Un ruisseau forestier

Frédéric Cogno

Il traverse le bois, fuyard du désamour,

C'est un char polissant les roches ancestrales,

On peut le rencontrer à l'orée médiévale

Où il berce en rêvant les ruines d'une tour.

L'automne s'embrume déféré par les hordes

Et son cou cramoisi porte encore une corde.


Épitaphes de mousses au gré des allées sombres,

Ravin mystérieux, grand veneur de la mort,

L'ossuaire rampant s'agrippe sur les bords

Aux racines jetées comme des mains sans nombre.

Et les branches courbées, communiant, têtes basses,

Suivent le chapelet sur l'écume qui passe.


Ô parfums hérétiques! Sur une berge grise,

Je piège avec les flots brumisateurs de larmes,

Les escales de cuir, de fourrure et de brame;

Fagot d'aubes givrées et gouleyant de bise,

Cerclé de tourbillons, près d'un bloc, crève-obscur,

Qui jaillit du courant comme un crâne à tonsure.


L'hiver n'est plus très loin, masqué sous les vieux chênes.

Les carillons de l'eau, jeux des vasques d'argile,

Frémissent tristement leur trémolo servile.

Un hibou pénitent loupiote sur un frêne.

Immobile, il attend, dans sa chaire macabre,

L'eau ridée de sang noir errer parmi les arbres.


Les nuits ont rechampi la neige et le silence.

Déjà, des cryptes d'eau sous les blanches guirlandes.

Le ruisseau coule encore et je veux qu'il se rende,

Chuchoteur maladroit, sacristain des flots rances,

A la claire marmite où j'ai trouvé naguère,

Sous les cônes de pins, l'enfourchure d'un cerf.


Le froid maudit ces lieux blancs de tertres placides.

La lune et ses fantômes attirent, solitaire,

Un loup au miroir d'eau lapant le flux stellaire.

La boue soigne toujours près des dômes livides,

Buanderie funèbre et drapée de brouillard

Où l'eau comme autrefois lave les plaies barbares.


Eaux des croyances noires, ermitage des deuils,

Ce ruisseau enchanteur s'en sommeillant de rêves,

Trachée ensevelie sous la glace et la grève,

Clabaude en fond de gorge un lugubre recueil,

De psaumes bâillonnés forçant jusqu à point d'eau,

Toutes traces de tourbes aux clameurs de vieux os.


L'hiver racorni par son propre mutisme,

Veut finir dans un trou de glaise et de fumier.

C'est là, que depuis peu, il se trempait les pieds,

Comme un vieux sanglier pris d'affreux rhumatismes,

Le corps fait d'un bois dur griffé à tous les vents,

Qu'un sabotier, un jour, fera renaître à temps.


L'eau grandit et sourit, plaisante sur les bords,

S'amuse avec les mousses et les mottes lugeuses,

Puis danse et virevolte en rasant, la moqueuse,

Sur la pente à soldats creusée par les remords,

Les barbes des grognards en proie aux perditions,

Se traînant dans la boue assoiffée de pardon.


Quel toupet! Quel gaillard bondissant sans raison!

La cantine aux chevreuils exhale un goût amer.

Le merle précepteur regarde un peu sévère,

Les tumultes ambiants, la chasse aux papillons;

Le ruisseau prend sa joie de rires en rigoles

Avec les brusqueries des enfants à l'école.


Ainsi croît le printemps, les chaudrons se remplissent,

Les jacqueries des flots traversent le sous-bois.

Puis viennent patauger les chevaux blancs du roi;

La cour, en habit vert, en deux colonnes lisses,

S'écarte noblement au passage d'écume

Tombant les éventails et les chapeaux à plumes.


Le ruisseau suit son cours flairant la citronnelle.

Ô musique de chambre! Ô valse des brindilles!

Tour à tour baladin, tour à tour joyeux drille,

Noria des noces blanches au cœur des violoncelles!

Les lustres argentés, les carafes de fagne,

Trinquent de mille éclat et sabrent le champagne!


Mélodie mouchetée de pirouettes fines,

Des soupirs échancrés, glamour d'été torride,

Voltigeant pulpe à l'air dans le strass des sylphides,

Éclatent les boutons qui tiennent les poitrines;

Un souffle s'enhardit mentholé de frissons

Et la fée du ruisseau court après les rayons.


Ça toupille en amont, l'eau badine et farfouille

Des baisers pipelets pochés dans les fontaines,

S'agitant en linottes, invitant glands et faînes;

Et les torses bombés, écuissons jaune-rouille,

Charment ouvertement les lucioles d'eau claire

Qui dénouent leurs cheveux ornés de rubans verts.


La chaleur s'en remet aux clairières plus sages.

L'été grave des cœurs tandis que l'eau tressaille.

Les arcades champêtres, nids de chaume et de paille,

Apaisent mollement ces furibonds tapages.

Le ruisseau se retient, un voile d'abat-jour

Couve tout en douceur les vestiges d'amour.





  • Je pense comme Mileash que vous avez un talent incroyable. Les images défilent au fil de l'eau. Les parfums s'envolent, les couleurs chatoient. Et la richesse du vocabulaire me fait paraître petiote, toute petiote à vos côtés. C'est beau, ça bulle et palpite, ça chatoie et entraîne. Bravo.

    · Il y a presque 9 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Merci infiniment Lyselote. Talent je doute encore sans fausse modestie.
      C'est je crois le fruit bienheureux d'un plaisir d'écriture.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Lisbonne 27 29 juillet 2010 028

      Frédéric Cogno

    • Le fruit bien heureux d'un plaisir d'écriture muri au grand soleil d'une culture indéniable. J'envie l'étendue de votre vocabulaire et la manière dont vos mots sollicitent tous les sens du lecteur. Bravo.

      · Il y a presque 9 ans ·
      D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

      lyselotte

    • Les mots sont comme les champignons. Certains sont plus fascinants poétiquement que d'autres. Il suffit pour le cueilleur que je suis de connaître les bons coins et de les cuisiner avec soin souvent le plus simplement du monde.
      Encore merci lyselotte pour ta gentillesse.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Lisbonne 27 29 juillet 2010 028

      Frédéric Cogno

  • Que dire... Merci. Tout simplement. Vous avez un talent incroyable.

    · Il y a environ 9 ans ·
    Weekendplansnewest

    mlleash

    • Un peu intimidé...mais un grand merci quand même!

      · Il y a environ 9 ans ·
      Lisbonne 27 29 juillet 2010 028

      Frédéric Cogno

  • Le temps n'a pas de prise sur une nature si belle et c'est un immense plaisir de se laisser couler au chant des quatre saisons de ce ruisseau.

    A chaque fois tu m'émerveilles Frédéric, merci pour ce moment !

    Gros bisous.

    · Il y a environ 9 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Une chanson d'Amour pour une nature vraie. Bravo l'Artiste.

    · Il y a environ 9 ans ·
    Interv 92

    nananndri

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