Ecrire le mot fin, enfin !
mirellehdb
Cette rencontre date du siècle passé. Novella avait un prénom voué à tomber très tôt dans l’écriture. Elle était timide à l’excès, n’osait pas regarder les inconnus dans les yeux et encore moins leur adresser la parole. L’école était un calvaire et chaque événement, un supplice. Par un dimanche morose où, à la sortie du culte, le cortège de fidèles qui se mêlent trop de ce qui ne les concernent pas, franchit une ligne qu’il n’aurait jamais dû dépasser. Novella mit un temps incalculable à s’asseoir à côté d’un garçon qui la faisait rougir et flageoler les genoux, malgré les remontrances répétées de son père qui ne supportait aucune inflexion à son règlement. Novella fut prise de tremblements incontrôlables puis vomit sur les bancs en pin massif. Elle fut la risée de tous. Les regards de pitié, de moquerie la tétanisèrent. Son père dut la porter pour rentrer à la maison, non sans lui avoir répété inlassablement « Mais que vont-ils penser de nous ? ». Aussitôt dans sa chambre, elle s’enferma à double tour. Après avoir pleuré de rage et d’humiliation, elle se dirigea vers son pupitre, prit un cahier et la plume qu’elle reçut à Noël et commença une grande histoire d’amitié avec l’écriture qui ne devait jamais s’arrêter.
Les années s’écoulèrent, la fin de l’enfance avec son lot de poésies contant, les premiers émois et les premières peines de cœur, tout cela consignés dans un journal intime fermé avec un cadenas. L’enfance a cela de magique qu’elle empêche le doute de prendre racine chez les auteurs en herbe, on ne pense qu’à foncer sans se poser de question. Puis vint l’adolescence avec ses révoltes contre le monde entier. Novella a vingt ans, elle quitte son cadre familial rigide et strict, part à l’aventure dans La Grande Ville. La voilà enfin seule, sans personne à qui rendre des comptes. Un vent de liberté ébouriffe ses cheveux. Elle commence des nouvelles, des textes plus engagés, puis les histoires se rallongent, les personnages s’intensifient. Malheureusement, l’entrée dans l’âge adulte amène trop souvent le doute et les premiers blocages. Novella se pose des tonnes de questions, ça gesticule dans sa tête, elle se demande si on peut écrire de grandes choses sans contrainte, elle fait du surplace et même parfois elle recule.
Les années défilent, les écrits s’accumulent ainsi que les expériences, mais Novella n’arrive pas à finir ses histoires, dans tous les domaines. Elle quitte ses études avant la fin, les hommes avant qu’ils s’en aillent. Elle ne se donne jamais la possibilité de réussir ni même d’échouer. Novella oublie un peu sa première passion, elle endort ses doutes et ses échecs dans les voyages, les sorties trop arrosées, elle s’amuse à en avoir le tournis. Puis un jour ou plutôt une nuit, Novella est rattrapée par son imagination à travers un rêve obscur et perturbant qui la remet sur la voie de l’écriture. Page après page, les phrases et les paragraphes s’enchaînent presque facilement. Son imagination est puissant cadeau qu’elle a reçu à sa naissance, pour compenser le manque cruel d’encouragement de ses parents. Mais son imagination est débordante et parfois elle lui fait peur, car elle est incontrôlable.
Il y a aussi l’inspiration. Elle débarque sans prévenir. Dans le métro, alors que Novella est en équilibre précaire, entre deux géants qui appuient sur sa tête avec leurs coudes, elle lève le nez pour trouver de l’air, elle ne peut pas attraper son carnet dans son sac, elle est compressée comme une sculpture de César. Alors elle retient la phrase qui lui vaudra des louanges et des lauriers, comme un mantra. Elle se la répète, en espérant que sa mémoire ne lui jouera pas un mauvais tour. Novella est parfois en train de cuisiner un plat raffiné pour épater ses invités, et là elle apparaît telle la vierge Marie. L’inspiration l’aspire dans ses méandres et c’est l’alarme qui se déclenche à cause de la fumée du met carbonisé, qui la ramène à sa vie de simple mortelle. Les idées viennent parfois la nuit, alors que Novella est sur le point de s’endormir, et si elle ne se lève pas pour aller les coucher aussitôt noir sur blanc, elle est sûre que le lendemain elles seront parties nourrir l’imagination de quelqu’un d’autre. Novella n’a pas choisi d’écrire, c’est l’écriture qui l’a choisie. Ce n’est pas de la prétention c’est juste une constatation. C’est un besoin vital qui pousse à la solitude, à oublier les anniversaires, les rendez-vous Pôle Emploi pour des boulots minables, à renier parfois ses amis. Elle pousse à rentrer en soi comme on entre en transe, pour noircir des pages en inventant des histoires et des personnages que Novella ne sera jamais.
