Une éxécution amoureuse...

Jaime De Sousa

Qu'est qu'il fait chaud!!! Je suis debout, les yeux fermés, et je ressens le soleil qui brûle mon visage. Autour de moi, beaucoup de bruit. Une cascade d’eau, des voitures qui passent et qui klaxonnent; des gens qui parlent en anglais et en italien, qui crient, qui s’engueulent, qui demandent à se qu’on les prenne en photos ou qu’on leur donne une pièce.

Des odeurs aussi. Des odeurs de pots d’échappements, de crêpes, de paninis, de kebab,se mêlant à celle du métro souterrain, alliage nauséeux d’urine et de poubelles, le tout atténué par un parfum plus doux. Son parfum. Son parfum que je connais si bien et qui m’enivre.

Un poids sur moi. Celui d’une personne d’où émane cette odeur sucrée. Un corps réfugié dans le creux de mes bras, sanglotant et s’exprimant en onomatopées. Un corps que je connais par cœur et que je pourrai parcourir de mes doigts les yeux fermés, connaissant la moindre courbe, le moindre pli, la moindre ride, le moindre petit bout de gras. Ses cheveux chatouillent mon visage et caressent ma peau. Quelque chose coule le long de ma joue. Un liquide y glisse tranquillement jusqu’à mes lèvres, petit gout de sel. Ce sont des larmes, mais pas les miennes.

J’ouvre les yeux.

La lumière du soleil m’aveugle quelques instants. Mes pupilles s'y habituent. Devant moi se dessine une forme grise, de l’eau en jaillit en trombe. Une fontaine. Celle de la place Saint Michel. Je balaie de mes yeux les alentours. Les anglais qui se prenaient en photo sont partis se chercher une crêpe près du Gibert Jeune; les italiens donnent une pièce au mendiant de la place plus pour se débarrasser de lui et de son odeur que pour l’aider; le flot ininterrompu des voitures passant des deux cotés de la fontaine achève un peu plus Nicolas Hulot.

Je porte enfin mon attention sur la personne qui pleure dans mes bras.

Une fée, mais pas n’importe laquelle. Une jolie petite fée brune à la crinière frisée; un visage angélique mais néanmoins malicieux aux traits fins; de grands yeux noisettes allant parfaitement avec son teint halé, héritage de ses ancêtres méditerranéens; une silhouette voluptueuse et cambrée accentuant le volume de sa poitrine, deux abricots à croquer, que laisse entrevoir le décolleté de sa chemisette blanche; l’ensemble porté par de petites jambes fines. Si la Fée Clochette avait eu ce physique, Peter Pan ne serait pas resté longtemps innocent. Et elle pleure Clochette. J’ai envi de la réconforter et de la protéger. De lui donner de la poudre magique pour qu’elle s’envole, sa tristesse avec. Mais je ne peux pas. Je n’y arrive pas. «Je t’aime encore» dit-elle de sa petite voie aigüe entre deux reniflements.

Je reçois ces mots comme autant de coups de poings dans le ventre. J'ai la tête qui tourne un peu, ma gorge se serre, il fait vraiment trop chaud.

Je m’écarte d’elle. Un peu d’air me fera le plus grand bien. Pendant qu’elle se mouche et s’essuie les yeux, je regarde discrètement ma montre.

17h38. Je crois que c’est la première fois qu’on me quitte à l’heure de l’apéro. «Antoine? Qu’est ce tu penses de tout ça?» me demande-t-elle.

La première chose qui me vient à l’esprit est que j’ai affreusement soif.

«On va boire une bière?» Elle me regarde interloquée.

«On se quitte et tous que tu trouves à me dire, c’est que tu as soif?

 - Rectification. TU ME QUITTES.»

La tranquillité avec laquelle je lui ai répondu m’impressionne.

«Tu es nul Antoine!! Tu ne prends rien au sérieux!»

Ça c’est original comme phrase.

« Anne, ce qui n’est pas sérieux, c’est de me laisser en me disant que tu m’aimes! Et si tu me disais plutôt la vérité!

-Mais quelle vérité!!!? Tu vois bien que ça ne vas plus entre nous! Il n’y a pas d’explication!! Notre relation s’est… J’en ai plus envie. Et tu ne me donnes plus envie!!!

-L’envie d’avoir envie… -Pardon?

-Non, rien. Ça me rappelle une chanson de Johnny.»

Anne s’arrête net dans son élan. Elle me regarde comme si elle me découvrait pour la première fois. Et après quelques secondes de silence, chose à laquelle je ne m’attendais pas, elle rit. Je ris avec elle et ça nous détend tous les deux. Je me dis qu’il y a un espoir. J’arrive encore à la faire rire. «Antoine, tu es pathétique. Vraiment.»

