Une histoire pas comme les autres: ma gomme.

orlov

 

Une histoire pas comme les autres : ma gomme.

Les histoires sont souvent réservées aux humains, cependant, à chaque fois que je me penche sur la transparence de mes objets fétiches, j'aperçois les notes colorées de leur vie. Cela peut paraitre étrange mais plus j'observe ce petit bout blanc devenu grisâtre avec le temps, plus je me plonge dans sa substance et me ballade avec lui sur la symphonie de son existence.

Une grande forêt canadienne aux feuilles bariolées de pourpre et d'orange sanguine ; toutes ces couleurs éclatent les rayons du soleil, matinaux, en un bouquet vif. Chaque arbre sent le bois humide et regorge de sève : ce liquide caoutchouteux bave le long de l'écorce striée. J'imagine avec délice la récolte gourmande de cette substance appétissante. Tu es née petite gomme, dans cet univers de beauté naturelle. Ton essence si abrupte pour devenir ce que tu es à travers des mains humaines. Amas poisseux de sève sauvage, tu dégoulines dans les bacs que des mains musclées et dessinées avec force tendent sous l'arbre. Et de cette masse informe et translucide, l'homme a su créer, avec ses usines à l'orée du bois, de petits bouts carrés.

Avec étonnement, tu regardes ta nouvelle apparence : semblable à toutes les autres gommes, propre, avec cette odeur écœurante du neuf et les fameux six cotés…avec un tampon assez curieux : MAPED.

Lorsque tu retraces ton existence, c'est avec le cœur séré d'émotion que tu te rappelles de ton premier ami : un petit bambin de sept années qui t'admira avec de grands yeux ambrés lorsque sa maman lui offrit sa première trousse, juste avant la rentrée des classes. Cet objet magique, rien que pour lui, capable d'effacer tous les crayons : le noir, le rouge, le jaune et parfois même de faire des trous dans le papier !

Tous ces moments ou, te trouvant un peu salie et grise, il prenait la gomme d'un camarade pour te nettoyer le dos ! Tu ronronnais comme un chat, ravie du court répit que t'offrais ces massages ondulatoires.

Ta première passion ? Les poèmes de Rimbaud. Nichée au creux de la main de Victor qui aimait jouer avec toi, tu en profitais pour jeter un coup d'œil sur les poésies qu'il révisait. Et là, tu t'imaginais bien des choses : ce jeune poète capable de décrire les voyelles (A noir, I rouge) peut-être avait il raconté l'histoire d'une gomme ?

Les examens, le stress et les devoirs. Ah ! Ça tu connais ! Victor est à présent un jeune-homme aux boucles fugaces et désordonnées. Brillant et beau parleur il court les entretiens avec toi, toujours fidèle, dans la main. Fatiguée et diminuée, tu supportes patiemment la pression de ses doigts, sachant endurer cela pour ses yeux bleus en attendant, patiente, qu'il te remette dans sa poche.

Les humains ne sont pas eternels, tu le sais. Ton cher petit bambin aux boucles d'or a bien vieilli à présent. Lorsqu'il part dans un fou rire, c'est souvent avec une toux rauque et fatiguée. Toi plus grise que blanche, tu l'attends dans sa boite à trésor : celle des souvenirs, à coté d'une photo jaunie et écornée de son épouse : et là tu te souviens du bon vieux temps, de tous ces bons moments partagés avec Victor.

Tu reposes dans le noir, au chaud dans cette boite métallique, sachant que ton vieil ami te sortira comme tous les soirs au coin du feu…ce moment magique ou Victor attrape sa boite de petit garçon sur le buffet, entrouvre le couvercle et se met à rêver.  

  • Me voilà rassuré...je croyais avoir commis une maladresse, cela m'a chagriné même...Pour les recueils proposez moi une solution pour vous les expédier. MERCI

    · Il y a presque 12 ans ·
    Lisbonne 27 29 juillet 2010 028

    Frédéric Cogno

  • Je me souviens qu'à l'école primaire son absence dans ma trousse, quelquefois, pouvait faire naître une colère intérieure qui me mettais très mal à l'aise. J'ai su bien plus tard que ses petites fugues m'avaient enseigné l'art d'avoir le courage de mes fautes et m'avaient appris à vivre avec mes ratures.
    Et ce n'est pas rien!
    Je crois que beaucoup en garde une dans une boite parce que "ça peut toujours servir", moi j'ai conservé la dernière "scolaire", en reconnaissance éternelle.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

  • oui je l'ai fait sciemment :) cela n'enlève en rien le commentaire! Je trouvais que cela allait mieux en msg perso! Avec grand plaisir pour vos recueils!!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Macaron 500

    orlov

  • Comme votre message élogieux s'est effacé, je me suis permis de gommer le mien, inutile..je vous proposais mes recueils...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Lisbonne 27 29 juillet 2010 028

    Frédéric Cogno

  • j'ai checké votre mail on va parler du chnord et des citées minières ça va être passionnant!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Macaron 500

    orlov

  • Hé non, Orlov! pas de blouses blanches, multicolores et plus où moins belles suivant les moyens des familles, car nous étions filles de citée minières. Par contre, certaines, dont le père, employé, cadre ou autres envoyaient leurs filles à l'école des sœurs, tablier noir, nœud blanc dans les cheveux. Et garçon et fille séparé. Moi j'y ai échappé, mon père n'aimant pas les curés, mais mon enfance de garçon manqué, je ne l'oublierais jamais. Amitié.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • yvette: ahah je trouve cela pas mal aussi! Mais à l'époque les filles avaient des blouses blanches non? Donc plus facile? Disons que moi l'amour du gommage entre gommes est né assez tot en cours de mathématiques et sciences..il fallait bien passer le temps quand le professeur se mettait à parler un charabia que je ne comprenais pas :)

    · Il y a presque 12 ans ·
    Macaron 500

    orlov

  • Encore un ravissement! Poésie touchante, mélancolique et tendre qui caresse l'âme et gomme les ratures des mauvais jours. J'aime votre style et vos thèmes abordés qui sont proches des miens... Simplement merci! Un admirateur.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Lisbonne 27 29 juillet 2010 028

    Frédéric Cogno

  • Heu! moi, faute d'en avoir deux, je les nettoyais sur mes vêtements! Une autre façon de perdurer. Bravo pour le profil, les photos!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Très touchant itinéraire d'un objet usuel qui rétréci à l'usage ! "Objets inanimés avez-vous donc une âme..."?

    · Il y a presque 12 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

  • ahah merci...c est vrai qu'on a perdu la bonne vieille feuille de papier gribouillée et teintée de noir...ou la rature fait son charme, ou le vieux crayon de bois ronronne sous les caresse de la gomme! Enfant j'adorais nettoyer mes gommes blanches avec d'autres gommes et jouer avec!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Macaron 500

    orlov

  • Magique (la gomme) un texte que l'on suit avec plaisir sur des feuillées de poètes, gommant les erreurs, biffant un mot, j'aime beaucoup cette "histoire pas comme les autres"
    Repose en paix gomme de poètes, nous n'avons plus souvent ton usage, faute au clavier, tout est virtuel maintenant. Un bravo, sans gommage!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

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