« Portons haut sur le mât les couleurs d’un combat gris-écarlate, au sang de ma Némésis, au tambour de mes cicatrices, à la froideur de leur inertie future, à la fin de mes blessures ».

bis

Chère Raison,

Je t’ai vue aujourd’hui. T’étais assise à côté d’un garçon. La maitresse t’as pas vue quand tu as levé ton doigt mais moi oui. C’est pour ça que j’ai dit qu’elle devait te donner la parole. Mais elle m’a crié dessus à la place.

Encore à la récréation, quand je tournais autour de l’arbre et que je parlais tout seul, je t’ai vue. Tu me souriais. Alors j’ai souri aussi.

Après je me suis fait taper par Hervé et sa bande. Mais c’est pas grave. Ça arrive souvent, j’ai l’habitude. C’est pas de ça que je veux te parler.

A la maison, j’ai demandé à papa et maman des choses. Sur comment ils s’étaient rencontrés, sur comment on aimait quelqu’un. Ils ont raconté des trucs avec des bisous et des fleurs. C’était dégoutant ! Mes parents sont un peu foufous parfois.

Mais bon, je les aime bien parce que c’est mes parents mais bon…

Après, j’ai demandé à ma maman de me donner du papier et de corriger pour l’orthographe. Parce que je voulais t’écrire une lettre pour un rendez-vous. Et après te l’envoyer.

Tu vois l’arbre où je suis tout le temps ? Bah j’aimerais bien qu’on se voit là. Si tu veux, j’ai des billes et des biscuits dinosaures au chocolat qu’on peut partager. Ils sont bons mais il faut faire attention en été parce qu’ils fondent (le meilleur c’est l’iguanodon). Et aussi, il faut faire attention à Michaël parce qu’il me vole souvent mes affaires. Et aussi Manuel parce qu’il me frappe aussi. Et d’autres aussi.

Mais c’est pas grave. Je vais demander à ma maman qu’elle t’envoie la lettre et j’espère que tu diras oui et que tu seras là demain.

J’espère que tu vas bien.

Dämon

Chère Raison,

Tu te souviens de moi ? Je suis le petit qui un jour t’as écrit. Et je suis devenu grand… m’a-t-on dit.

Je me rappelle, il y a un jour où je t’ai vue. Tu te pavanais toute pimpante, marche dégingandée, avec ta fierté dans tes yeux mordorés. J’étais encore éteint à l’époque. Qui dira qu’il ne l’était pas sur les bancs ? Cahin-caha, je tentais d’entrapercevoir l’espace d’un instant ce qui les poussait tous dans un sens et moi dans l’autre : toi.

Tes cheveux d’ébène, ta voix sans peine, beauté apprivoisée, je te savais sans danger.

Les enfants s’amusaient beaucoup avec toi, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient sans que tu te froisses. Jamais lasse, toujours cette impassibilité gravée. Dans ta douceur véridique.

Alors peut-être impudique, peut-être manquant de tactique, j’ai tenté le coup. J’ai envoyé une lettre. T’es jamais venue.

Les années ont passé. T’es jamais venue. Les autres ont grandi. T’es jamais venue. J’ai pleuré. T’es jamais venue. J’ai envoyé plus de lettres que je n’avais de mots. T’es jamais venue. T’es jamais venue. T’es jamais venue.

Alors j’ai cessé…

Après, pendant longtemps : j’ai parlé au néant.

Déjà sur les petits bancs, encore enfant, les mots se sont mués, noirs et répugnants. Le tableau, les bobos, puis les pourquoi sans jamais d’avenir. Les moqueries, la bienséance et l’incompréhension.

Dans ta non-réponse, j’ai trouvé le berceau d’une haine irrépressible. Raison cause du monstre, Raison cause de sa claustration, Raison, son silence, ma peine immense…

Mais faisons fi des convenances, cela fait trop longtemps. J’ai tant à te raconter, j’ai bien changé depuis que j’ai cessé de te chercher. L’existence ne m’a pas épargné. Elle m’a plutôt démonté, pas de biais. Plutôt dans la face.  Tu me verrais en carcasse, je ne suis plus aussi jouasse. J’ai vieilli en dix ans de tristesse ce que les autres prennent en quelques semaines de joliesse.

