Wong et la petite Lili
Jean Louis Michel
Je me souviens bien de cet après midi, comme un clip déjanté de Michel Gondry. Je revois bien la scène, sa lumière naturelle, Paris, dix-sept heures, je sors du métro sur la place d’Italie. Un vieil homme genre clochard, mais réflexion faite, ce n’est pas un genre, c’en est peut-être un, vraiment. Il danse sur le parvis du grand espace commercial, un mélange de tango Argentin et de Hip Hop à la sauce géronto. Il traine un petit chariot avec un Sound-system couplé à une grosse batterie de voiture et ça amuse les passants, les rares touristes du quartier, les jeunes qui trainent là sans but précis, sur cette agora moderne à l’ombre du campanile stylé. Avec sa stature de colosse et sa barbe blanche, sa gueule parcheminée et ses yeux rieurs je lui trouve une certaine ressemblance avec Hemingway, celui du vieil homme et la mer, comme un vague soupçon de force tranquille. A ses pieds, une casquette défraichie où trainent quelques maigres pièces. A vue de nez, je dirais qu’il y a là de quoi s’acheter un casse-dalle, mais guère plus. Alors il danse, il danse tout ce qu’il peut, à la manière d’un automate qui prend le temps de sourire aux gens qui le regardent s’essouffler. Quelques-uns le prennent en photo avec leurs téléphones portables, le filment aussi, certainement pour l’exhiber sur Youtube, mais je passe mon chemin. Mes pas me portent plus loin, j’enquille l’avenue en direction de chez Wong avec l’idée de lui faire la peau à ce salaud. Je m’enfonce vers la butte, un surin dans la poche.
Dans un film américain j’aurais sans doute eu un poignard d’ancien Marines ou un cran d’arrêt démesuré, mais dans le tiroir de ma modeste cuisine je n’ai rien trouvé de mieux qu’un simple Opinel, une lame rouillée qui me suit partout depuis l’époque de mes camps scouts en forêt de Compiègne et surtout, nous ne sommes PAS dans un film américain. Tout autour, c’est la froide réalité du pavé. J’aurais pu également me dégoter un flingue, avec quelques-uns de mes contacts, des copains de Rachid, il était même fort probable que j’aurais eu la possibilité d’en négocier un pour pas trop cher derrière le Big Kahuna Burger de Clignancourt, là où ne viennent jamais trainer les keufs en patrouille et où se font les pires affaires, mais j’ai préféré me la jouer fantôme, le plus silencieux possible.
Alors oui, avec ça j’ai l’air minable et peu crédible, j’en suis parfaitement conscient, mais je SUIS minable et peu crédible. La vérité c’est que je suis une mauviette et que j’ai la trouille de ce que je m’apprête à faire. Je vais suriner Wong, Jean-Claude Wong, LE Wong qui possède des salons de massages un peu partout dans Paris et qui règne en maitre mac sur plus d’une centaine de filles qui bossent dans la plus grande illégalité et la pire des clandestinités dans des salons crasseux, des bordels camouflés minables où l’on peu négocier le massage naturiste et la branlette vite fait pour à peine plus de cinquante euros l’heure. Je m’y suis laissé prendre au jeu, pour les beaux yeux de Lili, une jeunette parlant à peine le français, mais cependant suffisamment pour me demander régulièrement « cha va meuchieu ? » ou «retourner maintenant» avant le « massache là auchi ?»
J’y suis retourné, et encore, et encore. Je suis tombé amoureux de Lili, ou quelque soit son prénom. Après tout, Wong ne s’appelait certainement pas Jean-Claude non plus, mais avec leurs prénoms impossibles il était de coutume dans leur communauté d’en trouver un d’ici pour se sentir assimilé, comme un geste de respectabilité de façade. J’y suis retourné à nouveau jusqu’à ce qu’un beau jour, la petite Lili me demande si je voulais bien me marier avec elle. La petite Lili qui me massait nue, m’avait fait sa déclaration avec son français hésitant et ses grands yeux tristes et je n’ai rien répondu. Après la douche et le rhabillage je n’avais rien trouvé de plus intelligent que d’aller me saouler au Penalty, le bar que tenait mon ami Rachid en bas de chez moi. En enquillant bière sur bière je n’ai cessé de penser aux yeux de Lili, des yeux en amandes, comme des yeux de biche sauvage. J’ai pensé à la douceur extrême de sa peau, à ses petits seins à gros tétons quand elle s’asseyait derrière moi pour me masser la nuque et qu’ils me frôlaient les omoplates. Son extrême délicatesse avait toujours un air de sincérité, j’y CROYAIS…
Je me suis saoulé et je suis rentré me coucher, fauché et chancelant mille fois dans l’escalier qui menait à mon placard. Comment aurais-je pu lui dire « Oui ! » à la petite Lili ? Comment aurais-je pu lui avouer que je claquais mon pognon en pâtes à l’eau et jambon, en bières pas chères et en massages ? Comment aurais-je pu lui avouer qu’il n’y avait de place chez moi que pour ma maigre carcasse et les cafards ? Que ma seule activité consistait à balayer les trottoirs entre Saint Martin et République en compagnie des rats ?
