La perspective d'une concurrence.

o-negatif

L'idée d'être enfermée dans un coffre peut être assez effrayante. Je sais aussi depuis longtemps que le véritable plaisir n'est jamais gratuit ; et que rien n'est plus excitant que de se mettre volontairement en danger. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours aimé les ballades en voiture. Il m'avait laissé une veilleuse, ce jour-là. Nous avions convenu que je donnerai trois coups consécutifs si j'étais en détresse. Deux, si tout se passait bien. J'étais ligotée de manière à ce que je puisse encore me toucher. J'étais trempée. Nous roulions depuis une demi-heure. Je ne savais pas où il me conduisait. Une fois arrivés, il allait me tirer de ma cachette, m'attacher à quelque chose et faire de moi tout ce qu'il lui passerait par la tête. En attendant, j'effleurais mes lèvres, agaçais mon clitoris, à la frontière de la folie, aux confins de ma conscience, au fond d'un foutu coffre. J'étais heureuse. Ça n'avait pas toujours été aussi simple, Serge et moi.

***

J'aurais pu continuer à nous trahir encore longtemps. Il n'aurait rien découvert, parce qu'il ne cherchait pas à comprendre. Un jour pourtant, j'ai voulu qu'il sache. Cette résolution n'avait rien à voir avec un quelconque sentiment de culpabilité. Je n'arrivais jamais tout à fait à me convaincre que je le trompais. Vous ne pouvez pas vraiment tromper un homme qui ne vous regarde plus.

Serge me prenait encore, c'est vrai. Toujours à quatre pattes. Il le faisait avec une certaine régularité. Mais il ne me touchait plus. C'était de la poudre aux yeux. On baisait quatre fois par mois, ni plus ni moins. On baisait comme on remplit le frigo ou comme on sort le chien. On baisait comme des hypocrites, ou comme des larbins. J'étais loin d'être transportée. Mes orgasmes s'étaient changés en concept, aussi palpable que la spéculation boursière ou les nombres premiers. Ses caresses ne m'accostaient plus. Il était parti. Loin de moi et de lui-même. Il avait beau me pénétrer entièrement, me mettre un doigt dans le cul ou empoigner mes seins, tout ce que je pouvais sentir, c'était la tristesse du décalage horaire. Je partageais mon corps (devenu hall d'embarquement) avec un voyageur immobile. Nos regards ne se croisaient plus quand je passais ma langue sur sa queue. Il dérivait. Il m'échappait. Je m'agrippais à sa bite, la plus belle que j'ai connue, comme on se raccroche à une branche. Il bandait toujours. Il bandait par fierté, par entêtement. Je n'avais plus rien à voir avec ce mécanisme. C'était une branche solide, mais qui se tendait au-dessus du vide.

Inévitablement, je me suis mise à la recherche d'amants plus terre-à-terre. Je rencontrais des inconnus dont les caresses étaient infiniment plus sensibles, des hommes et des femmes qui parvenaient, eux, à me toucher. Cela a duré des années. Je m'asseyais au cinéma à côté d'hommes seuls. Je croisais haut les jambes, laissais vagabonder une main, effleurais un poignet, jetais un regard, tentait un sourire. Les premières fois, j'étais maladroite. Avec le temps, je suçais mon voisin, ou léchais ma voisine, après une demi-heure de film. Je jouais de l'accoudoir, guidant l'inconnu(e) vers le nylon couvrant mes cuisses. Je conduisais les mains tremblantes et surprises vers mon visage, leurs doigts dans ma bouche. Je les léchais longtemps. J'étais douce et rassurante, mais surtout déterminée. Je chassais au cinéma, dans les jardins publics, les musées, au bord des quais. C'est devenu absurdement simple. Je me laissais prendre dans les voitures, sous les abribus, dans les chambres d'hôtel Ibis-budget. Où l'on voulait bien. Et puis je partais. J'allais récupérer mon fils à la crèche. Il me sautait dans les bras. J'avais envie de pleurer. Je n'ai jamais trouvé chez mes nombreux amants ce que j'avais perdu avec Serge. Cela m'a simplement permis de garder contact avec la réalité ; d'amortir les effets désastreux de ce Jetlag sexuel.