Je pense qu'il va falloir repenser la tactique. Je tente de calmer le jeu.

«Je ne te comprends pas. Pourquoi maintenant? Je veux dire…du jour au lendemain tu t’es dis que c’était fini entre nous? Il doit bien y avoir un moment clé? Je ne sais pas moi?! Quelque chose dont on pourrait discuter pour résoudre tout ça!!

-Il n’y rien à résoudre. Je sais juste que ça doit se terminer.

-Mais tu viens de me dire que tu m’aimais encore!!! comment peut- on laisser quelqu’un sans raisons et lui dire qu’on l’aime encore?!!ce n’est pas possible!! Il y a autre chose!» Après un court silence, je poursuis. «Si tu as rencontré quelqu’un, je préfère que tu me le dises Anne…ça sera plus facile à encaisser…

-Je ne suis pas sure que tu encaisserais si facilement.

-Tu…tu veux dire que tu as quelqu’un d’autre?» Mon cœur s’arrête de battre quelques secondes à ce moment la. J’envisage le pire. Mon imagination que je qualifierai d’instantanée tourne à plein régime, et dans ce film que je réalise dans ma tête, Anne est dans les bras d’un autre homme. Et allez savoir pourquoi, l’amant convoqué dans mes angoisses est un croisement de Michalak et de Brad Pitt. Rien avoir avec moi qui aie la taille et le charisme d’un hobbit aux mèches blondes. Et voilà que ces néo-amoureux qui vont tellement bien ensemble, s'embrassent. Ils se baladent dans les rues de Paris, main dans la main, ou main dans la poche de l’autre c’est selon; Brad Michalak fait rire la fille de mes rêves, enfin la future ex- fille de mes rêves, et moi, impuissant, avec un air de chien battu, je…

«Non Antoine, je te le jure. Je n’ai personne et je ne t’ai jamais trompé, me dit-elle coupant ainsi mon imagination, alors ne te fais pas de films, tu vas te faire du mal.»

Encore troublé par mon court métrage cérébral, je me rends compte qu’effectivement je n’aurai pas supporté qu’elle me laisse pour un autre homme. Les hobbits ont aussi leur fierté. Nous nous regardons et elle fuit mon regard. Le coup fatal est pour bientôt. Je dois dire quelque chose, la retenir encore un peu, l’attendrir…..Je sais! Il faut que je pleure! Je rassemble alors toutes mes forces émotionnelles et essaye de les transformer en liquide lacrymal. Mais rien n’y fait. La douleur est pourtant là. Latente, tapie dans les profondeurs de mon âme, elle ne demande qu’à exploser. Mais une partie de moi s’y refuse. Je ne veux pas qu'elle me voie souffrir, stupide orgueil masculin.

«Je dois y aller Antoine.»

Ça y-est...le bourreau exécute sa sentence. Le condamné est décapité et le peuple retient son souffle. Le corps fait un ultime soubresaut sur la guillotine.

«Tu es sure que tu ne veux pas réfléchir un peu? Je suis prêt à attendre le temps qu’il faut tu sais…

-Non. C’est tout réfléchi. Je suis désolée. C’est fini.»

Le corps ne bouge plus. Le peuple exulte de joie. Anne s’approche de moi. Selon le protocole de La Rupture dite classique, nous devrions nous quitter en nous embrassant une dernière fois, mais comme c’est la révolution et qu’une nouvelle ère commence, j’ai le droit à la bise.

«Est-ce que je te reverrai un jour?»

Je lâche la question comme ça, sans aucune conviction, connaissant la réponse d’avance, pour la beauté du geste en quelque sorte.

«Oui, mais pas tout de suite. Il va me falloir du temps pour ça.» Message subliminal pour me dire qu’on ne se reverra sans doute jamais.

«Au revoir Antoine.

-Au revoir Anne.»

Je la suis du regard, tandis qu'elle s'éloigne, en espérant qu’elle se retourne pour me jeter un dernier coup d’œil. Si elle le fait, c’est qu’il y a encore un petit espoir. Mais elle continue son chemin vers la bouche du métro de la place. Retourne-toi, nom de dieu! Allez retourne toi! Regarde-moi! Ne me laisse pas planté la! Elle descend sans hésiter les escaliers la menant droit dans les entrailles de Paris et y disparait.

Sur ma joue, un liquide glisse jusqu'à mes lèvres, petit goût de sel...

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