Seulement voilà, j’en ai rêvé la nuit, et le jour aussi… J’en ai rêvé à tout casser, à en chialer comme un môme sur mon lit à peine large pour ma peau, même pas assez grand pour y rêver à deux. J’en ai rêvé et j’en ai gerbé tout ce que je pouvais, comme un vrai môme, un amoureux adolescent.
Quand j’y suis retourné, dans son petit salon de la rue de Tolbiac, elle n’était plus là. J’ai demandé après elle, mais la vieille maquerelle qui tenait la caisse a joué à celle qui ne savait pas. Je lui ai demandé où était Lili, elle s’est mise à gueuler. Je lui ai filé une magistrale mandale parce que pour la première fois de ma vie j’étais vraiment énervé. Sous la surprise, et dans le meilleur des français, elle m’a filé l’adresse de Wong, Lili partie, Lili partie, deuxième mandale, une autre chinoise est sortie d’une salle de massage en criant comme une hystérique, j’ai pris mes jambes à mon cou.
Je savais peu de choses en réalité. Lili avait certainement été déplacée, sans doute dans un autre salon de massage, un autre bordel chinois. Ma pauvre cervelle, pour une fois tournait à cent à l’heure. Cet enchevêtrement de synapses et de neurones en était arrivé à la conclusion que la vieille avait entendu Lili, comme elle devait certainement avoir pris l’habitude d’épier les cabines exigües depuis son comptoir. Un micro dans chaque cabine pour la sécurité des filles sans aucun doute, des pauvres filles victimes d’un esclavage moderne, une immigration clandestine, des sans papiers arrivées par je ne sais quel stratagème, j’imaginais bêtement des cales, des soutes de navires de commerce, Le Havre ou Marseille, des camions sans fenêtre et sans eau pour fuir un pays dont les campagnes s’appauvrissaient à mesure que les villes s’enrichissaient... Il en arrivait pourtant bien des centaines chaque mois qu’on retrouvaient sur les trottoirs de la capitale, souvent par groupes de deux ou trois dans des ballets de marcheuses sans âge aux bords des quartiers populaires, loin des belles avenues, elles arrivaient bien de quelque part.
Il n’y avait qu’un endroit où je pouvais trouver le salopard qui l’avait mise dans cette situation et je l’avais là, marqué sur un bout de papier. Wong tenait un commerce alimentaire sur l’avenue de Choisy, en plein cœur du quartier chinois de Paris, coincé entre deux tours de bureaux et une multitude de restaurants aux vitrines desquelles pendaient des milliers de canards laqués, accrochés par le cou. Il se disait que dans le secteur il n’y avait jamais de chiens errants, que les chambres froides cachaient les dépouilles congelées de quelques Médors perdus du quartier...
A vrai dire, il circulait sur la communauté asiatique tout un tas de on-dit, une collection impressionnante de légendes urbaines de tout crin. Les chinois dupliquaient aisément les carte d’identités (puisqu’ils se ressemblent tous), les chinois réglaient leurs affaires entre eux, les triades, leur mafia bridée, rançonnaient les commerçants asiatiques et organisaient la prostitution à un niveau d’efficacité jamais atteint ailleurs, les chinois avaient des petites bites, les chinois tenaient des dizaines de tripots clandestins dans les caves du treizième arrondissement, et tous, absolument tous étaient experts en arts martiaux. Ce qui est sûr c’est que ces gens-là ne sont pas comme nous. Ils ne réfléchissent pas perso, mais collectif, une collectivité chinoise qui s’installe quelque part ressemble par bien des aspects à une fourmilière avec une structure sociale pyramidale parfaite. Ils s’occupent aussi bien de leurs jeunes que de leurs vieux, mais réflexion faite, c’est sans doute une façade, une manière de ne laisser personne infiltrer leurs affaires.
