Un Editeur qui vous veut du Bien

nancy-creed

UN EDITEUR QUI VOUS VEUT DU BIEN

Mon gamin revient. 

–Juste une dernière petite question…

C’est bon, à chaque fois c’est pareil. Il pond comme il respire, des centaines de mots  des dialogues au kilomètre, tous les jours.

Et toutes les demi-heures environ, il vient vérifier quelque chose auprès de celui qui sait, pas forcement moi d’ailleurs mais le premier adulte qu’il croise en sortant de sa chambre : père, mère, grand-mère, peu importe.

« -Comment ça s’écrit  « gaz de France ? »

-G-A-Z- de France.

-OK, t’es sûr ?  C’est « gaz de France ? »

-Tu veux dire « gars de France » ? »

-De quoi tu parles ?

Ca y est, je lui donne enfin toute mon attention.

-L’équipe de rugby, tu sais ?

Quinze de France, c’est le quinze de France.

-0K. »

Il n’a que dix ans.

C’est petit je sais, mais pour le moment je suis rassurée.

Malgré tout, il finira son roman avant moi c’est sur.

Pourtant j’ai une entrée avec l’éditeur d’une maison d’édition, une vrai – je veux dire à Paris, Saint Germain.

Je n’ai pas encore de contrat mais ça s’annonce bien, vraiment bien.

Mon chéri l’a connu jeune éditeur wannabe, ils n’avaient que 18 ans.

Pas un sou en poche, mais le type s’y croyait déjà.

-Tu me fais des photos, je te publie, comme ça tu deviens photographe et moi éditeur !

Il ne pouvait pas payer, normal, c’était le début pour tout le monde et puis il fallait payer l’imprimeur.

-C’est normal de payer l’imprimeur, lui doit acheter du papier, de l’encre, payer un loyer, euh, oublie ce que j’ai dit pour le loyer.

-Attends, je te paye pas mais regarde Suzy, je la paye pas non plus et pourtant elle se tape toute la paperasse. D’accord, j’ai du me marier avec elle- je t’aime bien mon pote mais je ne peux pas me marier avec tout le monde. Il faut comprendre, si je veux réussir, je ne peux pas payer tout et n’importe qui.

Ainsi furent bâties les fondations d’une belle amitié.

Deux livres et toujours pas payés plus tard, ils s’étaient fâchés et ne se sont plus revus.

Trente ans plus tard, on se croise Carrousel du Louvre, au Salon de la photo.

Embrassades et grands tapes dans le dos, style retrouvailles de mon meilleur ami « perdu de vu ».

-Mais qu’est-ce que tu deviens ?

-Et toi qu’es tu devenu ?

Le success story total :

« -J’ai fait tellement d’argent avec les photos (d’un photographe célèbre dont je tairai le nom) que je pourrais prendre ma retraite aujourd’hui si je voulais, untel veux me racheter, untel (journaliste célébrissime dont je tairai le nom bis) veux absolument que je le publie. Et toi tu cherches toujours ton éditeur ?

-J’ai plein d’idées de livres…

-Génial, nous sommes presque voisins, si ce n’est pas incroyable ça, après tout ce temps.

-Nous aussi nous faisons nos courses tous les samedi aux Nouveaux Robinsons. (À vrai dire, on évite un maximum le temple bio, mais à cet instant précis, ça nous faisait un point commun de plus qui devait nous rapprocher comme au « bon vieux temps). »

Jusque là, selon mes informations, au « bon vieux temps », notre cher copain éditeur avait juste arnaqué mon chéri mais restons positifs, ne gâchons pas une réunion si émouvante…

Et puis c’était décidé, nous allions nous retrouver au plus vite pour dîner, rattraper le temps perdu, et surtout parler projets d’édition.

C’était chouette, je cherche un éditeur, mon chéri cherche un éditeur, mon fils cherche un éditeur etc.

C’était notre jour de chance, notre jour de chance je vous dis, c’est tombé sur nous.

Samedi, ma table était prête, petits plats dans les grands bien comme il faut quand on reçoit son futur éditeur et son épouse, la fidèle Suzy.

J’espérais juste qu’ils ne remarqueraient pas l’ascenseur tagué pourri pour monter jusqu’au 6ème étage mais à les entendre depuis l’entrée, j’ai su que c’était mort :

-Chouette l’ascenseur, c’est carrément folklo chez vous !

- Tu crois qu’on a bien fait de se garer juste en bas ?

Coup d’œil furtif par la fenêtre.

La honte.

Vous prendriez bien un apéritif ?

Puis dîner, projets, tendances, c’est vraiment prometteur : il a-d-o-r-e les idées qu’on lui soumet et l’une d’entre elles doit  être développée au plus vite !

Pour faire court : mon chéri démarre l’écriture et les photos, puis j’enchaine l’écriture. Journées de reportages, semaines puis mois de travail : des milliers de photos, de caractères, de signes espaces compris.

C’est bien le projet validé par notre cher éditeur et qui lui semblait parfait au départ, mais ça c’était au début. À présent, il veut des rectifications.

Puis non, même avec les rectifications, il veut des modifications, puis davantage ; des changements. Peu à peu l’idée initiale se transforme et commence à ressembler de plus en plus à un vieux truc ringard. Mon chéri est malheureux, il ne reconnaît plus son bébé, mais après tous ses efforts -sans parler de l’abandon de tout autre activité pour se consacrer entièrement à ce travail- il accepte de transformer son beau projet et s’exécute, la mort dans l’âme.

La réaction ne se fait pas attendre :

-Ouais, mouais… tu sais quoi, je vais te présenter à un mec génial qui travaille à la radio. Je me disais qu’il pourrait être co-auteur et comme ça on aura de la pub à la radio puis il a network d’enfer, il connaît un tas de photographes…

C’est exactement ce qu’il nous faut pour lancer ce livre !

Conclusion, le livre, signé du mec génial de la radio a été publié sans nous.

Aujourd’hui les choses sont revenues à la normale, mon chéri donne des cours de photo ; il dit qu’il va lui faire un procès.

Moi je crois à ma bonne étoile et surtout en mon éditeur, après tout c’est un ami.

  • J'aime beaucoup le rythme de l'histoire, il y a un petit côté déjanté aussi. Et puis c'est tellement "vrai" l'impression d'être le didon de la farce, on aimerait les pendre au bout d'une corde aussi !!! :-D Allez hop ! Coup de coeur !

    · Il y a environ 12 ans ·
    Stamped 500

    Jean Louis Michel

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