Vérité d'occase

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Synopsis :

La ville, ses immeubles, ses quartiers et… ses relations de voisinage, de palier… qui quelquefois vous empoisonnent la vie, le païen quotidien.

Balthazar n'en peut plus de son cher voisin, un jour il décide de franchir le Rubicon…Lui dire ses quatres vérités…Mais par un coup du sort, une manque à l'appel…Alors que faire ! Pour sûr, aller voir Jed…Un commerçant atypique et fantasque chez lequel on trouve  l'hypocrite arsenal de l'humanité : mensonges républicains, mensonges de routine, insultes, et bien sûr des vérités neuves ou d'occases…Balthazar, trouvera-t-il plus que son bonheur ? Une révélation !?

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Marre de mon voisin, bruyant, énervant, assommant qui émousse chaque jour un peu plus ma fleur de patience. Il suffit ! Je vais lui dire mes quatre vérités, non mais !

Damnation ! Sur le palier, après une légère pulvérisation de spray magique, je m'aperçois que je n'ai plus que trois vérités éculées, dans la paluche. La quatrième égarée, carapatée, vers d'autres lieux, d'autres cieux. Je ne pouvais décemment pas, lui asséner les trois restantes, cela ne se fait pas, même pour un olibrius de cet acabit. Il fallait trouver une solution.  Flash neuronal ! Mais oui Jed… JED TOUT !!! Mais bien sûr ! Lui seul pourrait me dépanner, me sortir de cette panade.

Au 26, rue des Rossignols, Jed possédait une petite échoppe, dont une partie de la devanture était peinte en jaune, l'autre en orange. Pimpante la boutique ! Quant à la vitrine : nue. Rien  à donner en pâture aux regards en goguette, si ce n'est un vide olympien et sept lettres apposées sur la vitre en gros caractère d'ébène : JED TOUT ! Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse…

Sa clientèle était des plus éclectiques : politiques, mafieux, hommes d'affaires, religieux, militaires de haut rang, femmes infidèles…. Toute cette faune hétéroclite se mêlait, s'entremêlait, s'enchevêtrait pour donner un écheveau de cœurs et d'âmes à la dérive.

Je connaissais Jed depuis deux lustres, soit une décennie. Jeune avocat au barreau de Paris, j'avais assumé tant bien que mal sa défense, comme avocat commis d'office, dans une sombre affaire de trafic de fausses vérités, qui lui valu tout de même deux ans ferme.

J'avais fait pourtant de mon mieux ; il me manquait ce petit plus qui fait toute la différence : l'expérience. Au bout de dix huit mois, il fut relâché pour bonne conduite, bien qu'il n'eût pas le permis de conduire. Le lendemain de sa levée d'écrou, il s'achetait une conduite et se rangeait des voitures.

Originaire de Portland dans le Maine, l'Etat des Pins, Jed Dunwick avait quitté sa mère patrie, pour courir l'aventure. Jed, un flandrin, fin comme une allumette, avec une chevelure d'érable en feu, et un nez effilé comme un supersonique. Loin du cliché classique de l'Américain standard. Jusqu'au Wisconsin, il usa ses jeans, faisant de petits boulots merdiques, afin de nourrir  autant sa carcasse que ses espoirs. Le soir venu, dans sa chambre, il passait le plus clair de son temps, à ressemeler ses rêves au long cours. Ayant amassé la somme voulue, à la sueur de son front,  il s'embarqua un beau matin, sur un vol transatlantique, à destination de Paris. Dans la capitale des lumières, il se mit à collectionner les vices qui lui manquaient encore : drogue et alcool. De magouilles, en méfaits, Jed glissait jour après jour, plus ostensiblement dans les bas-fonds, dans le milieu interlope parisien. Jusqu'au jour, où il tomba pour trafic de fausses vérités. La prison fut son salut, sa chrysalide, sa rédemption.

