Un faubourg mexicain

Dominique Arnaud

Un faubourg mexicain

Là, dans un cube de béton brut, de trois mètres sur trois, se trouve un hospital de frenos, un hôpital pour freins comme l'affirment les inscriptions dont il est bariolé. Ce n'est ni la ville ni la campagne, ni une banlieue morne comme en Europe. Éparpillées dans la verdure, des constructions disparates servent de points d'attache à une activité humaine permanente, chaleureuse.

La rumeur lancinante de la proche autoroute ne couvre pas le meuglement de trois ou quatre vaches acceptant, dans leur territoire, un cheval efflanqué. Comme les chiens poudrés font la sieste par petits groupes souvent pacifiques, allongés dans la poussière, écrasés de chaleur, quelques volailles picorent sans soucis sur le trottoir cousu d'embuches. Si les pâtures ruminées possèdent des allures de terrains vagues, il en est de même pour la route qui s'apparente à un chemin rural goudronné où les topes (dos d'ânes) ralentissent cahin-caha un trafic vrombissant. Ici, nous sommes à la fois très loin et tout près de la grande ville, où les maisons des quartiers riches s'enferment derrière de hauts murs. Quand elles ne sont pas à l'abri de barbelés électrifiés, elles s'isolent du monde extérieur, retranchées au delà des grilles barrant ces rues privées – privadas - dans lesquelles on ne pénètre pas sans avoir montré patte blanche au vigile parfois armé. Mais là, entre montagne boisée et univers citadin, c'est différent. L'auteur de ses lignes vous avoue qu'il adore flâner dans cette zone périphérique où d'aucuns se sentiraient en insécurité, mais qu'il arpente volontiers, la paix au cœur, certains matins clairs équipé de son bâton de marche, d'autres aurores lumineuses en franchissant d'un coup de reins, à vélo tout terrain, les côtes brutales se succédant : de vrais murs dans le jargon cycliste, si raide que la descente en est aussi périlleuse que la montée est à l'arraché.

On trouve toujours de quoi se rafraîchir et se sustenter sous l'enseigne « abarrotes » désignant les petites épiceries placées forcément sous le sigle de Coca Cola, boisson vénérée ici parmi le vaste choix de sodas. Près de la minuscule façade grillée de rouge, une enseigne tout aussi sanguine n'annonce pas une boucherie, que nous trouverons un peu plus loin, car sous les mots « ferre-electrica » s'entassent dans un capharnaüm bien rangé mille articles de quincaillerie, balais, seaux, tuyaux, outils divers. Juste à côté, la « papeleria y novedades (papeterie et nouveautés) met en évidence un étal de ballons bariolés qui tenteront les gosses sortant de classe. Ces minuscules magasins se rencontrent à tous les coins de rue, et rien n'est plus étonnant que leur densité dans un périmètre restreint. S'y ajoutent des étals éphémères ne méritant pas l'appellation de boutiques. Sur de petites tables, là, sur le trottoir, les ménagères découpent et proposent quelques morceaux de poulets bien jaunes, pressent des oranges au jus poisseux fleurant bon la région de Veracruz, alignent les tortillas qu'elles façonnent dans la paume de la main avant de les cuire sur un plaque de fer chauffée au gaz où la pâte onctueuse fait des bulles. Le plus étonnant est que, malgré leur nombre et la clientèle espacée, les pratiquants de ces petits métiers ne connaissent pas une minute de répit, ayant toujours une galette sur le feu, deux demi-agrumes à écraser, une volaille sous le couteau...

une volaille sous le couteau...

A droite de la papeleria, une sente non revêtue de macadam ne mène pas dans les champs, contrairement à l'apparence, mais chez le toubib puisqu'un petit panneau indique « medicina general » et un autre « consultorio médico » qu'il est inutile de traduire. En face, des maisons basses qui, bien qu'occupées, n'ont pas l'air achevées. Il y a toujours un fer à béton sortant d'un mur en cours de finition. Ici, si l'habitat et les commerces présentent un aspect sommaire, par contre les églises, comme les écoles, s'offrent toujours un aspect impeccable, mieux, particulièrement pimpant. Une très grande importance est attachée, dans ce pays, à l'éducation, à tel point que, dans les villages, la rue des écoles est toujours la plus soignée, la mieux équipée et revêtue.

