Un crayon et du papier

Emilie Levraut Debeaune

Un crayon et du papier

J'adore écrire. Prendre mon stylo, mon crayon et noircir les pages de mes cahiers d'écriture. Une fois, j'ai même écrit au crayon khôl vert, faute de mieux. Cela a rendu ma feuille toute grasse, et surtout, la couleur s'est toute délavée et étalée sur le papier, si bien que je n'ai jamais pu relire mon texte. Cela m'avait contrariée, mais aujourd'hui, je serais bien incapable de me rappeler de quoi je parlais.

Une autre fois, j'ai écrit une nouvelle sur un morceau de nappe en papier, que j'ai bien sûr perdu. Tant pis. D'une certaine façon, les textes perdus font partie du charme, quand on écrit sur

papier, et non directement à l'ordinateur.

Oh, j'ai bien essayé ! Mais ces mots que j'aime tant, qui sont musique à mes oreilles, deviennent sur un clavier des ados rebelles. Impossibles à contrôler, ils n'en font qu'à leur tête. Les pires bêtises sont à craindre. Les lettres s'inversent, se dispersent et mêmes disparaissent ! Et puis, les ordinateurs, qu'on dit si pratiques, peuvent se révéler de vrais traîtres. Ils rangent notre précieux fichier là où on ne le retrouvera jamais. Ou bien, ils ont l'audace de l'effacer sans le moindre avertissement. Ou tout simplement, répondent un jour aux abonnés absents.

De ce fait. j'aime mieux conserver une copie papier dans un tiroir. Au moins, j'ai un exemplaire en sûreté. que je ne perdrais que si ma maison brûle, Pour être tout à fait honnête, la tête de linotte que je suis égare bien toute seule ses créations.

Je suis par ailleurs systématiquement prise d'une flegmatite aigüe quand arrive le moment de saisir mes écritures sur traitement de texte. Si bien que sur les dizaines (centaines ?) de nouvelles, articles et poésies que j'ai écrit, seulement moins de dix sont publiés et lisibles par d'autres que moi. Enfin, comme l'a dit, Isaac Asimov, j'écris comme je respire. « Si j'arrêtais d'écrire je mourrais ».

Tout cela cumulé, je n'étais en fait qu'un écrivaillon du dimanche, qui noircissait des pages et des pages sans jamais accomplir un travail palpable, signe pour mes proches de dilettantisme poussé à son apogée. Forcément, ils ne voyaient que moult et moult projets dont aucun n'était jamais fini.

Combien de fois me suis-je jurée d' arrêter une bonne fois pour toutes avec mes manuscrits illisibles et rétrogrades ? Mais le plaisir et le besoin d'écrire signifie pour moi sentir le crayon gratter le papier, faire des ratures, qui sont la preuve s'il en faut que j'ai travaillé, réfléchi, peiné sur ce texte. Et quand on feuillette mes brouillons, on voit qu'il y a eu quelqu'un qui a écrit tout ça. Et les mots n'ont pas le même son quand on les dessine soi-même.

Sur l'écran blanc de l'ordinateur, si aseptisé, si anonyme, on ne se rend pas compte de l'émotion et de l'ampleur du travail de l'auteur. C'est un peu comparer une chambre d'enfant avec tout ce qu'elle a de merveilleux, son désordre, ses jouets en pagaille et les jeux cassés que pourtant l'enfant adore à une chambre d'hôpital, triste et sans âme.

Je sais et comprends que la diffusion d'un texte nécessite sa typographie J'ai donc testé la dictée

à l'ordinateur. Un échec. J'ai besoin de musique pour écrire, et écouter du rock progressif n'aide. pas. que ce soit Tarja Turunen ou Sigur Ros. Non. Mauvaise idée. J'ai essayé de me familiariser avec mon ordinateur. J'ai même acheté un Eee-Pc. Résultat, aujourd'hui je ne vais plus nulle part

sans mon ordinateur. Je suis une geek finie.

Mais rien à faire. Ce dont j'ai besoin c'est juste d'un papier et d'un crayon. Je suis une irréductible ''écriveuse". J'ai écrit cette "nouvelle- témoignage "depuis un café, de la seule façon que je connaisse. Sur un vieux cahier tache et usé car toujours transporté partout. J'ai fini.

Je vais rester encore un moment, pour regarder passer les gens.

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