La petite clochette tintinnabula dès le seuil de la boutique franchi, emplissant de vibrations délicates l'espace ambiant. A mon entrée, Jed leva la tête de son ouvrage, et me lança son fameux « Hello ! » made in  America, en retour je lui lâchais un vibrant «  elle bout ! ». Deux rires en fusion alors fusèrent dans le petit magasin au même instant, dont un était plus étoilé que l'autre.

Assis sur un petit tabouret de bois, il reprisait un petit mensonge tout éculé et déjà rapiécé de toute part. Je l'observais en silence, muet d'admiration devant la dextérité de ses gestes.

« C'est la crise, l'ami ! Les gens préfèrent faire rafistoler leurs mensonges au lieu de s'en offrir des neufs. L'air dépité, il ajouta c'est la criiiiiiise.

Derrière lui, tout un pan de mur accueillait des étagères sur lesquelles des bocaux de couleurs étaient disposés. Sur la banque, un petit portique jaune, haut de cinquante centimètres chargé d'idées noires me regardait avec instance et insolence. Non loin, une grosse corbeille rouge regorgeait de porte-clefs gros mots, de tous continents : des jaunes, des noirs, des rouges et bien sûr des blancs, tous imbriqués les uns dans les autres. Tous unis ! Tous frères !

« C'est la grande mode les gros mots porte-clefs, la jeunesse en raffole, dit il les yeux rivés sur sa besogne. Intéressé ! » Je dodelinai de la tête vigoureusement.

- Ils sont désactivés, heureusement, sinon ce serait une belle cacophonie. Seule une formule magique peut les ressusciter. Alors, qu'est-ce qui t'amène Balthazar.

-       Une vérité, mais si possible d'occasion…C'est la crise !

Il esquissa un léger sourire.

-       Une vérité mais de quel genre. Une vérité multi-jour, une vérité prestige pour les grandes occasions, une vérité week-end, de vacances…

-       Une vérité du jeudi, tout simplement. Dis-je sans conviction.

-       Je vois. Une vérité multi-jour donc, je ne fais pas dans le jour nominatif. C'est la plus courante, la plus banale, la plus passe-partout, une de celle qui se vend le mieux ; et de quelle longueur.

Je n'en savais fichtrement rien. Je n'avais pas réfléchi à la question. Disons, vingt centimètres.

-       Une standard ! Okay ! Il posa son petit mensonge sur le comptoir, qui aussitôt se lova, puis il se dirigea vers les bocaux. En saisissant un bleu, d'un geste malencontreux, il fit choir un bocal vert qui se brisa en plusieurs morceaux.

-       Vite, vite donne-moi ton chapeau, ne discute pas, vite s'écria Jed. Abandonnant précipitamment le pot bleu sur la banque.

Je lui lançai mon galurin, il s'en saisit au vol, le posa d'un geste vif et rapide sur les débris.

Du revers de la main gauche, il s'essuya le front, d'où perlait de grosses gouttes de sueur, et poussa un OUF libérateur. Médusé, je n'osais faire le moindre mouvement. Je restai coi. Après quelques minutes qui me semblèrent des siècles, Jed souleva de quelques centimètres le chapeau avec le plus grand soin. Accroupi, puis sur les genoux, la tête de côté, collée à cette cloche de feutre de fortune, il se mit à compter à haute voix : une, deux, trois…trois, quatre…Mince ! Il en manque une, et de surcroît la plus féroce, la plus méchante.

- Une quoi ? dis-je d'un air candide

- Une rumeur ! Une satanée rumeur ! Balth passe-moi un nouveau bocal vert, tu en trouveras derrière la banque. Magne-toi ! Je m'exécutai avec une célérité redoutable et après un laps de temps menu,  lui passai le pot salvateur. Avec une délicatesse maniérée, il prit une à une entre l'index et le pouce de la main droite, les rumeurs qu'il déposa dans le nouveau réceptacle, tandis que de la gauche il maintenait le chapeau. Trois et…. quatre.