Les vicissitudes ont duré autant que souffrir se put. Les autres se gaussèrent, leurs dents me saignèrent tour à tour, au détour d’un coin de mon cœur brulé. Avec des torches enflammées, je les vis de leur air de gavroche me crever. Sans jamais cesser. Et à force d’ânonner ma peine atone, l’embrouillamini sordide ma solitude d’épris de toi s’est aventuré dans de mauvais endroits. Là-bas, entre le trentième de mes cris et le trente-et-unième désarroi,  j’en ai rencontré une autre que toi. Belle et fougueuse. Des yeux ardents, des envies belliqueuses, des charivaris d’amour et de vengeance. 

Elle avait une cicatrice en dessous de son front plissé, elle avait pour nom Némésis et des envies de tuer.

Je n’ai pas eu à lui envoyer de missives, je n’ai pas eu à lui envoyer mes affects en lettres. Ni délai, ni semblant. Ni d’arrêt, ni « d’attends ». Comme un grand serpent injurieux, elle m’a sifflé des mots dédaigneux, de ceux dont on ne revient pas, de ceux qui sentent les brulants combats, les grands massacres, LES GRANDS MASSACRES !

Juste la belle et moi. Passion d’actions sanglantes. Vengeance et non-sens. Démence et démence. Puisque tu ne m’avais jamais répondu, puisque la vie puis les autres m’avaient bien botté le cul, quoi que je fasse, je me suis amouraché d’une connasse.

Et j’ai haï. Je me suis tatoué sur le cœur le ressentiment d’une armée d’écorchés, je me suis tordu sous le poids de la vindicte inique d’être moi, j’ai ployé puis j’ai crié les mots du désespoir sous une lune noire d’hurlements déments. L’acte auquel je me prépare, cette lettre et ces mots épars. Toute la rage et ma fange de tristesse qui me transperce.

Tu ne sembles pas l’apprécier.

Mais elle oui. Némésis l’aime, elle chérit ma bizarrerie, s’en nourrit comme moi je suis pétri d’elle. Je couche avec sa vengeance pendant qu’elle jouit de mon engeance d’antipathique froid. Priapisme de fou furieux, lorsque je vois ses deux yeux de feux me susurrant : que tout est dément, que tant que le temps qu’entre nous d’eux fulmine l’amour au détour de ses rougissants carrefours, rien n’a de prix, rien n’a d’essence, que notre amour-abri, que notre abri-vengeance.

Raison, ma chère Raison, mon adorée Raison d’avant, ma belle méprisable Raison de maintenant. Je dois te l’avouer : tu ne me fais plus rêver. J’ai essuyé par trop de fois ces bourrasques rudes dans mon paquebot géant de solitude. Je ne désire plus tes sourires. Ce soir tout est prêt. Ce soir pleurent les geais, même les corbeaux crient haro. Sur ce que je vais faire, sur ce que Némésis va faire.

Raison, écoute ! Une dernière fois. J’ai bu un litre de vodka, j’ai avec moi deux trois armes et ma haine incommensurable. Ecoute une ultime fois ! Cette fois mon ire, cette fois ma croix. Avant que tirant dans la foule des passants. Avant que je tire dans l’endroit ceint par mes tempes fumantes l’ultima ratio regis de ma conscience éthérée, alcoolisée, pleine de violence et trop consumée de vengeance.

Raison, il fallait que je te crie dans ce pli mon désamour aux alentours d’un minuit meurtri de mes larmes d’amoureux transi. Transi d’avant de toi, transi maintenant de la Némésis de mes sentiments.

Raison, il fallait que tu saches que je suis devenu fou, que je vais buter de la foule.

La question du « je t’aime » ne se pose désormais plus qu’en négation, la question de ma déraison ne se pose plus désormais qu’en une nation de cris, un pays de vengeance limitrophe à ces strophes de démence que je leur graverai sur leurs corps morts.

A CES FUMIERS QUI NE M’ONT JAMAIS ACCEPTE… comme toi…

Hissez-haut ! Je m’en vais me venger des quolibets.

Hissez-haut ! Terre en vue.

Hissez-haut ! Voilà le moment de l’arrêt.

Hissez-haut ! A mon tour de leur botter le cul.

« Portons haut sur le mât les couleurs d’un combat gris-écarlate, au sang de ma Némésis, au tambour de mes cicatrices, à la froideur de leur inertie future, à la fin de mes blessures ».

Avec tous mes regrets.

Adieu.  