Puis il y a des jours où le doute, cet enfoiré, revient frapper à la porte. Impossible de continuer, Novella se relit et trouve que tout est merdique, lamentable, déprimant de banalité. Et puis à quoi ça sert un nouveau roman ? Il y en a des milliers qui sortent chaque année. Qu’a-t-elle de si exceptionnel à dire aux autres pour se faire publier ? Se croit-elle donc différente, spéciale, extraordinaire ? Mais pour qui se prend-elle ? Une écrivaine ! Puis finalement, alors que Novella passe des années allongée sur un divan pour comprendre le pourquoi de son incapacité à conclure ses histoires, elle rencontre son mentor, qui avec beaucoup de compréhension et de confiance en elle et en son talent, lui offre les clefs pour ouvrir cette porte où se cachaient les fins de ses histoires.
Ca y est, Novella se voit signant son contrat avec cette prestigieuse maison d’édition qui a eu le coup de foudre pour son roman. La première fois qu’elle verra une lectrice dans le métro avec son livre entre les mains, elle aura un choc monumental et elle ne pourra plus s’arrêter de sourire de la semaine. Elle aura même l’envie de la prendre dans ses bras, de l’embrasser et de lui dire merci et elle lui écrira une dédicace à faire pleurer dans les chaumières jusqu’à la troisième génération.
Encore une très bon texte, j’adhère à ton personnage!Bravo Mireille.
· Il y a presque 13 ans ·Yvette Dujardin
Tout est fort bien décrit, sonne juste et interpelle... Bravo Mireille!
· Il y a presque 13 ans ·Elsa Saint Hilaire
C'est fou comme parfois c'est les autres qui disent ce que l'on ressent. À mon premier commentaire, j'ai souri pendant une heure...
· Il y a presque 13 ans ·Bravo et merci!
divagations-solitaires
sympa!j'aime bien l'histoire de Novella!
· Il y a presque 13 ans ·Sweety
merci à tous pour vos commentaires :)
· Il y a presque 13 ans ·mirellehdb
Mais oui, publier, faire lire ses textes, c'est montrer son vomi ou son caca et en sortir de l'or....
· Il y a presque 13 ans ·ton texte me parle vraiment... les plats brûlés, les dates oubliés, bah oui, ça me parle....
et cette phrase "c'est l'écriture qui m'a choisie".... une belle écriture introspective....
bleuterre
C'est vraiment un beau texte! J'apprécie encore plus Novella car je me reconnais en elle :) Merci et Bravo!!
· Il y a presque 13 ans ·Je vais tout de suite voter pour ton texte!!!!
mademoiselle-c
Le doute puis le dégout, c'est exactement cela qui nous arrive. Le vomis est le rejet de soi par moment. Tout est bien dit. Enfin un texte lisible, sensible qui ne se gorge pas de mots insignifiants. Merci ainsi qu'à ceux qui ont apprécié.
· Il y a presque 13 ans ·Nestor Barth
Novella n'avait pas le droit de vomir en public, écrire c'est vomir avec son cerveau, rendre des choses venues alimenter celui qui écrira et qu'il va transformer dans un acte irrépressible, quand l'envie d'écrire est là elle est impérieuse. Publier c'est faire voir son vomis. Allo ? C'était Lucie des Peanuts, sur sa pancarte on peut lire : "le docteur est là !"
· Il y a presque 13 ans ·Boris Cyrulnik le maître es résilience dit qu'il faut souvent passer par un humain empathique, confiant et bienveillant pour devenir résilient. Voilà. J'ai compris ton texte ? En tout cas il m'a bien touchée :)
eaven
Merci :)
· Il y a presque 13 ans ·mirellehdb
très bon texte! bravo!
· Il y a presque 13 ans ·Karine Géhin