C'est à ce moment précis, que la clochette choisit de tinter. Un homme en  costume anthracite, avec un petit liseré rouge au revers de sa veste pénétra en trombe dans la boutique.

La PORTEEE ! fermez cette fichue porte s'époumona Jed.

Interloqué, saisi par cette injonction impromptue autant qu'inhabituelle, l'homme resta deux secondes sans réaction, avant d'obtempérer.

« Trop tard ! la rumeur est dans la rue à présent. C'est foutu ! » Résigné, il rangea le bocal sur l'étagère, et me rendit mon feutre.

- Mais qu'est-ce qui ce passe ici ? s'enquit le client déboussolé.

- Oh ! juste une échappée belle. Une médisance, une rumeur en vadrouille dans le monde. Balançai-je laconique

-       Je vois, rien de bien grave…Tout en parlant, le client caressait la corbeille rouge où reposait les gros mots, d'un geste preste, il en prit une bonne poignée, des noirs et des jaunes, et essaya de les désunir, mais en vain.

-       Une rumeur de plus ou de moins, quelle importance. La chose est insignifiante, trancha l'homme au liseré rouge.

-       C'était mon dernier prototype, avoua Jed. Une rumeur-complot du dernier cri, vivace et quasi indestructible, même le temps ne saurait la détruire, l'engloutir dans son antre. Jed semblait anéanti.

-       Dites-moi mon ami, je suis pressé. J'ai une allocution sur le feu et j'aurais besoin de mes mensonges républicains préférés. Sont-ils enfin prêts ?

-       Ils sont comme neuf monsieur le Ministre. Quelque peu rasséréné par cette demande, Jed  avec diligence, alla chercher la commande. La pénombre de l'arrière boutique le goba tel un gouffre sulfureux.

Au bout de deux minutes il était de retour, à  la main un petit paquet. Voilà ! Il faudra tout de même songer à les renouveler, même mes mains ont aussi leur limite.

-       Promis ! A la prochaine élection ! Vous les mettez sur ma note, comme d'habitude. Un sourire plein de suffisance illumina  sa face, et à la cantonade lança : Messieurs je vous salue bien. Puis il disparut dans la rue, au pas de charge  en direction d'une berline noire, auprès de laquelle un chauffeur faisait le pied de grue.

-       Eh bien ! Rudement pressé le sigisbée de la République.

Jed stoïque, silencieux ne répondit pas. Absent !  Son regard vide de toute lueur, amorphe au possible semblait se perdre dans le néant de l'instant présent. Soudain, ses lèvres remuèrent à nouveau et des mots refleurirent sur sa bouche.

«  Mais dans quelle affaire, ma rumeur, va-t-elle aller se nicher ? »

-       Ne te bile pas  ! Tu le sauras bien assez tôt. Inutile de cogiter à mauvais escient. Laisse pisser le mérinos.

-       Tu as sans doute raison Balth ! Mais, revenons à ton affaire. D'un pas allègre, il se dirigea vers la banque, et empoigna le bocal bleu sur lequel une étiquette était apposée sur son flanc : vérités d'occasion. En un tour de main, il en extirpa une du pot, et se retournant vers moi s'exclama :

Tiens ! En voilà une belle, te convient-elle, l'ami ?

-       Désolé, mais je ne vois RIEN. Pardi ! Je n'ai pas ta faculté à voir l'invisible, et c'est heureux.

Avec le plat de sa main, Jed se frappa avec vigueur le front. « Quel idiot ! »Sans coup férir, il sortit de l'une de ses poches, une petite bombe qu'il pulvérisa sur la vérité. Au bout de quelques secondes, elle m'apparut. Je la voyais à présent, là, sur le comptoir, se mouvoir, se tordre en tous sens comme un lombric, jamais encore, je n'avais vu chose aussi extraordinaire.