***

Captive, ficelée dans un coffre, comme une chienne. Je n'en attendais pas moins de notre mariage. J'imagine que j'ai eu de la chance. Je poussais de petits cris de jouissance, je sais qu'il aimait les entendre, pendant qu'il conduisait. Je lui racontais à quel point j'aimais sa queue. « Serge, si tu ne gares pas bientôt la voiture, je te jure que je vais mourir noyée dans ce coffre. Tu n'imagines pas à quel point je suis en train de mouiller. A cause de toi. Tu m'entends, mon amour ? Je sais très bien que tu m'entends. Branle-toi un peu, s'il te plait. Tu sais comment fonctionne le régulateur de vitesse ? Maintenant, je veux que tu te déboutonnes et que tu attrapes cette bite. Elle est à moi, tu sais… »

***

J'aurais pu lui parler de tout ça en remplissant le lave-vaisselle « Tiens, je suis allée me promener au jardin des plantes cet après-midi et devine quoi : j'ai baisé avec un couple de touristes brésiliens. Elle avait une poitrine très menue, très pointue. Des seins de gamine. Je les aime bien comme ça. Je ne pouvais plus m'arrêter de lui mordiller les tétons pendant que son compagnon me pilonnait, assez maladroitement d'ailleurs, un type pas très fin mais d'une endurance inouïe, sans doute un joggeur, et bref, ça m'a fait penser à ce projet qu'on avait de prendre des vacances à Salvador De Bahia… ».

J'aurais aimé pouvoir me montrer si désinvolte, car après tout, c'était bien de cette manière que je faisais l'amour aux passants, sans façons, sans conséquences. Je n'ai jamais pris la peine de noter un numéro de téléphone. Plutôt que de lui raconter sobrement mes journées, j'ai écrit à Serge une lettre de dix pages. Une fois couchés sur le papier, les aveux me paraissaient faux ; solennels et faux. Mon infidélité n'avait rien de dramatique. Ce n'était qu'un moyen de rester au-dessus de la surface. Quand un bateau sombre, je pense qu'il est plus important de se concentrer sur les raisons du naufrage, plutôt que sur les couleurs de la bouée de sauvetage.

J'avais beau l'écrire encore et encore, cette lettre semblait davantage officialiser mon statut de salope que revendiquer mon droit à être touchée par celui que j'aimais. Quoi qu'il en soit, j'ai fini par l'abandonner sur la table de la cuisine, cette foutue lettre, juste avant de partir au travail. Nous n'en avons jamais parlé ensuite. Serge a mis les voiles, quelques jours. Je ne sais rien, encore aujourd'hui, de la manière dont il a employé cette parenthèse. De mon côté, je pensais que notre couple était foutu. Je n'envisageais rien d'autre qu'une garde partagée, des frais de notaire et les modalités pratiques du déménagement.

Il est rentré un vendredi soir. Il s'était arrangé pour que notre fils parte en week-end chez ses grands-parents. La porte fermée derrière lui, Serge s'est effondré à mes genoux, dans le couloir de l'entrée. Il ne disait rien. Je me suis accroupie pour le ramasser. J'ai pris son visage dans mes mains et j'ai commencé à lécher ses larmes. Je voulais les boire, et n'en perdre aucune. J'ai senti ses mains se frayer un chemin sous ma jupe, à travers la lingerie. C'était une course. C'étaient des mains qui, mortes de trouille, cherchaient un refuge. Tandis que je passais ma langue sur son cou, afin de cueillir une larme isolée, je me fis la réflexion que c'étaient des mains familières, et qui me touchaient à nouveau. J'ai murmuré à son oreille : « Ne t'arrête surtout pas de pleurer. Je veux que tu me donnes tout ce que tu as. Sinon, tu peux repartir tout de suite.

— Je ne peux pas te perdre, il a répondu.

— Alors chiale et continue à me toucher, je veux sentir tes doigts entre mes jambes, je veux que tu me déchires. Je sais même plus ce que c'est que de te sentir ! »

Je me suis mise à sangloter, quand il s'est allongé sur moi, son corps secoué par la tristesse, et la colère, et les regrets. Je me suis laissée glisser entre ses jambes et me suis ruée sur ses couilles, que j'avalais l'une après l'autre en lui écartant les fesses. J'ai passé sa queue sur mon visage, pour me débarbouiller de l'offense, de tout le gâchis dont nous nous étions rendus coupables. J'ai fait disparaitre son membre dans ma bouche et l'ai gardé longtemps en otage. Je m'en goinfrais. Quand ses yeux se détournaient des miens, je le mordais un peu. Je voulais qu'il me fixe pendant que je le capturais. Je sentais les palpitations plus fréquentes sur ma langue, sous mon palais. Il ne pourrait plus tenir très longtemps. Ses doigts étaient rentrés au bercail, dans les tréfonds de mon corps. Il me doigtait bien, ranimait des sensations que je croyais perdues. Il me touchait à nouveau. Ma chatte mouillait sur sa main, le long de son poignet. Il essaya de se retirer mais je le gardais dans ma bouche, jusqu'à ce qu'il décharge au creux de ma langue.

