir ses derniers soupirs me laissant seul avec mon émotion qui peut-être sera victime de la censure. Me voilà devant le constat douloureux que la seule liberté que l'on ne pourra jamais nous voler sera notre liberté de penser. L'accordéon s'est tu comme voulant nous inviter à une minute de silence pour tous ceux qui sont morts pour défendre des idées, tandis que les vivants, aujourd'hui crèvent de ce silence qui leur est imposé.
Superbe !!!
· Il y a plus de 6 ans ·Patrick Gonzalez
alô Christophe, ce texte est une pure merveille. Rare je parle d'émotions dans mes commentaires, mais là, une larme s'est déposée sur ta lèvre, accompagnant la tienne. Serions-nous deux larmoyeurs ?^^ Naturellement, j'ai l'art de dissoudre mes quelques pensées émotives. Pourtant, ton texte me remue au point "de me lancer ivre dans les flammes d'un fou tango." bises tout plein - Sophie
· Il y a plus de 6 ans ·P.S. : Avec le texte de "marielesmots" que j'ai commenté dernièrement, je vis deux réels coups de foudre et de, peut-être, retrouver le goût de lire les autres…
suemai
Je te propose de lire ce même texte plus fourni pour toi Sophie.
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Peroua
serait-ce une manière aussi subtile qu'un coup de canon, de m'offrir ce texte… si c'est le cas, bien, je suis émue et : "une larme finit sa course sur ma lèvre s'abreuvant.de milliers d'audacieux souvenirs Bises à toi "homme-accordéon" et "Talon aiguille" français ^^ xx
· Il y a plus de 6 ans ·suemai
Il se peux que je me sois mal exprimer. L'oubli de virgules y sont pour quelque chose. Le texte n'est pas plus fourni pour toi. Le texte est plus fourni car j'ai repris celui-ci pour en faire un texte plus complet pour un concours de nouvelles. Mais comme tu avais apprécié mon texte, je te prévenais que je venais de le remettre sur WLW avec un titre légèrement changé. Et que je te le dédicaçais. C'est mieux dit. As-tu lis monture texte. Gros bisous.
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Peroua
Correction : As-tu lu mon nouveau texte?
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Peroua
Un air d'accordéon se fait dense est le titre de ce texte que tu n'as pas lu me semble-t-il. Je l'ai aussi dédicacé à Maud que tu connais bien. Bisous.
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Peroua
pourquoi ta réponse ici, elle devrait se retrouver sur ce texte plus "dense' et; n'oublie pas de me répondre sur short
· Il y a plus de 6 ans ·suemai
bises
· Il y a plus de 6 ans ·suemai
un beau récit entre nostalgie, mélancolie et regrets...
· Il y a plus de 8 ans ·Maud Garnier
Tu peux rajouter une certaine colère face à ceux qui veulent nous faire taire. bisous.
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Peroua
Je viens de remettre ce texte de façon plus fournie, pour toi et Sophie.
· Il y a plus de 6 ans ·Christophe Peroua
J'ai connu cette Espagne ! Bravo, Cristóbal, pour ce beau texte nostalgique !
· Il y a plus de 8 ans ·Ana Lisa Sorano
Nostalgie d'une Espagne mais surtout d'une époque. merci pour cette lecture.
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Peroua