La vieille maquerelle avait dû donner l’alerte. C’était absolument évident. Wong devait certainement m’attendre avec une paire de malabars prêts à me couler dans du béton frais, alors j’ai revêtu mon plus beau costume de balayeur de rue, ma plus belle salopette verte et mon gilet jaune fluo pour aller balayer avenue de Choisy. J’ai fait du rabe de taf pendant quelques jours jusqu’à en apprendre un peu plus sur Wong.
De cette manière j’ai pu noter qu’il ne logeait pas sur place et qu’après vingt et une heures il rentrait chez lui à pied. Il a dû m’attendre deux ou trois jours au cours desquels j’ai pu voir un type un peu costaud devant son épicerie. Quand il s’est senti en sécurité le molosse à retrouvé sa niche et Wong sa solitude apparente d’honnête commerçant à face de citron.
« Je te tiens mon salaud, t’es à ma pogne ! » J’ai abandonné mon costard des rues et je l’ai attendu plus loin. Je l’ai attendu et je l’ai suivi jusque chez lui. A ma plus grande surprise Wong s’était embourgeoisé, il créchait dan un appartement de la butte aux cailles, un de ces nouveaux « villages » à touristes dont les rues regorgeaient de bars et de restaurants « typiques ». Wong se planquait chez les blancs, loin des siens, ça n’était pas très prudent.
Pour ce que j’en jugeais, Wong devait avoir entre trente-cinq et quarante ans, mais il était toujours difficile de leur donner un âge à ces jaunes. Ils paraissaient souvent dix de moins que leurs papiers alors que je faisais dix de plus, où que j’aille. Pas très grand, mince et bien mis, il avait le look du type qui sort de sa salle de sport, comme un Jackie Chan plus jeune, il avait même une tête sympa, l’ordure. Alors qu’il passait une petite ruelle je me suis rapproché à le toucher et je l’ai interpellé d’une voix forte et mal assurée.
- JEAN–CLAUDE WONG !!!
Il s’est retourné vers moi et m’a sorti :
- Kes’tu’m’veux connard !
Wong parlait français sans accent, ou plutôt si, un accent gouailleur, l’accent poulbot, celui des titis parisiens, l’accent de Paname, celui des rues et ça m’a déstabilisé, mais pas assez pour que je laisse tomber.
Je l’ai empoigné par le col et je l’ai collé au mur tandis que de ma main libre je lui pointais le couteau sur la gorge.
- Elle est où Lili, enculé ? lui demandais-je, la voix tremblante.
- De quoi tu me parles, abruti ?
- J’te parle de Lili, la petite de la rue Tolbiac ! Celle qui a des grands yeux noirs et à peine vingt ans.
- Ecoute ducon, il n’y a pas plus de Lili que de beurre au cul, je ne sais même pas de quoi tu me parles.
- La vieille a balancé ton nom !
Là, je lui ai légèrement enfoncé la lame de l’Opinel dans le cou. Juste la pointe, pour qu’il saigne un peu. Il a serré les dents mais n’a pas crié. Pourtant je voulais le faire gueuler, je voulais qu’il ait mal et qu’il crache le morceau. Une goutte a perlé.
- Ok ! Ok ! Arrête putain !
- Alors elle est où la petite Lili ?
- Y’a pas de petite Lili, c’est juste une fille comme il y en a plein et qui bosse pour moi dans ce salon ; elle s’est tirée ta petite Lili, elle a changé de boulot parce qu’elle a trouvé un autre pigeon à plumer, qu’est ce que tu crois ?
- Tu me racontes des bobards, Wong, elle m’a demandé si je voulais bien me marier avec elle…
- Mais elles demandent toute ça à n’importe qui andouille, t’y connais rien au business, hein !? T’es tombé raide dingue d’une pute !? Il s’est mis à rire, à se foutre de ma gueule.
- TU MENS, ENCULÉ !!!!!
C’est à ce moment là que Wong m’a balancé un coup de genou dans les couilles. La douleur fulgurante, est remontée jusqu’au cerveau, comme une lame chauffée à blanc qu’on m’aurait enfoncée dans le corps. J’eu à peine le temps de me les saisir doucement en lâchant le couteau dans le caniveau que Wong me frappa d’un coup de poing sur la pommette gauche. Un deuxième coup m’envoya par terre et un coup de pied au visage me fit cracher quelques dents et un flot de sang mêlé à un peu de salive.
