Une fontaine en montagne

Frédéric Cogno

Je ne me lasse pas de chanter ce village,

J'aime m'y arrêter, conscient du grand veuvage,

Quand les balcons de bois rabotés par l'hiver,

Piquent d'un regard noir les exilés d'hier.

Poignante vérité qui offre un point d'ancrage

Au temps tout habillé de jaunes pâturages;

Si vous regardez bien, l'endroit n'est pas désert,

Il suffit d'ajouter la fontaine au bol d'air.

En montant dans la rue, tout droit vers la chapelle,

Face au vieux four qui suit une rangée de pelles,

Creusée dans le mélèze, elle est là qui sourit,

Puis semble trépigner pour des cajoleries.

Elle a ce goût d'estive enlacée aux airelles,

Ce parfum vert fauché et des roses mamelles,

Une bouteille attend tout au fond de son lit,

Le berger amoureux qui mène ses brebis.

Ô pensive fraîcheur, rêveuse à fleur de grange,

Appelant les choucas à devenir tes anges!

Le matin vient vers toi, saveur entre les chais,

Et romance en ton nom la collecte de lait.

A me voir intrigué, la fontaine s'épanche,

Son eau va décanter l'esprit le plus étrange,

Comme un râle de source, elle a, troublée de craie,

Purifié chaque verbe au fond de son palais.

Par ses joutes glacées inondées de rosaces,

L'haleine des crêtes nous parvient sur la place,

Comme un névé perdu s'accrochant au piton

Entre caillasse mère et sentier du démon.

Ah! Fontaine lavée des vanités tenaces

Qui pardonne à ses flots revenus des crevasses!

Son coeur certes glacial, accueille un papillon

Et se plaît à ravir du duvet aux mouflons.

L'avez-vous vu la nuit comme une vieille poêle

En fonte noire humant sa garbure d'étoiles?

Ou l'aimez-vous le soir au rayon démêlant

Shampouinée à la lune améthyste et argent?

Songez à ses printemps qui soulèvent ses voiles!

Invitez les hivers mimant une rouelle!...

A ses pieds rajeunis partagez à présent

Le fromage et le pain sur un tablier blanc!

Qui boit à la fontaine aura toutes les chances

De suivre au vent léger son âme en transhumance,

De cueillir un baiser éloigné du troupeau

De le tremper à vie dans le chant d'un ruisseau,

De se sentir frémir au delà des errances,

D'être à la fois sérac et agneau de Provence,

De finir trisaïeul plongé dans son berceau

Et monter jusq'au ciel avec l'anse d'un seau!...




Signaler ce texte