Mais revenons aux faubourgs. On pourrait s'y perdre, mais on se retrouve toujours dans cet incroyable réseau de ruelles toutes semblables et toutes différentes, dont on ne se lasse pas de la variété, où près des énormes ficus au feuillage vernissé, à l'ombre dense, mûrissent dans les jardinets pamplemousses et mandarines, tandis que les haies supportent les lianes fleuries de liserons au bleu profond. Plus on monte vers les coteaux forestiers, et plus l'habitat se dilue dans la verdure, ou dans les entrelacs de tiges déshydratées, jusqu'à cette chapelle antique, solidement voûtée, qui dut se trouver aux confins de la cité, mais est plantée maintenant au cœur de terrains se bâtissant. Un restaurant paumé ne doit être connu que de ses habitués, de l'autre côté du ravin. Mais à partir de cet endroit, plus de véritable agglomération. Les broussailles annoncent la sylve. Elles bordent le chemin tortueux dont les pierres chaotiques et la terre pulvérulente se disputent le pouvoir de dissuader les voitures d'aller plus loin. Plus haut, le damier des parcelles, dont certaines accueillent encore une maison, est parcouru par un itinéraire étonnant, celui qu'empruntait autrefois le chemin de fer. Les rails ont disparu, mais quelques traverses achevant de pourrir racontent, à l'écart, l'histoire d'un train sans doute vaincu car concurrencé par la route carrossable puis par l'autoroute plus rapide qu'une voie ferrée accomplissant de larges courbes pour absorber la dénivelée. Cette piste s'enfonce graduellement dans la forêt qui après quelques eucalyptus se hérisse de pins élevés. De rares troupeaux paissent en liberté à l'ombre d'essences qui ne dénoteraient pas dans les montagnes européennes, ni les palmiers, ni les bougainvilliers ne s'aventurant aussi haut. La lave rugueuse affleure, des grottes biscornues se devinent, une tombe rappelle quelque vieux drame, la civilisation semble désormais lointaine alors qu'en tendant l'oreille, on pourrait encore percevoir, parmi le bruissement des arbres, le murmure perpétuel de la proche cité. Et si l'on veut gagner plus vite de l'altitude, au lieu de marcher sur l'ancien ballast, il suffit de grimper vers l'autoroute et de trouver un passage, pont ou souterrain, pour traverser la voie rapide. Une multitude de pistes conduisent toutes vers la zone des trois mille mètres, et là encore, on ne risque pas de se perdre : il suffit de monter toujours, par la pente la plus forte, pour arriver à un village aux allures de Far West, aux multiples boutiques, restaurants, étals de poterie, un village assoupi, sous le soleil brûlant, au pied de l'ancien volcan sur les pentes duquel poussent les céréales, magie de l'altitude sous les tropiques...

Dominique Arnaud

  • Dominique, j'avais raté ce texte pour la raison que tu connais. Je me suis laissée emportée par cette belle écriture et par ce regard que tu portes sur ce monde.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Imgserver orig

    brigitte--2

  • Merci babou pour le partage. Vol pour un pays que je ne connais pas, mais qui me ramène en tropiques connues, comme dit the cat. Merci Dominique

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

  • Grand merci de partager vos voyages avec ceux qui ne voyagent plus ; le plaisir est d'autant plus fort que c'est un pays que je ne connais pas mais dont certains détails me ramènent à d'autres tropiques que j'ai beaucoup aimés . Double plaisir de la lecture et du dépaysement .

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Chat 238 orig

    the-cat-a-strophes

  • Merci Baboulalla pour le partage et merci Dominique pour ce moment d'évasion au Mexique.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Mn 35 orig

    lapoisse

  • Merci pour le partage Baboulalla, le Mexique étant le pays que j'ai visité m'ayant le plus marqué, j'ai bien aimé ce beau bout d'Amérique.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Quelle écriture très littéraire ! Très belle. Un régal. Merci Baboulalla pour ce joli partage. Voyage réussi.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

Signaler ce texte