Étendus parmi nos vêtements épars, sur le parquet du couloir, Serge ne pleurait plus. Il caressait mes cheveux, comme on tente de maintenir au calme un animal blessé. Je ne voulais pas de ça, de cette douceur, de cette bienveillance. Je voulais le maintenir en vie, puisqu'il paraissait encore capable d'exister. Tout en m'emparant à nouveau de sa queue, j'ai dit : « Je vois bien que tu es triste. Maintenant, je veux savoir si tu es en colère. Est-ce que ça te met en colère de savoir que je me suis fait baisée par des types que je ne pourrais même pas reconnaitre si je les croisais à nouveau dans la rue ? Est-ce que tu as la moindre idée de ce que je suis capable de faire dans une cabine téléphonique ? Est-ce que ça te rend malade quand je t'avoue quel genre de garce je suis ? Si ? Tu commences à être en rogne ? C'est bien… C'est tant mieux parce que je veux que tu m'attaches, les mains dans le dos, et que tu me fesses. Tout de suite. Et fort. Je veux sentir à quel point tu es en colère, quand je partouze dans les fourrés d'une aire d'autoroute, parce que tu ne fais plus ton boulot et que je crève d'envie, et que j'aime baiser plus que n'importe quoi… »

***

« Serge ? Depuis combien de temps on roule ? Ça commence à être dur, pour moi ! » Je ne sentais plus mes jambes. Le trajet n'avait jamais été aussi long. Il ne répondait pas. Il n'avait pas ouvert la bouche depuis que nous étions partis. Je donnais trois coups de pied dans la carrosserie. « Serge, bordel ! »…

***

La vie, ce n'est pas Hollywood, le vendeur d'encyclopédies planqué dans l'armoire, l'amant qui s'enfuit par la fenêtre et dégringole du toit dans ses caleçons, ces maris ivres de vengeance qui pointent leurs armes sur leurs femmes infidèles, enclenchent le chien. La vie est plus chaotique et dégueulasse que ça. J'imagine que chaque homme réagit différemment à l'infidélité. Serge a été très stimulé par la perspective d'une concurrence. Dans les mois qui ont suivi nos retrouvailles sur le parquet de l'entrée, son seul projet a été de me faire jouir. Il n'a jamais été familier des armes à feu. Il s'est battu avec sa seule langue, de la bande adhésive, des menottes, une cuillère en bois et une panoplie invraisemblable de godes. Je suis devenue son champ de bataille. Il s'est mis à collectionner mes orgasmes. Je ne me suis refusée à aucune de ses offensives. J'étais trop heureuse qu'il me touche à nouveau. Deux mois plus tôt, pour la première fois, il me bandait les yeux, me guidait jusqu'au garage, sa main dans ma culotte, puis il m'installait dans le coffre de la voiture.

***

Le moteur était coupé. Serge ne se manifestait pas. Mes pieds, mes poings martelaient le coffre. Ils saignaient. « Fais-moi sortir de là, putain ! Tout de suite !! ». J'essayais d'éloigner la panique en me concentrant sur ma respiration. Je comptais cinq secondes entre chaque bouffée. J'essayais. En vérité, je crois que je hurlais des injures et des supplications en continu. Quand je parvenais à me calmer deux secondes, je tendais l'oreille. J'ai fini par entendre des pas sur du gravier. J'ai commencé à avoir très peur que Serge n'ait jamais été au volant. Que ce soit quelqu'un d'autre. Ça n'avait pas de sens. Je ne voulais simplement pas y croire. Pourtant, c'est bien sa voix que j'ai entendue à travers la rainure du coffre. Sa belle voix, très calme : « J'ai jamais vraiment aimé cette bagnole. Et tu sais, je crois que toi non plus, j'ai jamais pu te saquer ». Et puis j'ai senti quelque chose couler sur moi. Je connaissais cette odeur, comme tout le monde, mais mon cerveau refusait d'admettre que Serge, ivre de vengeance, comme le premier cocu hollywoodien venu, était en train de m'arroser d'essence.

***

  • Je suis encore nouvelle ici, j'ai donné une note de 5, mais ça n'affiche que 4,4... Je ne comprends pas comment ça se calcule.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Bettyx

    Béatrice André

    • En même temps, ce texte ne mérite pas plus qu'un 4.6, disons 4.8 à tout péter, selon moi. Et encore, je note large.
      Nous demandons néanmoins à ce qu'une commission indépendante se penche au plus vite sur la question du "5". Avec le concours, si possible, d'un médiateur. Car j'ai le sentiment que nous sommes victimes d'un abus de confiance caractérisé ici. Mon équipe de stagiaires en droit est sur le coup.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      2009 139 orig

      o-negatif

  • Texte absolument magnifique ! Superbement écrit, et quelle histoire ! Passionnante. J'ai voté pour.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Bettyx

    Béatrice André

    • Merci. Je partage tout à fait ton opinion.

      · Il y a plus de 9 ans ·
      2009 139 orig

      o-negatif

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