Wong se pencha sur moi.
- Ecoute bien connard, plus jamais tu te pointes la gueule enfarinée dans le secteur pour me demander des comptes, ok ? La prochaine fois que je te croise je te tue, je te découpe en morceaux et je te ventile dans les poubelles du quartier, là où les chats se feront une joie de te bouffer par petits bouts, c’est compris ?
Je ne peux pas parler, la douleur me bloque la poitrine et le cœur et j’ai la gueule en vrac, mais je sens, je sens la peur et la fureur en lui, je sens qu’il pense être passé près de la mort, qu’il a vu dans mon geste celui d’un désespéré et s’il y a bien une chose à laquelle il faut faire gaffe, c’est bien ça, le geste du désespéré, mais Wong sait se battre, il m’a à moitié tué dans cette ruelle sombre, une seule chose est vraie dans tout ce qu’on raconte à propos des chinois, ils savent VRAIMENT se battre.
A la fin de l’automne la nuit tombe vite dans les ruelles qui ne voient jamais le soleil. Je crache une dent dans le caniveau qu’un collègue nettoiera le lendemain, un peu de sang aussi. J’y vois à peine, j’ai froid…
- Il n’y a plus de Lili, tu comprends bien ? Cette pute s’est tirée avec la caisse, avec pas grand-chose, mais c’est tout comme. Quand je la retrouverais, je lui réglerais son compte, tu peux en être sûr et certain. Alors gare à tes miches si tu es encore dans le secteur. Allez, casse toi pôv’ con…
Je suis rentré chez moi comme j’ai pu. Wong m’avait épargné. J’ai retrouvé Rachid derrière son troquet, dans la cuisine d’été où il a l’habitude de faire griller des merguez et du poulet pour sa spécialité de couscous quand il faisait beau. Il m’a réparé comme il a pu, mais pour les dents il n’y avait rien à faire.
- Putain qui t’as fait ça, mec ?
- Un enculé de chinois, que je lui ai dit tant bien que mal. Mes gencives me faisaient un mal de chien et j’avais les joues et les lèvres coupées en de multiples endroits. Je lui ai raconté, dépité, ce qu’il m’était arrivé, l’histoire de Lili, la petite Lili aux grands yeux noirs et à la peau si douce. Je lui ai raconté le clandé de la rue de Tolbiac, la vieille maquerelle et les filles, les massages et tout le toutim. Je lui ai raconté la manière grotesque que j’avais eu d’aborder Wong avec mon Opinel rouillé jusqu’à la conclusion minable de cette opération commando à la con.
- Sa race ! J’connais des types qui pourraient lui régler son compte définitivement à ton chinois ! Il suffit que tu me dises où il crèche !
- C’est pas la peine Rachid, il ne m’intéresse plus ce mec, c’est moi qui a déconné, laisse tomber…
- T’es mon ami, mon client, mon locataire et t’aimes même mes merguez pourries ! t’es ouf ou quoi ?
- Laisse béton j’te dis…
Rachid avait grandi dans les dernières favelas parisiennes, dans le bidonville de Nanterre dans les années soixante, soixante-dix, puis dans la cité de transit des Côtes d'Auty qui avait fini par bruler dans les années quatre-vingt. De ces années de misère il a gardé un sens inné de la solidarité, au-delà des couleurs et des âges. Rachid aime tout le monde d’une sorte de fraternité universelle.
- N’empêche, c’t’enculé d’chinois il causait français aussi bien que toi et moi, pas une trace d’accent, que dalle !
- Tu croyais quoi nigaud ? Qu’il allait jacter comme ses putes ? Tu sais depuis combien de temps il y a des citrons à Paname ?
-Non…
- Depuis aussi longtemps qu’il y a des rebeux, mon frère ! Colonisés en même temps, réfugiés en même temps, et si ça s’trouve il est chinois comme je suis breton, peut-être un laotien, un cambodgien ou un Viet ! Et si sa s’trouve, la fille est aussi française que toi et moi ! Merde, mec ! Des salons de massages chinois ! Y’a pas idée ! C’est comme les marocaines de Paname, elles font le même business pour les frangins de saint Ouen, et si t’es plein d’oseilles elles sont prête à jurer cracher qu’elles te kiffent pour toujours et qu’elles te feront le tajine tous les dimanches !
