Un esprit simple

petisaintleu

En faim d'après-midi, il goûta au plaisir de se régaler d'un éclair Au Chocolat, le café qui jouxte les Invalides. Trois mois plus tôt, quand on le transporta aux urgences de la Pitié, les médecins sans compassion déclarèrent que s'il survivait, cela tiendrait du miracle. C'est pourtant lui qui débarquât à Saint-Lazare et traversât à pied la Seine sans en faire un plat. Il prit l'avion en direction du Haut-Atlas pour ressusciter parmi les Maures. Il était d'une humeur à soulever des montagnes et ce ne sont pas les lourdes séquelles de son opération qui allaient le paralyser.

Il rejoignit son ami Rachid, surnommé Le bulbe par ses collègues de travail qui ne manquaient jamais une occasion pour user d'une parabole humoristique. Il faut dire que ces pauvres pêcheurs fécampois étaient rarement à la noce. Mais ils avaient le cœur sur la main. Dans les premiers temps, Rachid dût faire ses preuves. Plus d'une fois il vomit en maudissant le fruit de ses entrailles qui maculait son ciré, sans qu'aucun n'y vit l'ombre d'un blasphème. Chevauchant la Marie-Madeleine, il se fit l'apôtre du filet dérivant qui ne laissait aucune chance aux morues.

Il se leva aux premières lueurs pour s'imprégner de la palette de couleurs qui unissaient le firmament à la terre, avant qu'un bleu cobalt ne vienne séparer l'azur du paysage édénique. Il n'eut guère le temps d'en profiter. En contrebas montait un brouhaha. Tout le village était rassemblé. Deux vieilles aux chicots noircis grimpèrent les quelques marches qui les séparaient de la terrasse pour lui prodiguer la bienvenue dans un charabia berbère. Les jeunes filles se masquaient timidement derrière leurs grands frères, trahissant leur curiosité par des gloussements de houris.

Pourquoi était-il accueilli tel le Fils prodigue ?

Nous étions en février. L'Atlantique Nord grouillait d'une écume qui laissait craindre que les ondes ne se nourrissent des combats léviathaniques de Charybde, Kraken et Cthulhu. Rachid avait une vague idée qu'une scélérate destinée pouvait le faire basculer dans les abysses. Il s'accrochait au bastingage, tout autant effrayé que fasciné par la monstruosité des flots où se miraient ses remords et des regrets mâtinés de culpabilité.

C'est Robert qui le retint par une cheville. Nul ne saura si le vertige qui poussa Rachid cul par-dessus bord tenait d'un étourdissement ou d'un incompréhensible besoin d'en terminer avec ses propres démons. C'est notre héros qui en fit les frais. Il se prit les pieds dans un cordage qui le précipita dans les flots déchaînés.  Robert ne se souvient que de son réveil à l'hôpital. Seul Rachid aurait pu témoigner de ce qui se passa réellement dans les brumes terre-neuviennes.

Les hurlements de Rachid se mêlaient à la macabre litanie des flots quand ils se turent, comme pétrifiés d'un sel dont la suprématie stoppa toute forme de vie terrestre et infernale. Robert émergea du brouillard. Il avait disparu dans l'onde après avoir été entraîné par réaction centrifuge alors qu'il tentait de sauver son ami. Il marchait, ignorant l'incongruité de sa démarche, les fémurs brisés.

Rachid jeta l'éponge, la jugeant trop imbibée de l'extraordinaire vision pour garder les pieds sur terre. Il décida de regagner le sol ancestral et réfléchir au sens de ce qu'il avait vécu. Il trouva la réponse dans un vieil ouvrage qui était pieusement conservé depuis la nuit des temps par les imams du village. Un anthropologue était venu l'étudier et avait reconnu saint Amprote à son style incomparable empreint d'une ferveur onirique.

Robert est un prénom d'origine mérovingienne qui signifie Illustre Gloire. Dans sa vision le bienheureux le citait, prédisant que du septentrion il viendrait réchauffer les cœurs et briser les haines qui divisent. Lui, cet homme simple, ne comprend pas les merveilles qu'il réalise.

  • "C'est pourtant lui qui débarquât à Saint-Lazare et traversât à pied la Seine sans en faire un plat"

    Je ne voudrais pas en faire tout un plat, mais les deux verbes sont mal orthographiés.
    L' esprit simple ne doit pas être fâché avec le passé simple.

    Sinon bon texte.

    · Il y a environ 6 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • Corrigé et merci pour le com.

      · Il y a environ 6 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

  • alô Martine, un incroyable jeu avec le temps. Robert ne sait plus et au moment du pied suspendu, il se rappelle de quelques chose. Le texte bifurque et nous voilà, face à ce fait historique, que l'anthropologue (nous situant mnt) s'offre l'origine de l'oeuvre, oeuvre…?

    Que dire, bien écrit, des passages de (situations-émotions) qui nous livrent un message de "il y a un espoir" ou un simple jeu avec le temps et l'histoire

    · Il y a plus de 6 ans ·
    6a012876c02e5d970c019affb02dba970d 500wi

    suemai

    • multiples bises Martine, So

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      suemai

  • Une très belle écriture pour une histoire peu ordinaire !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • J'aime : "...avant qu'un bleu cobalt ne vienne séparer l'azur du paysage édénique"

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Un peu de géographie poétique ne nuit jamais.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

  • Un bel écrit empli d'émotions. ..

    · Il y a plus de 6 ans ·
    W

    marielesmots

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