-       Rien ne vaut, un p'tit coup de franchise en spray pour faire apparaître vérités, hypocrisies et mensonges de tout poil. C'est très utile, notamment pour les travaux de ravadage. Alors, elle te plaît ! S'enquit Jed.

-       Je la prends !

-       Attends, je vais te l'emballer.

-       Pas la peine ! Je la saisis, et l'enfouis au fond de la poche de ma veste. Combien, je te dois.

-       Rien, absolument rien Balth ! Tu m'as rendu, tant de services par le passé, qu'il serait inconvenant de ma part de te demander quoi que ce soit aujourd'hui.

Malgré toutes ces années, ses yeux irradiaient encore de gratitude.

 

Sur le trottoir,  j'attachai avec une infinie précaution, cette vérité d'occase aux trois autres, à la patère de mon cœur. J'étais bien décidé à les offrir en pâture à mon voisin chahuteur, comme il se doit.

Mais tout en cheminant dans les rues désertes, ces quatre vérités se liguèrent insidieusement contre moi. Elles s'insinuèrent dans les replis intimes de mon cœur. Chacun de mes pas était comme des aiguillons qui attisait leur course vers la profondeur de l'organe suprême. Au bout de dix minutes de marche, je ressentis une vive douleur de poitrine. Le souffle court, je m'accotai contre un réverbère. Je restais là, yeux fermés, un long moment, attendant la dissolution complète des quatre vérités, avant de reprendre ma collection de pas bourgeois.

Les vérités digérées, une petite voix intérieure soliloquait en sourdine dans mon cœur. « Regarde dans ton cœur. Ecoute le et laisse-toi guider par lui. Laisse la raison de côté. Agis toujours avec cœur, quoi qu'il arrive. »

Tout à coup, je ne sais par quel miracle, je me sentis léger, léger, aussi léger qu'un papillon, et heureux de vivre. Quelle douce sensation ! La petite voix ventriculaire, serait-elle pour quelque chose dans cette euphorie soudaine ? Une folle joie m'étreignit, et une envie incommensurable d'embrasser mon prochain me saisit alors, aussi vive qu'une céphalée. Mais les rues restaient désespérément désertes. A défaut d'humain, j'embrassai et ceins un hêtre, seul et unique être du square des ritournelles. Je le contemplai un long moment.

C'est fou ! Je  ne te vois réellement qu'aujourd'hui. Pourtant, je passe devant ce parc matin et soir depuis dix ans. Faut croire que je suis aveugle.

Aveugles et sourds nous le sommes tous, le pire c'est que nous en n'avons même pas conscience. Toi, le hêtre, j'en suis sûr, tu m'avais remarqué depuis le premier jour, et  tu m'as accepté tel que je suis, sans me jauger, sans me juger.

Tu sais quoi l'arbre ! De retour dans mes pénates, j'appellerai mon infernal voisin pour l'inviter au restaurant, afin de le remercier. Mais oui ! Cessons de nous ignorer, de nous juger…Réapprenons à vivre ENSEMBLE.

Parle mon cœur parle…Je t'entends à présent…

E.Rx.

sacd

  ps : Pour les curieux, petits et grands qui souhaiteraient savoir ce qu'il advint de la rumeur-complot fugitive de Jed. Eh bien ! Sachez, qu'elle fit son nid dans l'affaire DSK.

  • Etrange, je n'ai pas tout compris... on sent qu'il y a un concept, ou un délire derrière tout cas, mais je ne l'ai pas encore élucidé. Ca fait penser à du Vian en moins évident. Des jeux sur les expressions parfois drôles, et parfois lourdes voir mystiques... bref, j'aime la tentative, mais en meme temps j'aime pas tout ... :s
    Cependant, au moins vous faites l'effort de faire quelque chose de différent, c'est rafraichissant sur ce site ! Bonne continuation !

    · Il y a presque 13 ans ·
    Jardin des plantes 037 195

    lilaa

  • Enooorme coup de coeur !

    · Il y a presque 13 ans ·
    100 1297 orig

    itsu08

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