- Je l’sais bien que je suis un minable, merde. Mais putain, j’suis tombé en plein dans l’illusion, ça paraissait tellement vrai…
- Des filles comme ta Lili y’en a mille chez les chinois du treizième, Elles inondent Paris, partout !
- Faut qu’j’oublie…
- Ouais, ça vaudrait mieux !
J’ai écouté Rachid et j’ai repris ma petite vie. J’ai fait quelques progrès aussi. D’abord j’ai arrêté de claquer mon salaire de merde dans les clandés de miséreux. Je me suis imposé la plus parfaite abstinence et je me suis intéressé aux oiseaux dans les parcs où je m’asseyais parfois, avec quelques bouquins d’occasions chinés dans les bacs du Gibert Joseph de Saint Denis. J’avoue quand même qu’il n’était pas bien malin de ma part de trainer dans ce quartier, j’aurais pu choisir celui de la place Saint Michel ou les bacs de soldes de la rue de la Roquette, mais je cherchais parfois sur les visages des marcheuses, de Belleville à République, le visage improbable de la petite Lili. Avec le temps, elle était devenue une sorte de mirage, un esprit, un ectoplasme qui venait de temps en temps hanter mes nuits. J’entendais sa voix gravée dans mon crâne qui me disait « cha va meuchieu ? » et je pouvais sentir l’odeur particulière de son huile de massage au jasmin. Je m’allongeais sur le ventre et plaçais mes bras le long du corps dans l’attente de ses caresses.
*
Un matin, Rachid m’a interpellé de fond de son comptoir alors que je prenais un crème près de l’entrée.
- Hé ! Regarde le journal ! Ça va t’intéresser !
Il m’a tendu l’édition du Matin de Paris, les pages ouvertes entre les chiens écrasés et la rubrique du turfiste il y avait un entrefilet à propos du corps d’une fille retrouvée découpée dans plusieurs poubelles, des morceaux pas plus gros que des rubik’s cube. Vraisemblablement une asiatique… Le corps n’était pas entier, il manquait quelques morceaux significatifs, la tête, le bassin…
- Ça serait pas ta chinoise ? me demanda Rachid d’un air inquiet.
- Comment veux tu que je le sache…
- Putain, ils ne rigolent pas les citrons !
- Ouais, tu sais c’qu’on dit….
L’affaire ne fit pas plus de bruit que ça, rien de plus que quelques ligne dans les faits divers. Après tout, personne n’avait signalé de disparition dans ce secteur, il était probable que les pièces du puzzle morbide finissent dans le grand incinérateur. Il se pouvait bien que ce corps incomplet fut la petite Lili, le fantôme de mes nuits partirait donc en fumée et une nouvelle fille la remplacerait dans le claque de la rue de Tolbiac. Une nouvelle clandestine à qui on apprendrait quelques rudiments de français, « cha va meuchieu ? » « Retourner maintenant » ou « massache là auchi ? »
*
Deux jours plus tard on retrouva un nouveau corps dans le quartier. Il s’agissait d’un honnête épicier asiatique qu’un voisin découvrit à moitié nu et émasculé au fond d’une ruelle de la Butte aux Cailles. Jean-Claude Wong gisait sur le dos, les bras en croix, sa petite queue ridée dans la bouche et un large sourire Kabyle qui l’avait pratiquement décapité lui barrait le cou dans toute sa largeur. Ce que le légiste de l’institut médico-légale qui s’occupa de son corps ne découvrit jamais, c’est que tout le boulot avait été pratiqué à l’Opinel, une vieille lame particulièrement bien affutée pour l’occasion. Une petite lame de treize centimètres à moitié rouillée, affutée comme un scalpel.
Merci à tous, moi aussi je l'aime bien cette histoire, je la développerais sans doute un jour !
· Il y a presque 13 ans ·Jean Louis Michel
bordel (sans jeu de mot), j'adore!
· Il y a presque 13 ans ·Karine Géhin
Dubo,Dubon.
· Il y a presque 13 ans ·Marcel Alalof
Bien mené de bout en bout... à lire sans modération...
· Il y a presque 13 ans ·Elsa Saint Hilaire
C'est sombre, ça se lit d'une traite, et ça secoue. J'aime beaucoup.
· Il y a presque 13 ans ·junon