Dämon

  • Pareil pour votre commentaire, je ne comprends pas :/

    Mais si c'est en réponse au commentaire sur votre texte, sachez que le mien était pour votre texte (au point que j'ai rajouté cinq coeurs + un coup de coeur).

    Et si vous pensez que je mérite moins, c'est votre droit ma foi ;)

    · Il y a environ 11 ans ·
    544813 416184855145011 490152810 n 465

    bis

  • En lisant votre texte, j'avoue ne pas avoir compris qui vous a mis ces quatre coeurs lol ?

    · Il y a environ 11 ans ·
    2151732 lundi 2 septembre 15h53 welove

    regalline

  • C'était pour un concours.

    Pour ce qui est des des mots complexes,ce n'est pas une recherche mais ma façon de m'exprimer à l'écrit. C'est par là que je trouve le "véritable". Question de point de vue. Certains préfèrent le direct, j'aime les circonvolutions...

    Ouais je sais c'est pas mon meilleur texte. Je préfère les autres. Rien à redire à ta critique sur la régularité, elle est justifiée ;)

    · Il y a environ 11 ans ·
    544813 416184855145011 490152810 n 465

    bis

  • Jusqu'à la page 3 le vocabulaire laissé pour compte a quand même un intérêt pour le fond très agréable. Malheureusement avec la complexité des mots se perd de plus en plus la sensation de "véritable " et de ressentis. a la bouteille de vodka j'ai eu un espoir de retrouver les trois premières pages mais non. Cela dit le probleme n'est pas dans la technique mais dans la régularité de ce que tu offres, et surtout celle du ton que tu va employer. Sinon c'est comme commencer par nothing hill et finir par very bad trip, c'est deux films qui avaient leur chance d'attirer, mais qui ne collent pas. ah et dernière chose le sujet est très sympa, si tu décide d'en refaire un du genre il sera surement mieux, sans dire que celui la est naze, loin de la

    · Il y a environ 11 ans ·
    Japon dos orig

    jone-kenzo

  • Peut-être... probablement aussi dans l'évidence des réponses et le manque de questions de la part des autres. J'imagine que c'est un mix. Puis il faut avoir les contingences qui vont avec. Alors là, la soupe peut se faire...

    · Il y a plus de 11 ans ·
    544813 416184855145011 490152810 n 465

    bis

  • Hé bé ! c'est fou !!
    la démence gagne peu à peu,
    crois-tu que la folie meurtrière trouve ses racines dans des absences de réponses?
    cdc

    · Il y a plus de 11 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

  • Merci beaucoup :) (les biscuits dinosaures <3 ).

    · Il y a plus de 11 ans ·
    544813 416184855145011 490152810 n 465

    bis

  • And the winner is ....

    And the winner is .... :))


    (Ben oui faut le dire deux fois ^^)

    Bravo !! Comme diront certains, c'est AMPLEMENT MÉRITÉ !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Waow... C'est extrêment bien écrit, on voit l'écriture évoluer au fil du texte ... C'est très bien ficelé et ça finit en apothéose ! J'ai adoré, vraiment !

    Et puis les biscuits dinosaures, raah c'est toute mon enfance :D

    · Il y a plus de 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • (Écrit depuis mon gsm, pardonnez-moi mes erreurs éventuelles).

    Merci a vous deux :)

    @ Octobel: c'est vrai que je tente d'Élaborer un vocabulaire qui va crescendo en difficulté. Mais c'est aussi dangerux parfois parce que le style empire et ampoulé que j'ai dans les dissertations ou autres textes plus formels revient souvent à la charge. Si un jour je régresse en ce sens, j'espère que vous me rappellerez à l'ordre :)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    544813 416184855145011 490152810 n 465

    bis

  • Eh bah dis donc, quel travail ! C'est vraiment très recherché tout ça, les noms, l'évolution du texte, la naïveté du vocabulaire de la première lettre, la deuxième qui monte progressivement en intensité et en violence. Bon, le vocabulaire m'a parfois un peu dépassée, mais que veux-tu, j'suis limitée ^^
    Encore une fois, pour moi, tu navigues en tête sur ce défi ! C'est vraiment excellent !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Je viens de lire ton texte, chapeau maestro! Tu manies la plume avec brio et âme sensible!!! J'ai beaucoup aimé, contraste et tiraillement qui met fin à cet amour Raison!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    13335743 1312598225434973 3434027348038250391 n

    Colette Bonnet Seigue

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